Audition par la commission des Affaires Sociales de l’Assemblée du 22/09/22

Le 22/09/2022, la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale a invité les organisations syndicales à s’exprimer sur la situation de l’inspection du travail. Vous trouverez ci-dessous et en pièce jointe la contribution de la CGT. Les questions du rapporteur (P. Dharréville) portait notamment sur le bilan de la réforme dite « Ministère fort » et sur notre appréciation des préconisations de la Cour des Comptes, parmi lesquelles la suppression de la section  comme échelon d’organisation de l’inspection du travail – à laquelle nous nous opposons résolument.

 

La situation actuelle de l’inspection du travail

 – Contribution du SNTEFP-CGT – 

Audition par la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale le 22/09/2022

 

La situation des effectifs : des taux de vacance de sections d’inspection accablants

 L’état des effectifs des services de l’inspection du travail est dramatique :

➡️ Les assistant.es de contrôle ne sont plus aujourd’hui que 596 en ETP (contre 940 en 2009), soit une baisse de plus de 33 % des effectifs en à peine plus de dix ans.

➡️ Les agent-e-s des services renseignements en droit du travail n’était plus en 2021 que 358 en ETP (contre 580 en 2009), soit une baisse de presque 40 % des effectifs en à peine plus de dix ans. Et un ratio par agent.e supérieur à 56.000 salarié.es et à 5.000 établissements. Avec de grandes disparités entre régions : un ETP pour 102 529 salarié.es en Ile-de-France, par exemple !

➡️ En août 2021, seulement 1741 agent.es de contrôle exerçaient encore leurs missions sur le terrain en section d’inspection territoriale et 139 agents en unité régionale, soit une perte sèche de plus de 300 agent.es en dix ans[1] équivalant à 20 % des effectifs ! A titre de comparaison, à l’issue du PMDIT en 2011, on décomptait encore au total (UD + UR) 2246 agent.es de contrôles sur le terrain (796 IT du travail et 1450 CT).

 

Chiffres de la Cour des comptes dans son Rapport intitulé : «  LE BILAN DE LA TRANSFORMATION DE L’INSPECTION DU TRAVAIL » sur la période 2014-2019 (depuis la mise en œuvre de la réforme Sapin). Les rapporteur.es reconnaissent une diminution de 15,7% des sections par rapport au schéma originel et les réorganisations permanentes induites du fait des suppressions de postes. Le rapport mentionne « une diminution regrettable des effectifs affectés au contrôle » avec une diminution de 6,5 % d’agent.es affectés au contrôle (passant de 2031 ETP en 2014 à 1898 ETP aujourd’hui. Parallèlement les assistant.es ont vu leurs effectifs fondre de 11,3% sur la même période et les agent.es de renseignement de 11,5%. Au-delà de la politique de réduction des effectifs appliquée « à l’ensemble des ministères »

 

Face à ce constat accablant, le Ministère du travail n’a eu de cesse de « re-calibrer » les services de l’inspection du travail en procédant à des redécoupages successifs destinés à faire chuter artificiellement le nombre de sections vacantes : fin 2016, on décomptait 2210 sections généralistes contre 2069 en 2020 (et 2054 en décembre 2021), soit une perte de 141 sections en quatre ans (Cf. rapport de la Cour des comptes d’avril 2020 sur la période 2014-2019)

Cette situation a également conduit à construire un nouveau ratio AC/salarié.e de 1/10.000 et ratio «AC/établissement contrôlé » de 1/1.000) alors que le Plan de Modernisation de l’Inspection du travail PMDIT (Plan « Larcher » de 2005/2006) avait conduit à la création de section d’inspection et d’un ratio d’environ un IT ou CT pour 8600 salariés. Le ratio est déjà bien dépassé dans certaines régions en Ile de France avec 11525 salarié.es pour un.e agent.e de contrôle et en Pays de la Loire avec 10071 salariés pour un agent de contrôle en 2019. Il y a dix ans le ministère voulait hisser la France au niveau des standards européens via le PMDIT. Aujourd’hui il organise sans vergogne la chute de nos services dans les profondeurs du classement des moyens accordés à l’inspection du travail par les pays industrialisés.

