NOTE du SNTEFP-CGT SUR LES JOP 2024

Cette note reprend les différents aspects de l’organisation des JOP de Paris, déjà évoqués dans les tracts et publications du SNTEFP CGT (syndicat des services déconcentrés du ministère du travail, dont l’inspection du travail), qui nous semblent poser problème. Seuls les sujets en lien avec les champs d’intervention de notre syndicat – le droit du travail et les prérogatives de l’inspection du travail – sont développés. Mais d’autres aspects nous semblent devoir être pris en compte dans le cadre de la réflexion globale de la CGT sur l’évènement : délocalisation express des migrant.es et d’autres personnes mises à l’abri hors de l’Ile de France et sans perspective d’hébergement pérenne (cf. tract de nos camarades du SNASS Hébergement, asile et intégration suites…) ; répression policière accrue dans le cadre du plan JO zéro délinquance conduit par la préfecture qui ne se cache pas de vouloir « nettoyer » la Seine-Saint-Denis ; déplacement forcé d’étudiant.es pour que leurs logements soient mis à disposition de la délégation interministérielle aux JOP (cf communiqué URIF, CGT CROUS et FERC CGT du 14 juin 2023) etc.

CONDITIONS DE TRAVAIL AU SEIN DES CHANTIERS JO ET DU GRAND PARIS

Dans un communiqué du mois de juillet 2023, l’Elysée assure : « Avec 130 accidents, dont 17 graves, les chantiers olympiques sont cinq fois moins accidentogènes que la moyenne du BTP ».
Un des facteurs avancé est la création de l’Unité régionale d’appui et de contrôle des grands chantiers (URACGC) qui contrôle notamment 64 chantiers olympiques en Ile-de-France. Elle est composée à ce jour de 8 agent.es de contrôle.
Cependant, cette unité spécialisée contrôle également les chantiers du Grand Paris Express (GPE) sur lesquels il y a eu au moins 5 accidents du travail mortels depuis 2020.

Plusieurs facteurs peuvent rentrer en jeu pour expliquer cet écart : technicité particulière sur le GPE, 4000 à 6000 salariés en même temps sur les JO mais 8000 sur le GPE, sites plus dispersés pour le GPE … (Voir sur le sujet l’article du journal Le Monde du 17 juillet 2023 La sécurité : défi pour les chantiers franciliens).
Aussi, il est difficile d’avancer un bilan réaliste de l’URACGC sans prendre en compte l’ensemble de ces facteurs. De plus, les chiffres avancés en termes de nombre de contrôles ou de décisions d’arrêt temporaire des travaux compilent bien souvent l’activité de contrôle sur les chantiers JO et GPE, sans distinction.

Pareillement, il nous semble difficile se réjouir complètement des chiffres avancés : sur les chantiers des JOP, la SOLIDEO recensait, le 5 juillet dernier, 130 accidents du travail, dont 17 graves, soit un taux d’accident réputé inférieur à la moyenne. Cela reste néanmoins 130 accidents de trop. En outre, comme évoqué plus haut le bilan est plus lourd pour le GPE où pas moins de 5 ouvriers ont perdu la vie entre 2020 et 2023 et où un nouvel accident grave est survenu le 3 juillet dernier à AULNAY-SOUS-BOIS, sur le future ligne 16, sur laquelle deux décès étaient déjà survenus début 2023. Et ces chantiers avaient notamment pour objectif d’améliorer l’offre de transport en vue des JOP. Il est d’ores et déjà acté que les nouvelles lignes de métro ne seront pas livrées à temps, mais l’objectif est toujours d’actualité pour le prolongement de la ligne 14, qui a coûté la vie à un ouvrier en 2020, et du RER E. De la même façon,
Amara Dioumassy, maçon de 51 ans, est décédé sur un chantier de construction d’un bassin visant à dépollué la Seine – totalement lié aux JOP bien que ne relevant pas de la SOLIDEO.

Comme s’interroge le Journal Le Monde dans l’article précité, peut-on vraiment se réjouir complétement d’une moindre accidentologie sur les chantiers surcontrôlés du fait de la médiatisation quand le reste des chantiers d’IDF est toujours aussi meurtrier et que les effectifs de l’inspection du travail sont à l’os depuis plusieurs années (cf. Infra concernant la question des moyens et des effectifs de l’inspection du travail) ? Car, parallèlement, 136 accidents mortels du travail sont survenus en IDF en 2021 dans le seul secteur du BTP. Rappelons à cet égard que le secteur de la construction demeure le plus meurtrier en France. La fréquence des accidents mortels y est le triple de la moyenne nationale.

