Depuis 2020, MIDDLENEXT, un lobby patronal qui prône une déréglementation en matière sociale, exerce un droit de regard et de proposition sur les formations des inspecteurs du travail en siégeant au conseil pédagogique et scientifique de l’INTEFP.
L’enjeu du contenu de la formation statutaire des IT est considérable dans la mesure où une large partie des effectifs de l’Inspection du Travail va être massivement renouvelée dans les prochaines années. Il est de notre devoir à tous de veiller à ce que la formation de nos futurs collègues ne soit pas façonnée par une idéologie aux antipodes des valeurs qui fondent l’Inspection du Travail. C’est aujourd’hui à l’ensemble du corps de l’Inspection du travail de se préoccuper des nouvelles transformations de l’INTEFP, d’autant que les organisations syndicales ont été récemment exclues de son Conseil d’Administration[1].
Un lobby pour “hacker les règles sociales”
MIDDLENEXT est une association professionnelle française représentative des entreprises moyennes cotées. Elle est notamment connue pour publier un Code de Gouvernance, destiné à produire des recommandations sur la conduite des sociétés cotées. Mais MIDDLENEXT est avant tout un lobby patronal déréglementariste !
Dans sa newsletter de Novembre 2016[2] destinée à ses membres, l’association se réjouit d’avoir modifié le projet de loi Sapin II (p. 3): “Nos actions auprès de Bercy avaient déjà permis de remporter quelques victoires : Abandon de l’obligation faite à toutes les SA à Conseil d’Administration cotées ou non de constituer un comité des rémunérations […] Abandon de l’obligation de nommer 2 représentants des salariés dans chaque conseil quelle que soit la taille de l’entreprise”.
Est encore plus transparente et explicite sa page de présentation[3] : “Middlenext est régulièrement consultée et intégrée à tous les groupes de réflexions dans le but de proposer des solutions concrètes qui préservent l’environnement économique, financier et boursier des entreprises cotées en levant les obstacles et les rigidités réglementaires, étatiques ou corporatistes.”
Cet élan déréglementariste ne s’arrête pas aux matières fiscales. Dans la même newsletter[4], on y apprend la volonté de MIDDLENEXT de tout simplement vouloir “hacker les règles en vigueur pour simplifier la vie des entreprises moyennes en matière de droit social”.. À cet objectif, MIDDLENEXT cite par exemple un accord de la DGT, de l’ARACT et…de l’INTEFP pour faire de Lyon un “Territoire d’Excellence Travail”.
De manière cynique, MIDDLENEXT explique (p. 10 et 11) s’être appuyé sur une structure ad hoc, LeDoTank, créée et gérée en tout ou partie par elle-même. Comme il est expliqué dans la newsletter, cette association semble n’être qu’un cheval de Troie constitué dans le seul objectif de diffuser une parole déréglementariste sous le couvert d’un pseudo Thinktank:
- “Compte tenu de l’ampleur des travaux et de la typologie des acteurs à impliquer, il n’était pas possible que ce soit hébergé par Middlenext et il a donc été nécessaire de créer une autre association : Le DO Tank”
- “Ceci (ndlr: l’accord sur le Territoire Excellence Travail) n’a été rendu possible que par le fait […] que la demande émanant de Le DO Tank, et non pas seulement de Middlenext (association patronale), a permis l’accord des pouvoirs publics et de leur gouvernance paritaire (CGT, CFDT…)”.
MIDDLENEXT et INTEFP: un mélange contre-nature
La présence d’un lobby patronal déréglementariste au sein des instances de l’INTEFP apparaît manifestement illégitime et problématique au regard des missions de cet établissement public, lesquelles sont[5] :
- à titre principal, une fonction « école » comportant la formation initiale des membres des corps de l’inspection du travail ainsi que la formation continue de l’ensemble des personnels de la sphère travail, emploi, formation professionnelle ;
- à titre secondaire, une fonction « institut » de valorisation de ses compétences au travers d’actions de partenariat et de coopération nationales et internationales ainsi que de travaux de veille et de recherche ; à noter que depuis 2016, l’INTEFP concourt à la création et à la dispensation de formations sur le dialogue social communes aux partenaires sociaux (article L. 2212-1 du code du travail), laquelle semble cantonnée à une simple « mission d’impulsion, voire de régulation»[6].
C’est précisément le Conseil Pédagogique et Scientifique (CPS), organe central de l’ensemble des formations INTEFP (et donc, en tout ou partie, des formations initiales et continues des inspecteurs du travail), que MIDDLENEXT a intégré !
Le CPS émet en effet des avis et des propositions sur les orientations stratégiques de l’INTEFP, sur le contenu et les méthodes pédagogiques des formations dispensées[7]. A titre d’exemple, il a récemment présenté plusieurs propositions au Conseil d’Administration (CA) de l’INTEFP concernant la réforme de la formation initiale des inspecteurs du travail ou sur les modalités du stage en entreprise des IET.
La nouvelle composition du CPS issue de l’arrêté du 16 juin 2020[8], établie sur proposition du président du CA, intervient à la suite du rapport de la Cour des comptes de 2019 mais ne poursuit pas la logique proposée par ladite juridiction !
La Cour avait en effet relevé plusieurs dysfonctionnements de l’instance, à commencer par son inexistence juridique à partir de 2014, son fonctionnement « erratique » ainsi que « l’absence, en son sein, de représentants des directions métiers du ministère du travail (DGT, DGEFP, DARES) »[9]. Non seulement, la composition actuelle n’intègre pas les dits représentants[10] mais en aucun cas la Cour n’a recommandé l’ouverture du CPS aux milieux patronaux, à fortiori aux lobbies ![11][12]
Au-delà des enjeux de principe, la représentante de MIDDLENEXT ne correspond pas à la qualité d’ « experte sur les questions d’emploi, de travail et de formation professionnelle » au titre de laquelle elle figure comme membre du CPS.
