Le crépuscule du droit pénal du travail (Tract commun SNTEFP-CGT / Syndicat de la magistrature / Syndicat des avocats de France)

Le 27 février 2014, le Sénat rejetait la réforme de l’inspection du travail – curieusement incluse dans le projet de loi sur la formation professionnelle – contraignant le ministre du travail à retirer son texte. Pour autant, le gouvernement n’a pas renoncé : malgré l’opposition des parlementaires et la mobilisation des organisations syndicales, dénonçant l’atteinte portée à l’indépendance de l’inspection du travail, il a commencé par recourir à un décret pour imposer aux 2230 inspecteurs et contrôleurs le volet de la réforme consacré à la réorganisation du corps d’inspection.

Restait le volet de la réforme relatif à leurs pouvoirs : il revient plus discrètement sous la forme d’une proposition de loi, actuellement en cours d’examen à l’Assemblée Nationale, évidemment selon la procédure d’urgence.

L’objectif est vertueux – « renforcer l’efficacité des contrôles » – et le postulat commode : la justice pénale est notoirement inefficace pour sanctionner les infractions au code du travail. Les dispositions de la proposition de loi pourraient donc sembler de bon sens puisqu’il s’agit d’abord de court-circuiter, en pratique, le procureur de la République en créant des amendes administratives pour sanctionner les infractions au « socle de base en matière de respect des droits des salariés ». Mais que l’on se rassure : les apparences seront sauves puisque les incriminations pénales existantes resteront virtuellement dans le code. Il s’agit ensuite de mettre en place un mécanisme de transaction pénale pour l’essentiel des infractions au code du travail.

En dépit de bien maigres avancées, comme l’extension de la possibilité de faire cesser des travaux en cas d’atteinte à la santé et à la sécurité des travailleurs, cette proposition organise donc la dépénalisation rampante du droit du travail : la justice sera exclue, en droit ou de fait selon les cas, des mécanismes de sanction, lesquels relèveront du directeur régional du travail (DIRRECTE) alors même que son statut ne lui confère aucune garantie d’indépendance.

Au mépris du principe fondamental d’égalité devant la loi pénale, ce transfert de compétence offrira aux employeurs une alternative commode pour échapper au risque des poursuites pénales qui nuisent tant à leur image. Ils pourront ainsi négocier avec l’administration, à l’abri des regards, les conséquences de leurs choix dans des domaines aussi importants pour les droits des travailleurs que les règles régissant le contrat de travail, le recours à l’intérim, le droit disciplinaire, la durée du travail, la rémunération. Et, mis à l’écart de ces procédures, ni les travailleurs ni les organisations syndicales qui défendent leurs intérêts ne pourront faire entendre leur parole et faire valoir les droits des victimes de ces infractions.

Ainsi les graves carences de la justice dans la mise en œuvre du droit pénal du travail – toujours sacrifié au profit de la sacro-sainte comparution immédiate des auteurs d’infractions de droit commun – servent de prétexte à sa démission. Renonçant à une réflexion ambitieuse pour restaurer le respect de l’ordre public social dans l’intérêt de la société, le gouvernement préfère transférer à l’administration la répression de ces infractions.

Alors que les impératifs de protection sociale sont de plus en plus forts, le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des Avocats de France, et le Syndicat Nationale CGT Travail Emploi Formation Professionnelle dénoncent les choix du gouvernement et la banalisation des violations du droit du travail qu’ils entérinent. Il appelle les parlementaires à résister à ces projets qui, après la loi dite « de sécurisation de l’emploi », relèguent au second plan les missions de contrôle et de sanction incombant au juge judiciaire en même temps qu’ils dévaluent le droit du travail au détriment de la protection des salariés.

Paris le 21 mai 2014

 

 

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