Le renforcement de la présence syndicale sur les chantiers nous semble un facteur très important pour améliorer la sécurité. Un premier bilan sera sans doute fait des expériences au sein des chantiers des JO. Quelle forme pour les délégations ou les permanences syndicales ? Quelle fréquence ? Quelles prérogatives ? Quels moyens ? Par ailleurs, il conviendrait de mener une réflexion sur les prérogatives des Collèges Interentreprises de Sécurité, de Santé et des Conditions de Travail (CISSCT) prévus par le code du travail, notamment sur leur fonctionnement et la place des salariées et des syndicats dans ces instances qui sont bien souvent des simples chambres d’enregistrement de la volonté des plus grosses entreprises du chantier.
D’autre part, les éléments structurels défavorables aux conditions de travail des salariés, présents sur l’ensemble des chantiers, sont également clairement identifiés sur les chantiers des JO.

La sous-traitance et l’intérim sont ainsi présents de manière importante sur ces chantiers. La DARES dans une note de février 2023 a analysé les effets de la sous-traitance en matière d’accident du travail. Elle relève que quand un établissement du secteur privé non agricole est en situation de sous-traitance pour un donneur d’ordres, ses salarié.es sont davantage exposés à certains risques physiques et organisationnels. Même une fois pris en compte ce surcroît d’expositions, le risque d’accidents du travail est plus important chez les sous-traitant.es La note relève aussi que quand ils côtoient des intérimaires, les salarié.es permanent.es ont davantage d’accidents du travail du fait de la co-activité de salarié.es aux statuts différents.
Les salariés des entreprises sous-traitantes sont-ils davantage exposés aux accidents du travail ? | DARES (travail-emploi.gouv.fr)

De même, la surexploitation des sans-papiers est massive comme l’attestent les articles réguliers sur la question et les luttes des sans-papiers sur les chantiers. La responsabilité de l’Etat en la matière est centrale car elle refuse de régulariser systématiquement les sans-papiers présents sur les chantiers des JO et du GPE. De plus, nos services continuent à être instrumentalisés comme lors du contrôle de juin 2023 sur le chantier EOLE à Porte Maillot. Dans le cadre de cette opération de communication avec des centaines de policiers et quelques agents de l’inspection du travail marginalisés, 5 sans-papiers ont été arrêtés. Il est à craindre que dans le cadre du nettoyage social prévu avant les JO contre les plus vulnérables d’entre nous, les sans-papiers subissent une répression accrue.
La CGT obtient la régularisation de 12 travailleurs sans papiers | CGT
JO de Paris 2024 : des travailleurs sans papiers sur les chantiers (lemonde.fr)
Sur les chantiers des JO-2024, le tabou des travailleurs sans-papiers (france24.com)

Dans un contexte, où les cadences vont s’accélérer dans la dernière année avant les JO de Paris où il faudra tenir les délais de livraison coûte que coûte et où l’on entre dans la phase de second œuvre où les interventions seront moins encadrées et la coactivité plus importante encore du fait de l’arrivée d’une multitude de petites entreprises sous-traitantes, il nous semble donc essentiel d’alerter sur les risques importants d’atteintes aux droits des salariés sur les chantiers des JO et du GPE.

ACCREDITATION :
La DGT prévoit d’imposer une accréditation aux agent.es de contrôle qui interviendront sur les évènements de la coupe du monde de Rugby à la rentrée, puis lors des JOP de 2024. Or, nous revendiquons, conformément aux conventions internationales, que seule la carte professionnelle doit être le cas échéant produite lors d’un contrôle pour exercer notre droit d’accès à toute heure du jour et de la nuit, dans tout établissement assujetti au contrôle de l’inspection du travail : JO 2024 : Zone de non-droit du travail ! – CGT Travail Emploi Formation Professionnelle (cgt-tefp.fr)

