JO 2024 : Zone de non-droit du travail !

Le Comité d’organisation des JO (COJO) à Paris a signé le 18 juin 2018 avec les organisations syndicales et patronales une belle charte sociale qui proclame : « La Charte Sociale Paris 2024 a pour objectif de déterminer et de promouvoir les engagements sociaux visant à laisser un héritage social fort à l’action du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (COJO) et de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) dans une démarche de développement humain et durable. »

Pourtant, les nombreux accidents du travail sur les chantiers des JO montrent que les maîtres d’ouvrage et les entreprises intervenantes ne sont pas plus exemplaires que la moyenne dans le secteur du BTP. L’objectif de rentabilité doublé de la nécessité de respecter un calendrier très serré sacrifient la santé et la sécurité des ouvriers, dont des sans-papiers en nombre, qui construisent notamment la piscine olympique, le village des athlètes, le réseau de transport du Grand Paris et autres infrastructures nécessaires au déroulement de ce grand spectacle du sport capitaliste.

Pire, mais sans surprise, l’Etat met en œuvre un cadre dérogatoire pour les JO 2024 qui menace tout simplement le respect élémentaire du code du travail et les missions de l’inspection du travail.

Une remise en cause inacceptable du droit au repos dominical

La loi définitivement adoptée au Sénat le 12 avril 2023 prévoit que pour la période allant du 1er juin 2024 au 30 septembre 2024, le Préfet pourra autoriser les entreprises à ouvrir le dimanche un ou plusieurs établissements de vente au détail mettant à disposition des biens ou des services, situés dans une commune accueillant les Jeux, limitrophe ou à proximité d’une commune accueillant les Jeux.

C’est donc sans scrupule et alors qu’existe déjà de multiples dérogations, que l’on souhaite mettre de côté totalement le droit essentiel du repos hebdomadaire qui comme le prévoit l’article L. 3132-3 du code du travail est donné le dimanche dans l’intérêt des salariés.

De l’encadrement du bénévolat à l’encouragement au travail dissimulé !

Dans un guide pratique à l’usage des organisateurs des grands évènements sportifs publiés en décembre 2022, la DGT offre ses services et ses bons conseils pour permettre l’utilisation massive de bénévoles au cours des JO de 2024.  Le désormais impayable ministre de la régression sociale, Olivier DUSSOPT, tente dans son édito d’assimiler les bénévoles des petits clubs sportifs pour justifier la mise à disposition d’une main d’œuvre gratuite pour les JO, qui sera exploité dans le cadre de cet évènement lucratif. D’ailleurs, pour entretenir la confusion, le guide précise que le mot « travail » sera employé au sens générique pour désigner l’activité et/ou la mission du bénévole.

Selon la DGT et sans aucun fondement juridique, la liste des missions pouvant être confiés aux bénévoles est impressionnantes : l’accueil des délégations, du public, de la presse ; l’appui aux services de communication et de marketing ; la participation à la remise de médailles ou de trophées ; la billetterie sans participation aux opérations de vente de billets ; la préparation du vestiaire et du terrain ; le soutien à l’organisation des espaces de stockage et des accès des chauffeurs ; la sensibilisation au tri des déchets et tri dans les stades ; l’assistance aux personnes en situation de handicap. C’est une véritable présomption de non salariat que la DGT tente d’imposer de manière totalement illégale au bénéfice notamment du COJO. Le guide propose même au cas où cela ne serait pas suffisant que l’organisateur adresse les fiches décrivant les missions proposées aux bénévoles à l’administration du travail, au niveau régional et, le cas échéant, en fonction de l’ampleur de l’évènement, au niveau central. En cas de validation par la hiérarchie du ministère du travail, même implicite, l’employeur pourra alors se prévaloir de sa bonne foi et neutraliser les contrôles de l’inspection du travail et les suites pénales en matière de travail dissimulé.

L’inspection du travail contournée

Comme pour d’autres unités spécialisées, la création en Ile-de-France d’une unité de contrôle spéciale au sein de l’inspection du travail pour contrôler notamment les chantiers des JO, Unité régionale d’appui et de contrôle des grands chantiers (URACGC), est une atteinte potentielle à l’indépendance de l’inspection du travail. En effet, la hiérarchie du ministère du travail pourrait être tentée de faire pression sur l’activité des quelques agent.es qui la composent afin de ne pas entraver la réalisation des chantiers dans les délais… Seule l’affectation à une section territoriale et généraliste permet aux inspectrices et inspecteurs du travail de résister aux pressions extérieures indues, interdites par l’article 6 de la Convention n° 81 de l’OIT.