Cette situation catastrophique est le résultat :

de l’austérité budgétaire : le ministère du travail est, depuis plusieurs années « contributeur » à la réduction de l’emploi public de l’État

des réorganisations visant à mutualiser et à réduire les coûts, en administration centrale comme en services déconcentrés (RGPP de 2007, Modernisation de l’Action Publique en 2012, fusion des régions en 2016 et aujourd’hui OTE, réseau des DDETS DDETSPP DREETS DRIETS…)

➡ Mais aussi la conséquence de la réforme « Ministère fort » qui a notamment abouti à la mise en place des UC et à la création de plus de 200 postes de RUC qui sont autant de postes en moins déployés sur le terrain pris sur les effectifs de contrôle

 

Ces baisses drastiques d’effectif et ces réorganisations successives ont des conséquences délétères sur le fonctionnement du service public de l’inspection du travail :

 Les taux de vacances de postes d’agent.es de contrôle sont exorbitants : la DGT recensait, au 31 décembre 2021[2]pas moins de 313 sections vacantes sur l’ensemble du territoire national, soit un taux de vacance de 15.2 %. Cette situation perdure depuis des années puisque la cour des comptes, dans un rapport d’avril 2020[3], faisait déjà état d’un taux de vacances de plus de 15 % en moyenne en 2017. Malgré les redécoupages successifs destinés à faire chuter artificiellement le nombre de sections vacantes (fin 2016, on décomptait 2210 sections généralistes contre 2069 en 2020, soit une perte de 141 sections en quatre ans), ce taux de vacance était encore de plus de 10 % en 2019, et est reparti à la hausse ensuite. Dans certaines régions et territoires, les taux de vacances sont exorbitants (41,18 % en Corse et plus de 20 % en Guyane et en Centre-Val de Loire). Dans un tel contexte, la préconisation de la Cour des Comptes tendant au développement des contrôles en binôme est hors-sujet.

➡ Les intérims structurels sont légion.

➡ Sur leurs secteurs en intérim, les agents sont invités à prioriser les tâches au détriment de la demande sociale « en tenant compte de l’urgence et de la gravité des situations rapportées » tout en continuant de prendre en charge impérativement les demandes contraintes (demandes d’autorisation ou de dérogation supposant une décision administrative) et les enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves. Autrement-dit, sur les sections vacantes en intérim, les agent.es de contrôle sont invités à gérer la pénurie, à ménager les apparences et à prioriser la demande patronale au mépris du principe d’égalité des usager.es devant le service public et de l’application homogène du droit du travail sur l’ensemble du territoire.

➡ Résultat : les zones de non-droit du travail où l’impunité patronale s’exerce sans contrôle se multiplient sur le territoire. Paradoxalement, les réformes successives, supposées accroitre l’efficacité des missions de l’inspection du travail ont abouti à un recul de l’effectivité de la norme. 

➡ La DRH semble prendre conscience de l’ampleur du désastre et tente d’infléchir sa politique de recrutement, avec l’ouverture au concours de 200 postes cette année, auxquels s’ajoutent les recrutements par voie de détachement. Mais après des années d’ouverture de postes au compte-gouttes, de délégitimation de l’action de l’inspection du travail et de dégradation des conditions de travail de ses agent.es, peu de candidat.es répondent à l’appel (390 personnes seulement ont composé). Le jury a déclaré 200 candidat.es admissibles pour 200 postes. Il est à craindre qu’une part importante des postes budgétés ne soient pas pourvus, les 200 admissibles doivent être toutes et tous retenu.es pour ne pas aggraver encore la situation sur le terrain.

➡ Le ministère se lance dans le recrutement « d’assistant.es juridique » par la voie contractuelle pour pallier le manque d’agent-e-s de contrôle. Nous dénonçons cette mesure : non seulement elle va accroître encore la précarité de l’emploi dans nos services, mais les personnes ainsi recruté.es, pour certain.es sur des contrats de courte durée (3 mois en région Centre-Val-de-Loire !), et  n’ayant aucune expérience du contrôle en entreprise, risquent de ne pouvoir fournir aucun appui réel. Nous nous inquiétons enfin que des tâches qui concourent aux missions d’inspection du travail (appui au contrôle, rédaction de suites etc.) puissent être exercées par des agent.es sans aucune protection statutaire, contrairement à l’article n°6 de la convention 81 de l’OIT.