En effet, l’article 12 de la convention n° 81 de l’OIT prévoit des dispositions précises et impératives :
« Les inspecteurs du travail munis de pièces justificatives de leurs fonctions seront autorisés: (a) à pénétrer librement sans avertissement préalable à toute heure du jour et de la nuit dans tout établissement assujetti au contrôle de l’inspection ; (b) à pénétrer de jour dans tous les locaux qu’ils peuvent avoir un motif raisonnable de supposer être assujettis au contrôle de l’inspection … »
L’article L. 8113-1 du code du travail indique en la matière :
« Les inspecteurs et contrôleurs du travail ont un droit d’entrée dans tout établissement où sont applicables les règles énoncées au premier alinéa de l’article L. 8112-1 afin d’y assurer la surveillance et les enquêtes dont ils sont chargés. »
De plus, compte tenu du nombre de postes vacants dans les services, il est nécessaire que tous les collègues soient mobilisables en fonction des besoins de l’agent.e compétent.e pour le site à contrôler. Les collègues compétent.es doivent pouvoir demander les renforts nécessaires dans nos services afin d’assurer l’efficacité de leur contrôle.

Par ailleurs, nous nous inquiétons de la possibilité d’enquêtes administratives contre les collègues qui pourraient conduire à des refus d’accréditations. La CNIL précise sur ce sujet qu’une enquête administrative est possible avant la délivrance d’une autorisation, d’un agrément ou d’une habilitation, notamment pour accéder à des zones protégées (sites sensibles) ou à des informations classifiées. Elle note que l’enquête peut être effectuée même si la personne est déjà en poste ou dispose déjà de l’habilitation nécessaire pour occuper son poste. Cette enquête de vérification a pour objectif de s’assurer que le comportement de la personne est toujours compatible avec l’exercice de la fonction pour laquelle elle a été recrutée ou à laquelle elle a été affectée, en particulier s’il existe des doutes sur cette compatibilité.
Les enquêtes administratives de sécurité | CNIL

L’article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure (modifié par l’article 15 de la LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions => extension aux fans zones + avis conforme de l’administration après enquête administrative) prévoit :
« Sont désignés par décret les grands événements et les grands rassemblements de personnes ayant pour objet d’assister à la retransmission d’événements exposés à un risque d’actes de terrorisme en raison de leur nature et de l’ampleur de leur fréquentation. Ce décret désigne également les établissements et les installations qui les accueillent ainsi que leur organisateur.
L’accès de toute personne, à un autre titre que celui de spectateur, à tout ou partie des établissements et des installations désignés par le décret mentionné au premier alinéa est soumis, pendant la durée de l’événement ou du rassemblement et de leur préparation, à une autorisation de l’organisateur délivrée sur avis conforme de l’autorité administrative. Cette autorité administrative rend son avis à la suite d’une enquête administrative qui peut donner lieu à la consultation, selon les règles propres à chacun d’eux, du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de certains traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, à l’exception des fichiers d’identification. Un avis défavorable ne peut être émis que s’il ressort de l’enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat.

Un décret en Conseil d’Etat pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés fixe les modalités d’application du présent article, notamment la liste des fichiers mentionnés au deuxième alinéa pouvant faire l’objet d’une consultation, les catégories de personnes concernées et les garanties d’information ouvertes à ces personnes. »
Les décrets pris pour les JO en application de cet article ne font pas état d’une exception pour les agentEs de l’inspection du travail (par exemple : Décret n° 2021-1397 du 27 octobre 2021 portant application de l’article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sur des sites de Seine-Saint-Denis). Nous n’avons pas à ce stade recensé l’ensemble des décrets pris en la matière.
Or, à notre sens ces dispositions ne sont pas applicables aux agents de l’inspection du travail car elles rentreraient en contradictions avec l’article 12 de la convention n° 81 de l’OIT et l’article L. 8113-1 du code du travail précités. Nous avons demandé un rendez-vous avec la DGT pour notamment obtenir des garanties sur ce point.