Mais la DGT a fait encore plus fort en ce début d’année : elle a même validé la décision de créer des postes spécifiques JO 2024, le statut précaire de ces postes garantissant la soumission aux injonctions de dérégulation olympique. Ainsi, à la DRIEETS d’Ile-de-France, deux postes de « juriste droit du travail jeux olympiques et paralympiques » (nouvelle matière juridique en soi !) sera en charge d’instruire les demandes de dérogations à la durée du travail déposées par les entreprises concourant aux jeux olympiques et paralympiques et de les accorder selon la « doctrine de traitement définie ». C’est écrit dans la fiche de poste ! Une petite inspection du travail de poche et de complaisance !

Accréditation illégale : le précédent de l’EURO 2016

Notre syndicat avait été contraint lors de ce précédent évènement sportif de saisir le Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation de l’instruction DGT du 17 mai 2016 qui prévoyait la nécessité d’obtenir des accréditations, préalablement aux contrôles, pour accéder aux stades de foot.

Or, il y a tout à craindre que l’article L. 8113-1 du code du travail et de l’article 12 de la convention n° 81 ne soit pas strictement respecté lors des JO à venir. Pour mémoire, ceux-ci prévoient des dispositions précises et impératives : « Les inspecteurs et contrôleurs du travail ont un droit d’entrée dans tout établissement où sont applicables les règles énoncées au premier alinéa de l’article L. 8112-1 afin d’y assurer la surveillance et les enquêtes dont ils sont chargés. » ; « Les inspecteurs du travail munis de pièces justificatives de leurs fonctions seront autorisés: (a) à pénétrer librement sans avertissement préalable à toute heure du jour et de la nuit dans tout établissement assujetti au contrôle de l’inspection ; (b) à pénétrer de jour dans tous les locaux qu’ils peuvent avoir un motif raisonnable de supposer être assujettis au contrôle de l’inspection … »

D’ores et déjà, une note ambigüe de l’UD de Paris diffusée dans les services en novembre 2022, tout en rappelant que le droit d’entrée ne peut faire l’objet d’aucune limitation, indique : « dans certaines situations en lien avec de grands évènements (compétitions sportives mondiales, européennes) dont l’organisation s’étend sur tout le territoire, le sujet des accréditations est discuté par les autorités centrales (ministères de l’intérieur, des sports, et ministères concernés par d’éventuels contrôle sur sites). Les autorités centrales, en lien avec les services déconcentrés, identifient les services et agents pouvant intervenir dans les lieux des manifestations. Les modalités d’émission, la durée, et le périmètre des accréditations, sont discutés au niveau national en concertation avec les services déconcentrés. Les modalités de retrait sont elles aussi précisées dans ce cadre. » Pour nous, c’est clair, en aucun cas, la DGT peut imposer une accréditation à un agent de contrôle de l’inspection du travail. Seule la carte professionnelle doit être le cas échéant produite lors d’un contrôle pour exercer notre droit d’accès à toute heure du jour et de la nuit, dans tout établissement assujetti au contrôle de l’inspection du travail.

 

Nous exigeons que les JO 2024 ne soient pas un prétexte pour fragiliser les protections des travailleuses et des travailleurs. Il est urgent de garantir :

  • L’application du droit commun du code du travail et notamment le respect du repos dominical. Non à un droit du travail JO dérogatoire !
  • Le respect de l’indépendance de l’inspection du travail et le recrutement des effectifs sous statut, nécessaire pour pourvoir les postes vacants en sections d’inspection du travail
  • Doublement des sections d’inspection du travail
  • Suppression de l’URACGC, des unités de contrôle spécialisées et des postes précaires JO, pour renforcer l’inspection territoriale et généraliste
  • La titularisation de l’ensemble des contractuel.les actuellement en poste, par l’organisation d’un concours spécifique avec maintien de l’affectation géographique
  • Le respect de l’article L. 8113-1 du code du travail et de l’article 12 de la convention n° 81 de l’OIT sur le droit d’accès des agents de contrôle à tous les sites des JO  
  • La régularisation immédiate des sans-papiers qui interviennent sur les chantiers des JO et dans le cadre des prestations de service nécessaire à l’organisation des JO

 

Dans ce cadre, nous demandons la mise à l’ordre du jour d’un point JO au prochain CSA ministériel pour assurer le respect de nos prérogatives et de notre statut.