 

Nos revendications :

 

  • Arrêt immédiat des projets de suppressions de sections ;
  • Plan massif de recrutement pluriannuel pour pourvoir au plus vite les postes vacants et recréer les postes supprimés, poursuite des recrutements dans la durée pour atteindre 5 000 agent-e-s de contrôle permettant de créer un maillage fiable sur l’ensemble du territoire national ;
  • Plan de recrutement massif d’assistant.es de contrôle, proposition de titularisation pour toutes et tous les collègues non titulaires ;
  • Recréation de tous les postes perdus dans les services de renseignement depuis 2011, pour un renseignement accessible aux usager-e-s, délivré par des agent-e-s et non par ordinateur !
  • revalorisation des grilles de traitement indiciaires

 

La réforme « Ministère Fort » : un corsetage de l’inspection, un management par les chiffres aussi absurde qu’inefficace, un mépris des contrôleur.es du travail

La réforme « Ministère fort » a dégradé très fortement les conditions d’exercice des missions des inspecteurs du travail. La séquence 2014-2022 s’est matérialisée notamment par :

Le renforcement de la spécialisation, et le grignotage corrélatif de l’inspection généraliste, au travers de la création d’unités spécialisées, régionales ou infrarégionales

La création des unités de contrôle qui a conduit paradoxalement, alors qu’elle était supposée permettre une action plus collective des services, à l’isolement des agent-e-s de contrôle et au délitement des collectifs de travail existants.

Un renforcement de l’autorité et du cadre hiérarchique par la création d’un nouvel échelon d’encadrement intermédiaire qui a positionné les RUC vis-à-vis de leurs anciens et anciennes collègues (antérieurement chefs de service) comme de nouveaux chefs chargés de mettre en œuvre les logiques de contrôles quantitatifs de l’activité de l’inspection et a transformé les IT et CT en « agent-e-s de contrôle » du système chargés de relayer le prescrit descendant de l’autorité centrale de l’Inspection du travail. Dans un rapport de 2020, la Cour des comptes était pourtant contrainte de reconnaître que le RUC est « une autorité qui n’a pas su trouver sa place ». La récente enquête de l’IGAS, dont le rapport complet est d’ailleurs tenu secret, confirme ce diagnostic et indique que plus de 70% des RUC souhaitent quitter leur poste à horizon de deux ans !

Un des paradoxes – et non des moindres, de la réforme « Ministère fort » est d’avoir éloigné les agent-e-s de contrôle du terrain en contribuant à soustraire des effectifs des agents préalablement affectés au contrôle. La DGT conforte pourtant les RUC dans leurs missions d’appui, d’animation et de pilotage réaffirmant la nécessité qu’elles et ils puissent « entièrement se dédier à ces missions, essentielles pour l’efficacité de l’action de l’inspection du travail ». Comme dans l’armée mexicaine, ceux qui donnent les ordres seront bientôt plus nombreux que ceux qui doivent y obéir !

Une réorientation de l’activité vers des plans d’action prioritaires et le choix d’un pilotage par le chiffre au nom de « l’homogénéité » de l’action et de la « performance collective ». Les objectifs individuels chiffrés avaient été suspendus en 2012 après les mobilisations pour la reconnaissance des suicides de nos collègues Luc BEAL-RENALDI et Romain LECOUSTRE en accidents de service. Ils ont été réintroduits par M. PENICAUD. Pourtant, dans un rapport publié en 2019, le Sénat décrivait les effets pervers et contre-productifs de cette politique du chiffre qui induit l’éloignement des agents du terrain, la majoration artificielle du nombre d’interventions, des stratégies de contournement au détriment de l’action qualitative…En outre, les « priorités d’action nationale » fluctuent en fonction des besoins de communication politique du gouvernement, avec le risque que des champs entiers de contrôle soient abandonnés si l’activité de l’inspection du travail est subordonnées à cette logique.  Marlène SCHIAPPA avait ainsi déclaré au mois d’avril 2018 : « un inspecteur du travail n’est pas obligé d’aller vérifier les heures supplémentaires dans la restauration pendant la période estivale. Le contrôle de l’égalité hommes-femmes aurait un impact plus important sur la société ». Nous revendiquons l’abandon des objectifs chiffrés, la définition des priorités par les agent.es de l’inspection en fonction des spécificités de leur territoire et en lien avec les représentant-e-s des usager.es.

Un renforcement des logiques de contrôle de l’activité des agents de l’Inspection du Travail guidée par une volonté évidente de mise au pas d’un corps réputé à tort a-hiérarchique (Cf rapport de la Cour de comptes de 2016).

