Loi sur les nouveaux pouvoirs de l’inspection du travail : non à la dépénalisation du droit du travail !

La proposition de loi prétendant renforcer les pouvoirs de l’inspection du travail sera bientôt en débat au Parlement. Il s’agit de la seconde partie de la réforme mise en œuvre par le gouvernement, après le décret créant les unités de contrôle. La proposition de loi reprend pour l’essentiel le projet rejeté en février par le Sénat.

Le texte de loi comporte certes quelques avancées (alourdissement des peines pour obstacle, élargissement du droit à communication, extension des arrêts de travaux). Mais, par l’introduction des sanctions administratives et de la transaction pénale, il porte un véritable projet de dépénalisation du droit du travail et chercher à éloigner les patrons des tribunaux et des audiences publiques.

Indépendance et concertation avec le patronat ne font pas bon ménage

Le texte entend inscrire dans le code du travail la garantie d’indépendance des agents de contrôle et leur liberté d’initiative et dans les suites données aux contrôles. C’est un point positif. Sauf qu’il inscrit dans le même temps dans le code du travail la définition par le ministre des orientations et priorités annuelles de l’inspection du travail. Autrement dit, l’indépendance et la liberté de décision s’exerceront dans le cadre défini par le ministre, et relayé par les RUC sur le terrain.

Ces priorités seront définis après consultation des syndicats de salariés et… des organisations patronales, c’est-à-dire ceux qui sont contrôlés et peuvent être sanctionnés ! Imagine-t-on la police soumettre ses objectifs en matière de lutte contre la délinquance ?

Nouveaux pouvoirs… pourquoi si peu ?

Le texte propose l’extension du pouvoir d’arrêter des travaux dangereux par simple décision à effet immédiat (équipements de travail sans protecteur, activités à proximité de lignes électriques, risques de contact avec des pièces nus sous tension, arrêt de travaux pour risque de chute de hauteur étendu à toutes les activités et plus seulement les chantiers, amiante)

Cette mesure répond à une revendication des agents de l’inspection du travail (exprimée lors des assises de 2012). En revanche, on ne connaît pas les raisons qui limitent cet élargissement alors qu’il est jugé efficace et très utilisé. En matière de santé et de sécurité, les motifs ne manquent pourtant pas. Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi la santé et la sécurité serait le seul champ à faire l’objet d’arrêt d’activité, ou de nouveaux pouvoirs – comme si le problème ne se posait pas concernant l’ensemble de la réglementation du travail.

C’est qu’il aurait fallu poser le problème autrement, c’est-à-dire partir des revendications des agents, exprimées lors de assises nationales de 2012, et réfléchir à de nouveaux textes : par exemple sur la mise en cause des donneurs d’ordre, la reconnaissance de l’UES par décision administrative, la limitation de la sous-traitance, le renforcement des représentants du personnel, etc.

Mais cela, il n’en peut en être question pour un gouvernement attaché depuis deux ans à démanteler les garanties individuelles et collectives des salariés !

Sanctions administratives et transaction pénale : les patrons à l’abri

La CGT est opposée aux sanctions administratives et la transaction pénale.

Ces mesures seraient en effet aux mains du DIRECCTE, qui travaille sous l’égide du préfet et sous statut d’emploi, et ne bénéficie d’aucune garantie d’indépendance (vis-à-vis des entreprises comme du pouvoir). Les dossiers politiquement sensibles pourraient donc être facilement enterrés.

Elles visent ainsi à transférer une partie des (faibles) moyens de la justice sur l’administration qui en a également de moins en moins (austérité oblige). Les graves carences de la justice dans la mise en œuvre du droit pénal du travail servent de prétexte à sa démission. Le gouvernement renonce à tout renforcement du respect de l’ordre public social, au profit des comparutions immédiates pour les auteurs d’infractions de droit commun, pour lesquelles la justice est mobilisée ;

Surtout, elles vont faire des des patrons une catégorie à part, protégée de la justice pénale et des audiences publiques, dont les infractions se régleront en toute discrétion dans les bureaux feutrés des DIRECCTE (voire du ministre) et plus dans les tribunaux. Elles font passer l’idée que les infractions à l’ordre public social seraient moins graves que d’autres, et surtout négociables. Une façon commode de réduire la délinquance patronale, et surtout d’éviter tout débat public sur les responsabilités des patrons et les conséquences de leurs choix ;

Elles vont empêcher les ayants-droits et les organisations syndicales de se porter partie civile aux procédures. La loi ne prévoit en effet qu’une information, sans préciser si une intervention sera possible. En outre, ils ne pourraient exercer de recours contre les décisions du DIRECCTE. C’est encore couper un peu plus les usagers des agents de l’inspection du travail, dont les procès-verbaux sont souvent attendus ;

Enfin, la transaction et les sanctions ne permettent pas de faire jouer la récidive. La transaction pénale risque également de s’opposer à la mise en œuvre de dispositions du code pénal, plus sévères, sanctionnant l’atteinte à l’intégrité physique du salariés (accidents du travail, maladies professionnelles, exposition longue à des substances dangereuses).

Le patronat, malgré ses cris, y trouvera son compte. Ainsi, la chambre de commerce de Paris loue déjà la transaction pénale pour sa « rapidité et sa confidentialité qui sera de nature à rassurer les chefs d’entreprise » !

Les députés PS assurent que les incriminations actuelles resteront dans le code du travail et que les salariés et les syndicats conserveront leurs droits à porter plainte. Mais il ne fait guère de doute que les agents de contrôle, à l’activité programmée par les RUC, seront incités à privilégier la voie interne à la voie pénale. La réforme trouve ainsi sa cohérence.

Dans les faits, ce sont des mécanismes silencieux, à l’abri des regards et à l’écart des syndicats, qui vont se mettre en place, augurant une dépénalisation rampante des infractions au droit du travail. C’est bien la banalisation des violations au droit du travail qu’entérine ce gouvernement au service des patrons.

Pas de droits nouveaux sans effectif de contrôle et sans droit pour les salariés !

Quoi qu’il en soit, il est vain de prétendre vouloir renforcer les moyens de l’inspection du travail lorsque dans le même temps on y supprime des postes : la question des pouvoirs est liée à celle des effectifs.

Le ministre peut créer les moyens qu’il veut, ils ne seront d’aucun effet s’il n’y a personne pour les appliquer. Les suppressions de postes liées à l’austérité et à la réforme, cela veut dire concrètement que les entreprises vont être moins contrôlées et que les salariés auront un accès réduit à l’inspection du travail. Renforcer les moyens de l’inspection du travail, pour la CGT, c’est avant tout l’arrêt immédiat des suppressions de postes et le doublement les effectifs de contrôle et de secrétariat.

Bien évidemment, renforcer l’effectivité du droit du travail nécessite de renforcer le pouvoir actuel des institutions représentatives du personnel ainsi que les droits des salariés. Comment un salarié peut-il demander à son employeur de respecter ses droits lorsqu’il craint d’être victime de représailles pouvant aller jusqu’au licenciement ? La mise en œuvre d’une véritable protection des salariés contre le licenciement permettrait à ces derniers de mieux faire valoir leurs droits dans l’entreprise.

A l’occasion du débat sur la loi, la CGT propose aux agents de se rassembler pour une large mobilisation associant les syndicats de salariés et les structures interprofessionnelles.

Paris le 3 juin 2014

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