EFFECTIF ET MOYENS DE L’INSPECTION DU TRAVAIL

La question du contrôle et de la sécurité des chantiers des JO et du GPE ne peut être dissociée de la question des moyens humains de l’inspection du travail qui se cristallise principalement autour de celle des effectifs.
La CGT Travail Emploi Formation Professionnelle n’a eu de cesse ces dernières années de dénoncer et d’alerter quant aux réductions d’effectifs qui ont frappé l’inspection du travail, dégradant tant la qualité du service rendu aux usager.es que les conditions de travail des agent.es qui l’exercent.
Alors que le ministère comptait, en 2010, 2249 contrôleurs et inspecteurs en section d’inspection, nous apprenions à l’automne 2022, au travers de travaux parlementaires (rapport Dharréville), que notre ministère ne comptait plus, en mars 2022, que 1700 agents de contrôle (en équivalent temps plein) pour plus de 20 millions de salariés, soit une perte sèche de 550 agents en douze ans. Fin mai 2023, la situation s’était encore dégradée puisqu’Olivier DUSSOPT déclarait devant la représentation nationale qu’il n’y avait plus que 1674 agents en ETP.
Enfin, un document interne du 14 juin 2023 de la Direction Générale du Travail nous apprenait que le nombre de sections d’inspection vacantes était passé de 376 sections vacantes en mars 2022 à 446 sections vacantes en mars 2023, et ceci alors même qu’une trentaine de sections ont été supprimées sur la même période pour masquer la pénurie.
476 sections n’ont pas d’agent.e de contrôle attitré.e sur les 2018 que compte encore le pays. Le taux de vacance (nombre d’agents effectivement présents par rapport au nombre de postes théorique) dépasse donc les 22%. Autrement dit : plus d’un travailleur sur cinq est dans l’impossibilité de se tourner vers un.e agent.e de contrôle de l’inspection du travail ! Cela représente plus de 4.5 millions de salarié.es !

Voir nos expressions sur ce sujet :
Face à la pénurie d’effectifs, nouveau calibrage de l’inspection du travail – On craint le pire… – CGT Travail Emploi Formation Professionnelle (cgt-tefp.fr)
Effectifs à l’inspection du travail : après avoir touché le fond, le ministère du travail creuse ! – CGT Travail Emploi Formation Professionnelle (cgt-tefp.fr)
Le 22 septembre 2022, notre syndicat a par ailleurs été auditionné sur le sujet par la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée nationale.
– Voir notre contribution : Audition par la commission des Affaires Sociales de l’Assemblée du 22/09/22 – CGT Travail Emploi Formation Professionnelle (cgt-tefp.fr)
– Voir le rapport Pierre DHARRÉVILLE au nom de la Commission des Affaires sociales sur la Mission « travail/ emploi » du projet de loi de finances pour 2023 qui reprend très largement nos positions syndicales sur les moyens, les effectifs, les objectifs et le bilan des réformes dans la partie intitulée « L’Inspection du travail, un service public en crise… » (pages 37 à 55) : assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/AVISANR5L16B0364-tIII.html

Le Ministère du travail a annoncé pour 2023 le recrutement de 300 agent.es de l’inspection du travail (200 postes ouverts au concours et 100 postes proposés par détachement inter-administratif). Mais, en raison des nombreuses attaques dont il fait l’objet, le corps de l’inspection du travail n’attire plus et jusqu’à 40% des places offertes aux concours ne sont pas attribuées. Le ministère pointe un nombre de candidat.es insuffisant, mais feint d’ignorer sa propre responsabilité en la matière : revalorisation a minima voire nulle des grilles de rémunérations, désaveux publics répétés de ses propres agents, mise à pied et sanction d’un collègue qui ne faisait que son travail pendant la pandémie COVID.
La Confédération a communiqué dans les médias sur la présence d’un inspecteur du travail par jour en moyenne sur un chantier JO, présence plus importante que ce qui existe pour contrôler tout autre type de chantier sur le reste du territoire. Au total, une équipe de 20 inspecteurs serait mobilisée (selon les chiffres communiqués par le ministère à la presse), un groupe étant dédié à la sécurité et l’autre à la lutte contre le travail illégal.
Or, il convient ici de ne pas oublier que la création, en novembre 2019, de l’Unité régionale d’appui et de contrôle des grands chantiers (URACGC) composée en IDF de 8 agents de contrôle qui contrôlent 64 chantiers olympiques en Ile-de-France, mais également les chantiers du Grand Paris Express (GPE) (cf. Supra), s’est faite au détriment des effectifs des sections généralistes territoriales dont notre syndicat défend le modèle exclusif. Il en va de même de l’accroissement du nombre d’agent.es affecté.es dans les unités régionales de lutte contre le travail illégal (URACTI), même s’il est antérieur aux JOP. En IDF, de l’aveu même du Ministère du travail, un poste d’agent de contrôle sur cinq n’est pas pourvu (sur 375 agents en poste). On a donc déshabillé Pierre pour habiller Paul dans un contexte de réduction structurelle des effectifs. Il nous semble donc compliqué de se réjouir pleinement de la situation puisque le surcontrôle des chantiers des JO lié à la médiatisation dont ils font l’objet se fait nécessairement au détriment du contrôle des autres chantiers de la région IDF (cf. Supra).