Et l’utilisation des outils numériques existants comme moyens de contrôle de l’activité des agents, et non comme des supports possibles à l’activité et ce dans le respect des dispositions légales et notamment celles de la Convention n°81 de 1947 de l’OIT.

➡ L’utilisation répétée de menaces de sanctions à l’encontre des agents, la création d’un code de déontologie corsetant leur action, utilisé comme outil de sanction et de répression, notamment syndicale, la mise en œuvre de nombreuses procédures disciplinaire.

 

L’architecture territoriale de l’inspection du travail : la section d’inspection du travail doit être le seul niveau territorial d’organisation au sein d’un département

Concernant la préconisation de la Cour des comptes de supprimer la section d’inspection qualifiée « d’échelon fragile de la nouvelle organisation territoriale » (Cf. Rapport de la Cour des compte de 2020). On comprend bien l’intérêt de cette mesure : la suppression des sections permettrait une mutualisation complète des tâches au sein des UC et l’invisibilisation continue des suppressions de postes (cf. supra). Pour notre syndicat, la compétence des agents de contrôle doit demeurer assise sur une base géographique : cette base, c’est la section d’inspection territoriale et généraliste. C’est l’échelon pertinent et efficace qui préserve les capacités d’action réelles des agents de terrain.

➡️ Le caractère généraliste permet la préservation des compétences et permet aux agents de contrôle d’avoir une vision globale des situations de travail, et non pas une vision parcellisée et tronquée des rapports sociaux et du monde de l’entreprise. Il permet aussi la préservation de l’autonomie des agents dans l’organisation de leur travail, autonomie indispensable au quotidien pour pouvoir appréhender la complexité des dossiers. Les besoins en appui sur des thématiques nécessitant une expertise peuvent être satisfaits par la présence en nombre suffisant dans les services d’ingénieur-e-s de prévention, de services ARM (appui, ressources, méthode) et la mise en place au niveau régional de réseaux d’agent-e-s de contrôle comme prévu au 1° de l’article R. 8122-9 du code du travail. Nul besoin donc de multiplier les unités de contrôle spécialisées.

➡️ Le caractère territorial permet l’organisation des missions et la prise en charge des dossiers au plus près de la réalité du terrain. Surtout, cette assise territoriale préserve les agents de contrôle des risques d’atteinte à leur indépendance (par ex : un portefeuille d’entreprise à la main du RUC pourrait conduire au retrait de certains dossiers sensibles).

➡️ Notre organisation syndicale demande la suppression des Unités de Contrôle pour faire de la section d’inspection du travail le seul niveau territorial d’organisation au sein d’un Département avec un nombre de sections d’inspection fixé par arrêté du ministre chargé du travail comme cela était antérieurement le cas.  Cela suppose de revenir sur les dispositions de l’article R8122-5 du Code du travail qui prévoit notamment la seule définition, par arrêté, du nombre d’unité de contrôle et non celle du nombre de section d’inspection du travail. Cette définition des sections par arrêté aurait en outre pour autre intérêt de « sanctuariser » le nombre de sections sur le territoire national alors qu’aujourd’hui la fixation du seul nombre d’unité de contrôle a permis au ministère de réduire artificiellement le nombre de section en redécoupant les territoires au sein des unités de contrôle au gré des réductions budgétaires et des suppressions de postes.

Depuis plus de dix ans, l’Inspection a subi de plein fouet une série de réformes entrainant des baisses massives d’effectifs et un éloignement croissant des équipes d’animation et de direction. La dernière réforme de l’OTE a renforcé cette césure en instaurant une bicéphalité de direction séparant de facto les « pôles travail » des DREETS des équipes basées en départements au sein des DDETS et DDETSPP se retrouvant sous l’autorité d’un encadrement spécifique. La logistique, les ressources humaines, l’accueil et le courrier de ces directions interministérielles – et donc des services de l’inspection du travail – sont aujourd’hui gérés par les secrétariats généraux communs départementaux (SGC commun Départementaux). La mise en place de ces SGCD, sous couvert de « mutualisation » (en réalité d’économies de moyens) est un fiasco – comme vient de l’acter un rapport sénatorial – et génère de multiples nuisances pour l’activité quotidienne de l’inspection du travail, mais pose également problème s’agissant des moyens matériels alloués à l’IT (entretien des véhicules de service non réalisé, absence de renouvellement des équipements de protection individuelle, interruption des conventions avec les services de médecine de prévention, problèmes de rémunération, de traitement des arrêts de travail, de gestion des temps partiel etc.). Nous revendiquons donc le retour à des services déconcentrés départementaux du ministère du travail.