Madame Caroline WEBER, Directrice générale de MIDDLENEXT, arbore un profil « affairiste » de cheffe d’entreprise, administratrice de diverses structures, experte des marchés de cotation, de « gouvernance » et autre RSE[13]… A l’instar de MIDDLENEXT qui consacre l’essentiel de son action à la (dé)réglementation financière ! Le seul élément que nous avons pu retrouver en lien direct avec la matière travail/emploi/formation est sa participation en 2017 à un événement de l’ARACT/ANACT, dont le directeur de l’époque est l’actuel directeur de l’INTEFP[14].
En pratique : lors d’un module “Connaître l’entreprise” qui s’est déroulé fin mai 2022, Mme WEBER est intervenue devant les IET en tant que consultante RSE. Elle était accompagnée du DRH et de représentants des salariés d’une entreprise présentée par ses soins comme un modèle à suivre en matière sociale. Outre le fait que son intervention a éveillé les esprits critiques, Mme WEBER a omis de nous préciser qu’elle était membre du conseil d’administration et de surveillance de l’entreprise dont elle vantait les mérites[15]. Ce curieux mélange des genres et ce manque de transparence sont peut-être répandus dans le secteur privé. En revanche, cela nous semble inadmissible dans un institut de formation d’agents de contrôle où la transparence et la déontologie sont censés régner, et sont en tous cas martelés sans cesse aux IET et aux agents.
Clarifier et améliorer la composition du Conseil pédagogique
Au-delà de la présence de MIDDLENEXT, qui en reste l’élément le plus problématique, la composition actuelle du Conseil Pédagogique et scientifique pose un certain nombre de questions :
- Pourquoi n’y-a-il pas de représentants des organisations syndicales interprofessionnelles représentatives (notamment au regard de la mission de dialogue social de l’INTEFP) ?[16]
- Pourquoi ne pas intégrer au CPS les directions métier du ministère du travail (DGT, DGEFP, DARES) comme l’a recommandé par la Cour des Comptes ?
- Pourquoi ne retrouve-t-on pas (comme dans les autres écoles du service public) des représentants des agents du ministère du travail, notamment des inspecteurs du travail et des agents de renseignement ?
POUR TOUTES CES RAISONS, NOUS DEMANDONS :
- L’éviction de MIDDLENEXT du conseil pédagogique et scientifique (CPS)
Le règlement intérieur de l’INTEFP[17] indique que la durée du mandat des membres du CPS est de trois ans, renouvelable. Les mandats en cours arriveront à leur terme en juin 2023. A ce titre, nous demandons le non-renouvellement du mandat de MIDDLENEXT !
- L’intégration des représentants des agents du ministère, notamment agents de contrôle, et des inspecteurs-élèves élèves au sein du CPS
Étant attachés à ce que les formations dispensées par l’INTEFP répondent au mieux aux besoins des agents, il nous semble indispensable d’intégrer au sein de cette instance des représentants des agents du ministère du Travail. A notre connaissance[18], l’INTEFP fait figure d’exception en ce qu’elle est l’une des seules écoles du Réseau des Écoles de Service Public à ne pas les inclure dans une telle organisation. Dans un souci de perfectionner la formation statutaire, nous proposons également l’intégration de représentants d’élèves, actuels ou anciens, au sein du CPS comme ce qui existe dans d’autres écoles (l’INSP[19], l’EHESP[20], l’INP[21] et l’ENSSIB[22]).
- La réintégration des organisations syndicales au sein du conseil d’administration de l’INTEFP
La section CGT des IET 2022
[1] Décret n° 2021-1706 du 17 décembre 2021 modifiant le décret n° 2005-1555 du 13 décembre 2005 relatif à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle
[2] Edito – Raison contre gesticulation – P. 3 document joint
[3] Qui sommes-nous ? – Middlenext
[4] Edito – Raison contre gesticulation – p. 11 – document joint
[5] Décret n°2005-1555 du 13 décembre 2005 relatif à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, article 2 ; Rapport de la Cour des comptes du 28/10/2019, « L’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (Intefp) : une refondation nécessaire sur tous les plans », page 1
[6] Rapport de la Cour des comptes du 28/10/2019, p. 5
[7] Décret n°2005-1555 du 13 décembre 2005 relatif à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, article 15
[8] Arrêté du 16 juin 2020 portant nomination au conseil pédagogique et scientifique de l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle
[9] Rapport de la Cour des comptes du 28/10/2019, page 2
[10] Est seulement intégré le chef de pôle T de la DREETS Auvergne-Rhône-Alpes
[11] L’ « ouverture » visée par la Cour dans sa recommandation n°2 concernait uniquement les formateurs de l’école et les publics cibles des formations de l’institut.
[12] Middlenext n’est pas une organisation patronale représentative mais bien une “association d’employeur”
[13] D’après les informations publiques affichées sur les sites ledotank.com, droitetcroissance.fr.
[14] https://www.anact.fr/retour-sur-le-premier-juridikthon-organise-par-lanact-et-le-dotank
[16] Monsieur Jean-François NATON, Conseiller confédéral CGT, étant membre du CPS en sa seule qualité de vice-président du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
[17] Règlement intérieur de l’INTEFP, art. 53.
[18] LES ECOLES | RESP (resp-fr.org)
[19] Conseil pédagogique | Institut national du service public | INSP
[20] Membres du Conseil des Formations de l’EHESP – Mandature 2021-2025 Président : Fred PACCAUD
[21] COMPOSITION DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L’INSTITUT NATIONAL DU PATRIMOINE Président
[22] Le conseil scientifique |Enssib