Deux notes non datées adressées par la DGT aux directeurs régionaux des DREETS et des DDETS intitulées respectivement « Les effectifs du SIT : principes, état des lieux et repères » et « Modalités d’exercices des missions » tournent activement dans les services depuis quelques jours. La première note, dite « de calibrage » (aie, aie, aie !!), invite chaque directeur.trice régional.e à définir, sur la base d’un état des effectifs, « l’organisation et le gabarit du SIT sur le périmètre régional », et à établir un plan pluriannuel décrivant son projet et des pistes d’action. La seconde note définit des « lignes directrices » destinées à organiser les modalités d’exercice des missions des agent.es de contrôle de manière à définir « des méthodes d’intervention adaptées ».
Des taux de vacance de sections d’inspection accablants
Pour la première fois, la DGT reconnaît officiellement ce que les organisations syndicales dénoncent déjà depuis des années concernant l’état dramatique des effectifs des services de l’inspection du travail. Ainsi, la DGT recense, au 31 mars 2021[1], pas moins de 260 sections vacantes sur l’ensemble du territoire national, soit un taux de vacance de 12.5 %. Cette situation perdure depuis des années puisque la cour des comptes, dans un rapport d’avril 2020[2], faisait déjà état d’un taux de vacances de plus de 15 % en moyenne en 2017. Malgré les redécoupages successifs destinés à faire chuter artificiellement le nombre de sections vacantes (fin 2016, on décomptait 2210 sections généralistes contre 2069 en 2020, soit une perte de 141 sections en quatre ans), ce taux de vacance était encore de plus de 10 % en 2019. La dernière infographie DGT en date[3] dresse un constat encore plus alarmant puisqu’elle fait état de 1741 sections pourvues pour un nombre de sections théoriques passé de 2068 à 2054, soit une suppression supplémentaire de 14 sections en seulement 5 mois ! Dans certaines régions et territoires, les taux de vacances sont exorbitants (41,18 % en Corse et plus de 20 % en Guyane et en Centre-Val de Loire).
Une inspection du travail dépecée et des services de renseignement à l’os
La DGT reconnaît par ailleurs que 1808 agent.es de contrôle seulement exercent encore leurs missions sur le terrain en section d’inspection et 146 agent.es en unité régionale. A titre de comparaison, à l’issue du PMDIT en 2011, on décomptait au total (UD + UR) 2246 agent.es de contrôles sur le terrain (796 inspecteurs du travail et 1450 contrôleurs du travail), soit une perte sèche de plus de 300 agent.es en dix ans[4] équivalant à 20 % des effectifs !
De leur côté les assistant.es de contrôle ne sont plus aujourd’hui que 629 en ETP (contre 940 en 2009, soit une baisse de presque 33 % des effectifs en à peine plus de dix ans).
La situation des agent.es des services renseignements – que le ministère cherche à remplacer par le code du travail numérique et un serveur vocal interactif – n’est pas plus enviable puisque le ratio y est supérieur à 56.000 salarié.es et à 5.000 établissements par agent.e, pour un total de 365 ETP (contre 580 en 2009, soit une baisse de presque 40 % des effectifs en à peine plus de dix ans.). Là encore, avec de grandes disparités entre régions : un ETP pour 102 529 salarié.es en Ile-de-France, par exemple !
Cette situation catastrophique est le résultat de l’austérité budgétaire et le fruit des réorganisations visant à mutualiser et à réduire les coûts, en administration centrale comme en services déconcentrés (RGPP, MAP, fusion des régions et aujourd’hui OTE). Elle est aussi la conséquence de la réforme « Ministère fort » qui a abouti à la mise en place des UC et à la création des postes de RUC qui sont autant de postes en moins déployés sur le terrain. Il y a dix ans le ministère voulait hisser la France au niveau des standards européens via le PMDIT. Aujourd’hui il organise sans vergogne la chute de nos services dans les profondeurs du classement des moyens accordés à l’inspection du travail par les pays industrialisés.
« Les zones d’ombre », zones de non-droit où s’exerce l’impunité patronale
Face à ce constat accablant, que propose la DGT ? Elle explique vouloir « calibrer » les services de l’inspection du travail pour garantir « un gabarit de service » à même « d’assurer une organisation harmonisée sur l’ensemble du territoire et ainsi assurer un principe d’égalité pour les usagers, et une application la plus homogène possible de la législation du travail et ainsi éviter les « zones d’ombre».
Faut-il voir, masquée sous ce jargon technocratique, la reconnaissance tardive de l’existence de zones de non-droit – comme nous les avions nommées – de la règlementation du travail (les sections vacantes), où l’impunité patronale s’exerce sans contrôle ? Va-t-on nous annoncer enfin un plan massif de recrutement permettant de compenser les baisses d’effectif des dix dernières années ? Pouvons-nous espérer un retour des effectifs, notamment de RUC, sur le terrain ?
Que nenni ! Confrontés aux situations d’intérims structurels qui se multiplient, les agent.es sont toujours invité.es à prioriser les tâches « en tenant compte de l’urgence et de la gravité des situations rapportées » tout en continuant de prendre en charge impérativement les demandes d’autorisation ou de dérogation supposant une décision administrative ainsi que les enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves. Bref, ils/elles sont invité.es à gérer la pénurie et à ménager les apparences ! Pour le principe d’égalité des usager.ères devant le service public et l’application homogène du droit du travail, on repassera donc plus tard !