Et la DGT a fait encore plus fort en ce début d’année : elle a même validé la décision de créer des postes spécifiques JO 2024, le statut précaire de ces postes garantissant la soumission aux injonctions de dérégulation olympique. Ainsi, à la DRIEETS d’Ile-de-France, deux postes de « juriste droit du travail jeux olympiques et paralympiques » (nouvelle matière juridique en soi !) sont désormais en charge d’instruire les demandes de dérogations à la durée du travail déposées par les entreprises concourant aux jeux olympiques et paralympiques (+ coupe du monde de rugby) et de les accorder selon la « doctrine de traitement définie ». Dans ce cadre, les règles de compétence ont été modifié, en prenant désormais le critère du lieu de travail pour contourner les agents de l’inspection du travail théoriquement compétents pour les établissements qui demandent des dérogations à la durée du travail. Les agents de l’inspection du travail qui signeront in fine les décisions ne seront pas les collègues qui connaissent les entreprises et pas ceux qui auront mené l’instruction du dossier. Sous prétexte de guichet unique, c’est donc une atteinte profonde aux prérogatives de l’inspection du travail.

(FAUX) BENEVOLAT

Au printemps 2023, nous apprenions que pas moins de 45 000 bénévoles seront recrutés pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), qui se tiendront à Paris, à l’été 2024.
Ce sujet a été documenté dans plusieurs articles de presse, notamment les articles suivants :
JO 2024 : des travailleurs gratuits au prétexte de l’olympisme – POLITIS
Jeux olympiques 2024 : 45 000 bénévoles qui ressemblent fort à des salariés | Mediapart
Une charte du volontariat olympique et paralympique établie par le Comité́ d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 en lien avec les services de l’État encadre et matérialise « l’engagement moral du volontaire olympique et paralympique (VOP) de concourir à la réalisation d’une ou plusieurs phases des Jeux » [Paris2024-210507-VOL-Projet-de-Charte-du-VOP-VF-4.pdf].

En janvier 2023, la DGT publiait un Guide intitulé Guide pratique à l’usage des organisateurs de grands évènements sportifs (Recourir au bénévolat | Guide pratique à l’usage des organisateurs de grands évènements sportifs – Ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion (travail-emploi.gouv.fr)
Le guide élaboré par le Ministère du travail a pour ambition de rappeler les principes juridiques encadrant le bénévolat et d’exposer « les réflexes et les bonnes pratiques à observer, notamment en termes de temps et de conditions de travail, des bénévoles qui participent à l’organisation d’évènement sportifs » (sic).
Leurs missions sont listées : accueil des délégations, du public, de la presse, appui aux services de communication et de marketing, participation à la remise de médailles ou de trophées, billetterie sans participation aux opérations de vente de billets, préparation du vestiaire et du terrain, soutien à l’organisation des espaces de stockage et des accès des chauffeurs, sensibilisation au tri des déchets et tri dans les stades, assistance aux personnes en situation de handicap…La diversité des missions est
également exposée dans la charte du volontariat, document qui liste « les droits, devoirs et conditions d’exercice applicables aux volontaires bénévoles ».

En réalité, avec ce guide dont la publication arrive à point nommé, la DGT offre ses services et ses bons conseils pour permettre l’utilisation massive et gratuite de bénévoles au cours des JO de 2024. En effet, ce guide doit permettre aux organisateurs des JO de bénéficier d’une « présomption de bénévolat » destinée à faire échec à une éventuelle requalification des missions bénévoles en emplois salariés1. Le guide propose même que l’organisateur adresse les fiches décrivant les missions proposées aux bénévoles à l’Administration du travail, au niveau régional et, le cas échéant, en fonction de l’ampleur de l’évènement, au niveau central. L’inspecteur.ice du travail territorialement compétent.e est soigneusement contourné.e ! En cas de validation par la hiérarchie du ministère du travail, même implicite, l’employeur pourra alors se prévaloir de sa bonne foi et neutraliser les contrôles de l’inspection du travail et les suites pénales en matière de travail dissimulé.

