Nous étions 1.8 millions dans la rue le 19 janvier et plus de 2,5 millions le 31 janvier pour demander le retrait d’une réforme injuste et injustifiée qui pèsera plus particulièrement sur les travailleur.ses les plus fragiles. La mobilisation est historique ! Maintenant, il faut enfoncer le clou !
Et pour entraîner encore plus de monde, démystifions le projet gouvernemental et ses éléments de langage !
Vous avez dit « pénibilité » ?
La pénibilité physique au travail et l’usure professionnelle constituent des facteurs considérables d’inégalités. Une note de l’Observatoire des inégalités de septembre 2022 révèle que les conditions de travail sont de plus en plus inégales en France. La pénibilité physique au travail affecte surtout les moins qualifié.es : les jeunes de milieux populaires et les femmes sans diplôme. Sur la dernière décennie, les principaux indicateurs d’inégalités ne diminuent plus.
Or, le recul de l’âge de la retraite affecterait en premier lieu les travailleur.ses les moins qualifié.es, rentré.es tôt sur le marché du travail et qui ont eu les conditions de travail les plus pénibles. En effet, alors qu’iels commencent à travailler plus tôt, les ouvrier.es profitent également moins longtemps de leur retraite parce que leur espérance de vie est plus courte. L’écart entre cadres et ouvrier.es se creuse plus encore lorsque l’on considère l’espérance de vie sans incapacité. Les ouvrier.es vivent en moyenne six ans de moins que les cadres et dix ans de moins sans incapacité́. Les salarié.es qui ont eu les métiers et les conditions de travail les plus dures risquent de ne pas pouvoir travailler jusqu’à 64 ans ou d’être mort.es avant ! La France est tristement championne d’Europe des accidents du travail mortels. Cette situation, déjà inacceptable avant la réforme va encore se détériorer et aggraver les inégalités. En effet, selon l’Insee, 25% des hommes les plus pauvres sont déjà morts à 62 ans (« contre » 5% des plus riches). Ce chiffre sera porté à 29% si la réforme reporte l’âge légal à 64 ans.
En contrepartie, le gouvernement nous promet que son projet permettra « d’améliorer la prise en compte de la pénibilité » par l’abaissement de certains seuils et le déplafonnement des points du Compte professionnel de prévention (C2P). Pourtant, c’est ce même gouvernement qui a supprimé, à peine arrivé au pouvoir, 4 des 10 critères de pénibilité (les postures pénibles, le port de charges lourdes, les vibrations mécaniques et les risques chimiques) initialement censés permettre aux salarié.es exposé.es de partir jusqu’à 2 ans plus tôt à la retraite.
Par ailleurs, ce dispositif, qui repose uniquement sur des déclarations faites par les employeur.ses, ne remplit déjà que très partiellement son rôle puisque moins de 4000 salarié.es par an bénéficient du dispositif pour partir avant l’âge légal. Dans un rapport publié fin 2022, la Cour des comptes critique elle-même un « dispositif voué à n’exercer qu’un effet réduit, sans impact sur la prévention » et qui « n’est pas à la hauteur des objectifs qui lui étaient assignés, dans un contexte où l’âge légal de départ en retraite recule par ailleurs ».
C’est sans compter sur le biais réducteur de la définition de la pénibilité. Les risques psychiques sont par exemple totalement oubliés. Or, nombreux.euses sont les salarié.es à nous saisir pour des situations de souffrance au travail. Et c’est aussi particulièrement vrai pour les femmes pour qui de nombreux facteurs de risques demeurent occultés.
La prétendue prise en compte de la pénibilité à la sauce Borne n’est qu’un alibi social destiné à faire passer la pilule d’une réforme imprégnée du dogme austéritaire et néolibéral.
Emploi des séniors : « ni en emploi ni en retraite »
Le gouvernement vante ce que les économistes appellent « l’effet horizon » : décaler l’âge de la retraite permettrait de maintenir les séniors plus longtemps en emploi du fait de l’adaptation du comportement des entreprises. Le gouvernement projette ainsi une augmentation du taux d’emploi des séniors de 300 000 personnes.
Or, ce que le gouvernement ne dit pas, c’est que cet effet est mineur. Mais surtout, le recul de l’âge de départ à la retraite se fera au prix d’une augmentation du nombre de personnes sans emploi ni retraite. Car il a été observé que ce recul rallonge d’autant la période de précarité des personnes qui sont déjà sans activité (au RSA, au chômage, en inactivité, en longue maladie ou en invalidité…), ni retraite. Un.e salarié.e sur deux qui fait valoir ses droits à la retraite n’est déjà̀ plus en emploi.
Autrement dit, le recul de l’âge de départ à 64 ans conduirait à un désastre social en rallongeant mécaniquement le sas de précarité qui existe entre l’emploi et la retraite pour celleux qui ne perçoivent ni revenu d’activités ni pension. La réforme augmentera également le nombre de retraité.es pauvres puisqu’elle conduira mécaniquement, à terme, à une baisse du niveau des pensions des salarié.es concerné.es. Ce sont bien évidemment les femmes qui paieront le plus lourd tribut du fait de carrières fracturées, des temps partiels subis et des écarts de salaire (en moyenne inférieur de 22 % à celui des hommes) qui se répercutent déjà sur le niveau de leurs pensions aujourd’hui en moyenne inférieur de 40 % à celui des hommes.
Et quant à l’index séniors – qui obligerait les entreprises, de plus de 300 salarié.es uniquement, à publier d’ici à juillet 2024, des indicateurs relatifs au taux d’emploi des salarié.es de plus de 55 ans, ce n’est certainement pas lui qui incitera les employeur.ses à conserver les séniors en emploi ! Construit à l’image de l’index égalité mis en place en 2019, ce type de dispositif est une véritable usine à gaz, sans aucune garantie de transparence puisque ce sont les employeur.ses qui construisent leur index en totale opacité et sans garantie d’efficacité. Ainsi, la BNP ou le Crédit Agricole ont pu annoncer fièrement un score exemplaire à l’index égalité femmes-hommes alors que ces sociétés étaient condamnées dans le même temps pour discrimination sexiste contre certaines de leurs salariées… Et l’on sait déjà que le futur index senior n’aurait aucun caractère coercitif quant à l’emploi effectif des séniors : pas d’obligation sur le fond, pas de sanction financière en cas d’insuffisance d’emploi ou de mesures favorisant l’emploi, mais seulement une « obligation renforcée de négociation d’un accord social » …!
Nos services de l’Emploi et de l’Inspection du travail sont bien placés pour savoir ce qu’il en est de la pénibilité au travail ou de l’emploi des séniors. Combien de « séniors » foutus à la porte voyons-nous partir dans des plans de départs volontaires et des licenciements pour inaptitude ? Et pourtant, nous n’avons jamais été consultés sur le sujet ! C’est dommage car nous avons des choses à proposer pour alimenter les caisses de retraites grevées par toutes ces cotisations sociales évaporées:
- Des moyens réels pour assurer l’égalité professionnelle et la lutte contre les discriminations dans les entreprises
- Des moyens pour la lutte contre l’emploi et les heures de travail dissimulés et la régularisation des sans-papiers
- De réelles sanctions contre l’abus de recours aux contrats précaires