Proposition de loi sur les nouveaux pouvoirs de l’inspection du travail : l’analyse de la CGT

La proposition de loi dite « nouveaux pouvoirs » qui sera débattue prochainement à l’Assemblée Nationale constitue la seconde partie de la réforme de l’inspection du travail mise en œuvre par l’ex-Ministre du Travail, Michel SAPIN. Le changement de Ministre et de DGT n’aura pas modifié d’un iota le projet ministère fort, la proposition de loi déposée par les députés PS reprenant le projet adopté le 7 février 2014 par l’assemblée nationale et rejeté par le Sénat et la commission mixte paritaire en février dernier.

 

La proposition de loi comprend quelques petites avancées comme l’extension de la possibilité d’arrêt de travaux à tous les secteurs professionnels mais également en cas d’utilisation d’un équipement de travail dépourvu de protecteurs ou d’exposition d’un salarié à un risque de contact avec une pièce nue sous tension. Elle prévoit aussi une extension des conditions d’arrêts de travaux amiante.

 

Ce dispositif d’arrêt de travaux/activité ayant démontré son efficacité, on aurait pu imaginer son extension notamment dans les cas suivants : risques liés à l’absence de formation renforcée à la sécurité pour les intérimaires affectés sur des postes à risques, risques liés à l’absence d’analyse des risques de coactivité notamment dans le cas de plan de prévention « annuel », risques liés à l’absence de protections collectives ou individuelles exposant aux agents chimiques dangereux et non pas limités aux seuls CMR, (risques de collisions piétons – engins…).

 

A côté d’autres avancées, comme la possibilité de prendre copie de tous documents nécessaires, le doublement des amendes en cas d’outrage ou d’obstacle, la correctionnalisation du non-respect d’une mise en demeure, deux dispositions concernant le mode de sanction des infractions commises par les employeurs sont extrêmement critiquables.

 

La première prévoit la mise en œuvre de la transaction pénale pour une très large partie des contraventions et délits prévus par le Code du travail punis d’une peine d’emprisonnement de moins d’un an. Cela concerne notamment les infractions au non-respect des règles régissant le contrat de travail, le recours à l’intérim, le droit disciplinaire, la durée du travail, la rémunération ainsi que toutes celles en matière de santé et sécurité.

 

Le système de la transaction pénale devient en pratique un préalable à l’engagement de toute poursuite par le Parquet. Concrètement, le délinquant patronal va être convié par le DIRECCTE à venir négocier le montant de l’amende et d’éventuelles mesures à mettre en œuvre pour éviter le renouvellement de l’infraction. En cas d’accord, il reviendra au Procureur de la République d’homologuer la transaction. Ce n’est qu’en cas d’échec de la transaction que le Parquet pourrait engager des poursuites ou alors classer sans suite le dossier.

 

Cette disposition apparaît extrêmement dangereuse pour plusieurs raisons.

 

Ce type de procédure dispense l’employeur délinquant de venir s’expliquer lors d’une audience publique solennelle sur les motifs qui l’ont amené à ne pas respecter la réglementation. C’est pourtant un acte essentiel, tant pour les victimes de ces infractions, que pour l’ensemble de la société, que d’entendre le prévenu dans ses explications. C’est d’ailleurs ce que redoutent en premier lieu les employeurs d’avoir à s’expliquer publiquement sur leurs choix, celui par exemple de n’avoir pas mis en œuvre les mesures de protection suffisantes pour préserver la santé des travailleurs en considération d’une logique économique qui favorise l’infraction à la prévention. Rendre publiques les peines prononcées et la réalité des conditions d’exécution du travail à travers le procès pénal, est une nécessité pour que l’infraction ne se renouvelle pas. À titre d’exemple, la mise en examen de plusieurs dirigeants de France Telecom et le risque qu’un procès pénal voit le jour concernant la vague de suicide, inquiètent les dirigeants d’autres sociétés qui pourraient eux aussi avoir un jour à s’expliquer sur leur méthode de management.

 

Alors que des milliers de victimes de l’amiante et leurs familles attendent depuis de nombreuses années un procès pénal dans lequel les industriels, les différents Ministres et responsables de l’administration devraient s’expliquer publiquement, la mise en place de la transaction pénale pour des infractions en santé au travail, qui évite tout débat public, apparait comme une provocation. Sans doute nos dirigeants devraient regarder du côté italien où les procès pénaux d’Eternit concernant l’amiante et de Thyssen concernant une explosion mortelle dans un complexe sidérurgique ont démontré que les employeurs avaient une connaissance précise des risques encourus par les salariés.

 

Ces dernières années, plusieurs procédures alternatives à l’audience pénale ont vu le jour afin soi-disant de renforcer l’efficacité de la réponse judiciaire. Il s’agit d’un prétexte à une dépénalisation qui avance masquée. Aujourd’hui plus de 70% des procès-verbaux relevés par les agents de contrôle de l’Inspection ne font l’objet d’aucun engagement de poursuites par les Parquets. Aussi peut-on citer, la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC) qui ressemble à première vue à la transaction pénale en ce que le contrevenant négocie avec le Parquet la peine.

 

Il existe cependant plusieurs différences majeures.

 

Commençons par le statut de celui qui négocie la peine. Pour la CRPC, c’est le Procureur ou l’un des substituts qui traite avec l’auteur de l’infraction, donc un magistrat dont l’indépendance est garantie, sur le papier, par le statut. Dans l’autre cas, il faut noter que le DIRECCTE ne bénéficie pas du statut d’indépendance prévu pour les agents de contrôle de l’inspection du travail par la convention 81 de l’Organisation Internationale du Travail, que la majeure partie de ses missions, exercées sous l’égide du préfet, consistent à intervenir en soutien des entreprises, notamment via des aides financières, missions de fait peu compatibles avec celles de décider des sanctions à leur encontre.