Nouveau coup de rabot à l’horizon
Dans le même charabia imbitable, la DGT préconise « d’affiner le modèle d’organisation cible » en menant une réflexion sur « le calibrage du nombre de sections d’inspection ». Traduction : afin de masquer la pénurie d’effectifs, préparez-vous à de nouveaux redécoupages de territoires par application des mêmes ratios statistiques (ratio « agent.e de contrôle/effectif salarié » de 1/10.000 et ratio « agent de contrôle/établissement contrôlé » de 1/1.000). Rien de nouveau sous le soleil, donc ! Enfin, curieusement, là où le ratio est déjà bien dépassé (en Ile de France avec 11525 salariés pour un agent de contrôle et en Pays de la Loire avec 10071 salariés pour un agent de contrôle en 2019), aucune création de section n’est prévue…
Face à l’OTE, sauve qui peut !
La DGT reconnaît que les effectifs des services de renseignement « ne doivent globalement plus diminuer ». Et de poursuivre : « Un repère d’un agent d’assistance pour 4 agents d’UC doit permettre de fixer le gabarit minimal » (sic). « Un effectif socle et donc minimal de 2 agents d’assistance par UC doit être retenu afin d’assurer1a continuité du service notamment en période de congés ou d’absence diverses. »
La DGT fait ainsi mine de « sanctuariser » des moyens humains, mais cette tentative masque difficilement son accompagnement des suppressions de postes survenues ces dix dernières années : de deux secrétaires pour une section avant la réforme Sapin, nous sommes passé-e-s à un.e assistant.e pour 3 agent-e-s et maintenant à un.e pour 4… Ou s’arrêtera la chute ?
Appui, animation et pilotage
Alors qu’un des paradoxes – et non des moindres, de la réforme « Ministère fort » est d’avoir éloigné les agent.e.s de contrôle du terrain en contribuant à soustraire des effectifs des agents préalablement affectés au contrôle, la DGT conforte pourtant les RUC dans leurs missions d’appui, d’animation et de pilotage réaffirmant la nécessité qu’ils puissent « entièrement se dédier à ces missions, essentielles pour l’efficacité de l’action de l’inspection du travail ». Comme dans l’armée mexicaine, ceux / celles qui donnent les ordres seront bientôt plus nombreux.ses que celleux qui doivent y obéir !
La note rappelle aussi l’importance primordiale des objectifs de résultat de chacun des axes prioritaires définis nationalement. Pourtant conspuée pour ses effets pervers et contre-productifs dans un rapport du Sénat publié en 2019[5] (éloignement des agents du terrain, majoration artificielle du nombre d’interventions, stratégies de contournement au détriment de l’action qualitative), la politique du chiffre et du bâton a visiblement encore de beaux jours devant elle !
L’inspection du travail pour les nuls
Last, but not least (on a gardé le meilleur pour la fin) : la note intitulée « Modalités d’exercice des missions » se présente comme un petit manuel à l’attention des agent.es de toute la ligne hiérarchique, destiné à leur apprendre comment gérer la pénurie, comment éconduire l’usager.ère lorsqu’on n’a plus les moyens d’exercer ses missions dans des conditions normales et satisfaisantes. Sous le prétexte de définir « des méthodes d’intervention adaptées », les injonctions fusent : « expliquer aux usagers « ce qu’on fait et ce qu’on ne fait pas » (sic), traiter le moins possible la demande individuelle (alors qu’en matière de code du travail la réclamation individuelle est le plus souvent l’expression d’un droit collectif), prioriser ses tâches, bien orienter les usagers en fonction de leurs demandes, préparer ses rendez-vous en les organisant à l’avance, savoir passer le relai et agir avec d’autres acteurs, utiliser les effets levier pour accroitre l’impact », etc.
L’annonce d’un nouveau renforcement de la chaine hiérarchique et de son pouvoir de contrôle sur l’activité des agent.es qui demandent juste les moyens de pouvoir travailler est insupportable.
Nous refusons cette politique qui consiste à couper les agent.es de la demande individuelle pour les déconnecter totalement du terrain et du travail réel. Nous condamnons cette vision d’un « système d’inspection du travail » qui ne vise pas à traiter la demande sociale, mais à répondre à une commande politique et descendante.
Dix ans de saignée dans les effectifs, auxquels s’ajoutent maintenant l’OTE, sont en passe de priver l’inspection du travail de toute capacité effective d’intervention au service des usagers. La CGT continue de porter les exigences suivantes :
– Arrêt immédiat des projets de suppressions de section (PACA, Grand Est) ;
– Plan massif de recrutement pour pourvoir au plus vite les postes vacants et recréer les postes supprimés, poursuite des recrutements dans la durée pour atteindre 5 000 agent-e-s de contrôle ;
– Recrutements pour garantir un.e assistant.e pour 3 agent-e-s de contrôle a minima, proposition de titularisation pour toutes et tous les collègues non titulaires ;
– Recréation de tous les postes perdus dans les services de renseignement depuis 2011, pour un renseignement accessible aux usager-e-s, délivré par des agent-e-s et non par ordinateur !
[1] « Enquête flash » sur les effectifs, arrêtée au 31 mars 2021 à partir des données remontées par les DREETS
[2] Rapport de la cour des comptes : le bilan de la transformation de l’inspection du travail (exercice 2014 à 2019) – page 87
[3] Enquête flash en date du 31 août 2021
[4] Rapport de la cour des comptes : le bilan de la transformation de l’inspection du travail (exercice 2014 à 2019) – page 89
[5] Rapport du 25 septembre 2019 : « l’inspection du travail en France : un modèle à renforcer »