Dans son Guide, véritable vade-mecum, le Ministère du travail, conscient que son raisonnement est fragile, se plait en de subtiles distinctions. Extrait :
« Puis-je donner des instructions à un bénévole sans que cela caractérise un lien de subordination? Oui, l’organisateur peut donner les consignes nécessaires au bon déroulement de l’évènement. Mais, il ne dispose pas du pouvoir de sanction sur le bénévole (telles que blâme, rétrogradation, mise à pied). En revanche, si un bénévole ne respecte pas les consignes destinées à assurer la sécurité des biens et des personnes, ainsi que la sienne, son responsable peut lui faire des rappels à l’ordre et prendre les mesures adéquates, notamment le retirer des équipes de bénévoles. » Mais cela n’est pas une sanction… CQFD.
La charte du volontariat olympique et paralympique prévoit d’ailleurs, dans sa section 2, le retrait possible de l’accréditation du bénévole en ces termes : « En cas de non-respect par le VOP de l’un des principes de la Charte dans le cadre de son engagement bénévole, Paris 2024 prend toute mesure adéquate, y compris, le cas échéant, le retrait de la carte d’accréditation du VOP et/ou de son uniforme. »
Ou encore : « Puis-je demander à un bénévole de respecter des horaires ? Oui, car le fait pour une personne d’exercer une activité bénévole ne signifie pas que celle-ci ne soit pas tenue de suivre les règles librement convenues avec l’organisme ou la structure d’accueil pour l’organisation de sa participation. Dès lors que des contraintes existent, il est recommandé de s’assurer de l’accord du
bénévole en amont lors de son recrutement. ». D’ailleurs, la Charte du volontariat olympique et paralympique prévoit qu’un planning de travail sera signé par le bénévole…
Sur ce point, il est éloquent que la Charte du volontariat olympique et paralympique prévoit l’application aux bénévoles des dispositions légales relatives au temps de travail (temps de repos, durées maximales du travail…) applicables aux salarié.es de droit privé.
Sur une vingtaine de page, le Ministère tente ainsi de justifier la mise à disposition d’une main d’œuvre gratuite pour les JO, main d’œuvre qui sera exploitée dans le cadre de cet évènement lucratif (et devra assurer son hébergement à ses frais), alors même que les Jeux s’installent en Seine-Saint-Denis où le taux de chômage est déjà important, culminant, au premier trimestre 2023, à 9,8 %, soit presque 3 % au-dessus de la moyenne nationale. Or, l’activité bénévole ne devraient pas concurrencer un emploi salarié.
Comme le rappelle le Guide de la DGT, il n’existe pas de définition légale du bénévolat. D’après la jurisprudence, le bénévolat désigne « l’exercice d’un travail, d’une activité́ ou la fourniture d’un service, à titre permanent ou occasionnel, à temps plein ou à temps partiel, par une personne envers autrui, spontanément et donc de plein gré, sans aucun lien de subordination juridique et sans aucune contrepartie financière » [Cour de cassation, chambre sociale, 29 janvier 2002, Assoc. Croix- Rouge française c/ Huon, arrêt n° 99-42.697].
La Cour de cassation [Cour de cassation, chambre sociale, 13 novembre 2016] distingue donc le bénévole du salarié par l’absence de rémunération et de lien de subordination. L’existence d’un lien de subordination est caractérisée « par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » [Cour de cassation, chambre sociale, Société Générale c/URSSAF de Haute-Garonne, 13 novembre 1996].