 

La nécessaire préservation des missions et de l’indépendance de l’inspection du travail

La dernière période a été marquée par une inflation extraordinaire des atteintes à l’indépendance, et aux prérogatives des agent.es de contrôle de l’inspection du travail ainsi qu’à l’exerce normal de leurs missions.

➡️ Pendant la crise sanitaire, les agents de contrôle ont été contraints de se défendre contre leur propre ministère pour pouvoir exercer convenablement leurs missions de contrôle et de protection des droits des salariés. Ils sont dû batailler, dans certaines régions, pour bénéficier d’équipement de protection appropriés et pour exercer pleinement leurs prérogatives et leurs pouvoirs dans le respect de la convention internationale n° 81 de l’OIT. Placé sous la tutelle des autorités sanitaires, le Ministère du travail a relayé des consignes inappropriées et contraires au code du travail.  La DGT a promu un droit souple au mépris des dispositions règlementaires applicables. Cette situation a créé une grave fracture entre les agents de contrôle et l’autorité centrale dont le point d’orgue a été la suspension de notre camarade Anthony SMITH. C’est dans ce contexte que, au mois d’avril 2020, les organisations syndicales CGT, CNT, SNUTEFI-FSU et SUD-TAS du ministère du travail à dénoncer publiquement les atteintes à l’indépendance de l’inspection du travail[4] et ont déposé une plainte devant le Bureau International du Travail (BIT) pour violation par le gouvernement français, à l’occasion de la gestion de l’épidémie, des conventions (n°81, 129 et 188) de l’OIT[5].

➡️ Parallèlement, les saisines du CNIT se sont multipliées concernant des situations susceptibles de caractériser des influences extérieures indues ou de porter atteinte aux conditions dans lesquelles ils avaient exercé leurs missions. Dans plusieurs avis rendus ces dernières années, concernant notamment les régions Grand Est, Hauts de France, Bourgogne France Comté, le CNIT a reconnu la réalité de ces atteintes et les défaillances de la hiérarchie, soit par son inaction soit parce qu’elle en était l’auteure ! Nous renvoyons ici aux rapports publics du Conseil national de l’Inspection du travail pour les années 2020 et 2021 et notamment les avis n°19-0004, avis n°19-0005, avis 20-0003, avis 20-0005 

 ➡️ Les pressions exercées sur les agents de contrôle de l’inspection du travail sont susceptibles de s’intensifier dans le cadre des nouvelles DDI qui, malgré le maintien d’une ligne hiérarchique spécifique, consacrent le resserrement des liens entre les préfets de département et les services d’inspection du travail et portent en elles un risque de dérive comme l’illustrent les demandes faites il y a quelques mois aux agents de contrôle de diligenter des actions de contrôle dans le cadre des Cellules de Lutte contre l’Islamisme et le Repli communautaire (CLIR), sur injonction des préfets. Nos inquiétudes sont renforcées à la lecture du projet de loi de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). Son article 15 prévoit en effet le renforcement des prérogatives des préfets en cas de crise pour « la sécurité, l’ordre ou la santé publics, la préservation de l’environnement, l’approvisionnement en biens de première nécessité ou la satisfaction des besoins prioritaires de la population ». Dans ce cas, le préfet aura autorité et pourra diriger tous les services de l’Etat y compris ceux qui ne relèvent pas habituellement de son autorité, comme les services de l’inspection du travail. Nous demandons le retrait de cette disposition qui menace l’indépendance de l’inspection du travail.

 Les missions traditionnelles et historiques de l’inspection du travail « chargée d’assurer l’application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l’exercice de leur profession » (article 3 de la Convention (n° 81) sur l’inspection du travail de 1947) doivent pouvoir s’exercer sans entrave, dans les meilleures conditions possibles, sans être dévoyées, d’une manière ou d’une autre. Il est d’une importance capitale que :

➡ ces missions ne soient pas subordonnées à d’autres intérêt, impératifs ou finalité.

➡ les prérogatives des agents de contrôle soient respectées, notamment le principe d’initiative (« tout agent de contrôle est libre d’organiser et de conduire des contrôles à son initiative ») et de libre décision (« il est laissé à la libre décision des IT de donner des avertissements ou des conseils au lieu d’intenter et de recommander des poursuites »).

Rappelons que le principe d’indépendance n’est pas seulement un droit des agents concernés, mais bien une garantie pour les citoyens de pouvoir bénéficier d’un service public qui n’est soumis à aucune influence extérieure indue.

La DGT doit jouer pleinement son rôle de garante de l’indépendance effective de l’IT en la protégeant des influences extérieures indues, y compris lorsque celle-ci sont relayées en son sein. Elle doit se repositionner en appui et en soutien à l’action des services déconcentrés, comme ont pu le faire l’ancienne Direction des Relations du Travail et la micapcor.

 

AVIS CNIT

Ainsi, un avis du CNIT en date du 20 novembre 2020 (HDF) souligne, dans le cadre d’une action en référé conduite par un inspecteur du travail, les atteintes, de la part de la hiérarchie, au principe de libre décision énoncé à l’article 17 de Convention (n° 81) sur l’inspection du travail de 1947 qui laisse à la libre appréciation des inspecteurs du travail de donner des avertissements ou des conseils au lieu d’intenter ou de recommander des poursuites (avis du 20 novembre 2020).

Un autre avis pointe des interventions inappropriées et l’ingérence de la hiérarchie dans l’exercice des missions d’un inspecteur du travail (avis du 27 janvier 2021 (GRAND EST): une RUD répondant à la place d’un IT à un usager et portant une appréciation sur la conformité des moyens de prévention mis en œuvre par un employeur sans concertation avec l’IT).

 Un autre avis pointe le fait que les propos irrespectueux tenus par mail par un directeur adjoint concernant l’action d’un agent de contrôle ont « porté atteinte aux conditions d’exercice des missions » de cet agent, ces propos « tant de nature à nuire à la considération du SIT ». Le CNIT est d’avis que ce directeur Adjoint a manqué au devoir de réserve et de loyauté. Ce même avis constate que la hiérarchie régionale n’a pas apporté à l’agent de contrôle le soutien approprié eu égard aux difficultés qu’il avait rencontré dans l’exercice de ses missions, manquant ainsi à ses obligations déontologiques (avis du 28 février et 24 juin 2020 BFC).

 Un autre avis a reconnu que l’intervention d’une directrice régionale et d’un responsable du pole travail de la direccte visant à imposer à un agent de contrôle un délai de prévenance avant une action de contrôle sur un chantier SNCF et une validation préalable de la méthodologie d’organisation de contrôle adoptée allant jusqu’à demander à ce que le contrôle soit différé était inappropriée dans la mesure où il n’existe aucune obligation d’information du RUC par l’inspecteur avant un contrôle (avis du 28 février et 27 mai 2020 – GE).

 

Les outils juridiques de l’inspection du travail: entre ineffectivité et insuffisance

 Les infractions constatées par les agent.es de contrôle de l’inspection du travail ont vocation à être relevées dans un procès-verbal qui est transmis au parquet aux fins d’engagement de poursuites. Cette voie « classique » est aujourd’hui en grande partie ineffective en raison de l’état du service public de la justice et des priorités de la politique pénale fixées par le gouvernement qui ignorent complètement le droit pénal du travail. Dans la pratique, hormis les accidents du travail grave et mortel et les délits de travail dissimulé (et encore, le parquet du 93 a informé nos services de son incapacité à donner suite aux dossiers pour lesquels la fraude est inférieure à 300 000 euros !), très peu de procédures pénales de l’inspection du travail aboutissent à un renvoi des mis.es en cause devant le tribunal. Bien que des sanctions pénales soient prévues en matière de discrimination syndicale ou d’entrave aux représentant.es du personnel par exemple, ces champs du code du travail sont en pratique complètement ignorés par les tribunaux correctionnels, et les victimes n’ont d’autre choix que de saisir elles-mêmes les juridictions civiles.

L’inspection du travail a été investie de « nouveaux pouvoirs » en juillet 2016. Le législateur a instauré une amende administrative sanctionnant le non-respect de certaines dispositions du code du travail (hygiène et locaux sanitaires, durée du travail notamment). Alors que celles-ci ont été présentées à leur création comme une alternative au procès-verbal, susceptible de déboucher plus rapidement sur des sanctions, elles ont en réalité achevé de dépénaliser les matières qu’elles visent (les conventions conclues entre les ministères du travail et de la justice prévoient désormais explicitement que la seule voie répressive ouverte aux agent.es est la sanction administrative).