Le travail au sein d’un service organisé peut également constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail [Cour de cassation, chambre sociale, Société Générale c/URSSAF de Haute-Garonne, 13 novembre 1996]. Le bénévole doit pouvoir choisir lui-même ses horaires de travail, gérer son activité, choisir les activités et orientations à mettre en œuvre, ne recevoir aucune instruction pour le travail et participer aux activités selon son bon vouloir et selon les modalités qu’il détermine lui-même (Cass, soc. 31 mai 2001. n° 99-21111. Inédit). Or, il y a fort à croire que, pendant les JO, les conditions d’exécution des missions seront déterminées unilatéralement par les organisateurs.
Lorsque le poste du bénévole est nécessaire voire indispensable pour une structure, cela prouve implicitement une activité encadrée et supervisée, et donc un lien de subordination. Or, l’organisation des JO serait raisonnablement impossible sans les 45 000 bénévoles recrutés qui en constitueront un rouage essentiel.
La contrepartie financière peut être octroyée en nature. Ainsi, l’engagement bénévole dans des festivals a pu être remis en cause par l’URSSAF et requalifié en relation de salariat en raison des quelques contreparties accordées par l’organisateur à ses bénévoles : notamment l’accès gratuit à des spectacles et la prise en charge de leurs repas.
En outre, les fonctions occupées dans des organismes à but lucratif ne devraient pas être considérées comme bénévoles. Mais dans la charte des bénévoles publiée par le comité olympique, on apprend que quatre types de missions se feront « sous la supervision des équipes d’Omega » : opérateur tableau d’affichage, statisticien, opérateur chronométrage et notation et équipier. Pourquoi OMEGA, société anonyme suisse d’horlogerie de luxe, n’emploie-t-elle donc pas directement les « bénévoles » qui vont travailler pour elle ?!
Autant d’indices qui laissent fortement présumer, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge du fond, que les bénévoles recruté.es seraient en fait de vrais salarié.es.

Enfin, gardons à l’esprit que, à défaut d’assurance volontaire couvrant les risques en cas d’accident du travail et maladies professionnelles (art. L. 743-2 du code de la sécurité́ sociale), un bénévole ne bénéficie pas de la législation sur les accidents du travail. En effet, c’est le droit commun de la responsabilité qui s’applique à l’égard des bénévoles et non le code du travail ni celui de la sécurité sociale. L’assurance volontaire pour les bénévoles ouvre certes droit aux prestations prévues par la réglementation sur les accidents du travail (art. R743-5 du Code de la sécurité sociale). Toutefois, cette assurance ne donne droit ni aux indemnités journalières versées par la CPAM au titre des accidents de travail ou maladies professionnelles, ni à l’indemnité en capital attribuée en cas d’incapacité permanente partielle inférieure à 10%.
Comme le résume dans l’article de Mediapart intelligemment un militant membre du collectif Saccage 2024, « les JO installent le travail gratuit comme norme dans un contexte où le gouvernement conditionne désormais le RSA à des heures de travail, où les règles de Pôle emploi sont de plus en plus strictes… Le message est clair : il faut travailler, de manière rémunérée ou gratuitement. ».
Nous rappelons ici que l’emploi de faux bénévoles s’analyse, au plan pénal, comme une infraction de travail dissimulé. Il s’agit d’un délit susceptible d’entraîner les sanctions pénales, administratives et civiles prévues par le code du travail et le code de la sécurité́ sociale.

NOS REVENDICATIONS :

Les JO 2024 ne doivent pas devenir un prétexte pour fragiliser les protections des travailleurs. Il est urgent de garantir :
– L’application du droit commun du code du travail et notamment le respect du repos dominical. Non à un droit du travail JO dérogatoire !
– Le respect de l’indépendance de l’inspection du travail et le recrutement des effectifs sous statut, nécessaire pour pourvoir les postes vacants en sections d’inspection du travail
– Le doublement des sections d’inspection du travail
– La suppression de l’URACGC, des unités de contrôle spécialisées et des postes précaires JO, pour renforcer l’inspection territoriale et généraliste
– Le respect de l’article L. 8113-1 du code du travail et de l’article 12 de la convention n° 81 de l’OIT sur le droit d’accès des agents de contrôle à tous les sites des JO
– La régularisation immédiate des sans-papiers qui interviennent sur les chantiers des JO et dans le cadre des prestations de service nécessaire à l’organisation des JO
Dans ce cadre, nous avons demandé la mise à l’ordre du jour d’un point JO au prochain CSA ministériel pour assurer le respect de nos prérogatives et de notre statut.

NOTE JO-CGTTEFP vdef