Si elles peuvent déboucher relativement rapidement sur une sanction pécuniaire des employeurs, elles excluent totalement les victimes de la procédure (pas de partie civile) et peuvent faire l’objet d’interventions politiques, comme celle de M. Pénicaud qui avait ordonné la transformation en simple avertissement de l’amende devant être prononcée contre un restaurateur étoilé.

En revanche, nous approuvons pleinement l’élargissement (aux risques générés par les équipements de travail non conformes et aux risques de contact électrique) intervenu en 2016 des pouvoirs d’arrêts temporaire d’activité, qui permettent à l’agent.e de contrôle d’ordonner immédiatement le retrait des salarié.es d’une situation de travail présentant un danger grave et imminent. Ces pouvoirs devraient à notre sens faire l’objet d’un nouvel élargissement pour viser d’autres situations dangereuses, telle l’exposition à un agent biologique dangereux (le SARS COV2 par exemple) ou à des situations climatiques extrêmes, pour lesquelles l’inspection du travail est aujourd’hui dépourvue d’outil juridique efficace à court terme, comme la crise sanitaire l’a mis en lumière. Dans le même temps.

 

La mise en extinction du corps des contrôleurs du travail

La réforme Ministère fort s’est accompagnée de la mise en extinction du corps des contrôleurs du travail, dont le corollaire aurait dû être l’intégration progressive de tous les CT qui le souhaitent dans le corps de l’inspection du travail. Au lieu de cette mesure de bon sens, le ministère a choisi la mise en place d’un concours réservé, puis d’un examen professionnel, vécus comme une humiliation et une remise en cause de leur expérience professionnelle par de nombreux/euses collègues.

La DRH avait engagé des négociations  concernant le devenir des contrôleurs du travail. Dans ce cadre, l’ensemble des organisations syndicales s’étaient prononcées pour l’intégration de toutes et tous les collègues qui le souhaitaient dans le corps de l’inspection du travail. L’administration avait commencé à travailler sur des projections en ce sens, reconnaissant que cette solution était la plus cohérente. Mais elle a mis fin peu après de manière unilatérale aux négociations.

Le comble est qu’une partie des postes budgétés lors des dernières sessions de l’EPIT n’ont pas été pourvus, le jury jugeant le niveau des candidat-e-s insuffisant. Une insulte pour nos collègues, dont des centaines se retrouvent aujourd’hui coincé.es dans ce corps sans aucune perspective (et oublié de toute mesure de revalorisation indiciaire ou indemnitaire), un véritable gâchis humain et financier. La CGT TEFP continue de revendiquer l’intégration de toutes et tous les collègues CT qui le souhaitent dans le corps de l’inspection du travail.

 

 

[1] Rapport de la cour des comptes : le bilan de la transformation de l’inspection du travail (exercice 2014 à 2019) – page 89

[2] « Enquête flash » sur les effectifs, arrêtée au 31 décembre 2021 à partir des données remontées par les DREETS

[3] Rapport de la cour des comptes : le bilan de la transformation de l’inspection du travail (exercice 2014 à 2019) – page 87

[4] Conférence de presse du jeudi 16 avril 2020 réunissant l’intersyndicale CGT, CNT, SNUTEFI-FSU et SUD-TAS du ministère du travail.

[5] A l’occasion de la conférence de presse du jeudi 16 avril 2020, et dans un communiqué récent, les syndicats CNT, CGT, FO, FSU et SUD expliquait leur démarche en ces termes : « Alors que la situation exigerait des droits et des pouvoirs renforcées pour protéger les salarié-es, le ministère du travail a organisé la paralysie et le court-circuitage de l’inspection du travail et l’a empêchée d’exercer ses missions en violation de ses engagements internationaux :

– en donnant une valeur normative à des instructions contraires au droit en matière de droit de retrait et de protection de la santé au travail ;

– en interdisant aux agent-es de contrôle d’effectuer des contrôles inopinés dans les entreprises par la subordination des contrôles à l’autorisation préalable de la hiérarchie et à un contact préalable avec l’entrepris (…) ;

– en transformant nos missions en rôle de relais des consignes gouvernementales de poursuite de l’activité économique et de ses exigences ;

en exerçant des pressions directes sur les inspecteur-trices du travail qui font leur travail et préconisent des mesures contraignantes – par exemple en les sommant de s’expliquer, en les obligeant à revenir sur leurs observations, en soumettant l’exercice de leurs pouvoirs au veto de leur hiérarchie, voire en s’y substituant ».