 

Ensuite se posent les conditions de validation de la peine négociée. Pour la CRPC, l’homologation se fait par un magistrat du siège après audience publique où le juge doit vérifier les éléments du dossier en interrogeant l’auteur. S’il s’agit d’un examen rapide, il reste donc une petite part de solennité et de publicité semblable à celle de l’audience correctionnelle. Tel n’est pas le cas dans le cadre de la transaction qui prévoit une homologation par le Procureur de la République hors audience publique.

 

Puis doit être évoquée la possibilité ou non pour les victimes d’infractions de se constituer partie civile, notamment les organisations syndicales. Si celle-ci reste épisodique lors des procédures pénales, le système de transaction l’exclut totalement. Pour un projet qui se vante de rendre plus efficace la réponse judiciaire, exclure toute possibilité de partie civile, c’est-à-dire toute prise en compte de la parole des victimes d’infractions, voilà qui est choquant, sauf si par efficacité on entend seulement prendre comme indicateur le montant des amendes homologué.

 

Enfin doit être noté le fait que la transaction ne constitue pas un jugement permettant de faire jouer la récidive. Précisons ici qu’en matière de santé sécurité, où la question de l’intégrité physique des salariés est en jeu, la peine maximale prévue par le code du travail est de 3750 € et que seule la récidive est punie d’un emprisonnement d’un an1. Là encore, à la différence d’une CRPC ou d’une procédure pénale classique, le recours à la transaction constitue un moyen de fait de protéger tout employeur de risquer une peine de prison, seule peine actuellement dissuasive. En effet, les calculs opérés par les gestionnaires d’entreprises incitent plutôt à être peu respectueux des règles sociales y compris en ce qui concerne la santé et sécurité. Les choses pourraient en être autrement si le montant maximal des amendes n’était pas plafonné et qu’il puisse être en relation avec le chiffre d’affaires de l’entreprise.

 

En dernier lieu, le système de transaction ne devrait pas pouvoir s’appliquer à l’ensemble des infractions en santé et sécurité au travail ayant porté atteinte à l’intégrité des salariés. Cela concerne notamment les procès-verbaux suite à accident du travail, maladie professionnelle ou encore les situations dans lesquelles des salariés ont été exposés à des risques sans que cette exposition donne lieu à l’existence d’un dommage. En effet, au-delà des incriminations du Code du travail à savoir 3750€ d’amende, ce type d’infraction peut donner lieu à l’engagement de poursuites par le Parquet au titre des dispositions du Code pénal. Ainsi, l’employeur d’un salarié qui a perdu deux doigts en utilisant une machine non conforme peut être poursuivi pour violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues étant de trois ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende2. La mise en place de la transaction pénale va donc avoir pour effet concret de limiter les risques de poursuites sur la base des dispositions du code pénal, ce qui constitue donc une forme de dépénalisation dans les faits.

 

La seconde disposition critiquable concerne la mise en place de sanctions administratives pour une liste limitée d’infractions sur rapport de l’inspecteur ou de contrôleur du travail, ces derniers gardant la possibilité du recours à la voie pénale en dressant procès-verbal. Là encore, on peut s’interroger sur le fait que ces mêmes infractions pourront être poursuivies par voie d’ordonnance pénale. Pourquoi donc mettre en œuvre cette nouvelle voie de sanction ? Là encore, nous y voyons un premier pas qui permettrait à terme d’œuvrer à la dépénalisation de certaines infractions. Tout comme la transaction pénale, le fait de confier le pouvoir de sanction au DIRECCTE constitue un problème majeur.

 

Des nouveaux pouvoirs absents du projet de loi !

 

Vous l’aurez remarqué, ces nouveaux pouvoirs concernent principalement le champ de la santé sécurité comme si le problème de l’effectivité du droit du travail ne se posait pas concernant la précarité dans toutes ses formes, le non-paiement des heures supplémentaires, le non-respect des conventions et accords collectifs, les licenciements abusifs, le non-respect des droits fondamentaux à commencer par le droit de grève… Poser la question des nouveaux pouvoirs pour l’inspection du travail nécessite de réfléchir sur l’ensemble des champs de la réglementation et sur le renforcement des peines. Pourquoi ne pas réfléchir à la création de nouveaux textes permettant la mise en cause des donneurs d’ordre, la possibilité pour l’inspection du travail de saisir les juridictions civiles en référé concernant l’interdiction du travail de nuit, le respect des droits fondamentaux ou des demandes de requalification de contrats précaires en CDI. On pourrait encore s’interroger sur la nécessité d’élargir le référé santé-sécurité au non-respect des principes généraux de prévention ainsi que sur de nouvelles possibilités de décision administrative comme pour faire reconnaître des unités économiques et sociales.

 

Bien évidemment, renforcer l’effectivité du droit du travail nécessite de renforcer le pouvoir actuel des institutions représentatives du personnel ainsi que les droits des salariés. Comment un salarié peut-il demander à son employeur de respecter ses droits lorsqu’il craint d’être victime de représailles pouvant aller jusqu’au licenciement ? La mise en œuvre d’une véritable protection des salariés contre le licenciement permettrait à ces derniers de mieux faire valoir leurs droits dans l’entreprise.

 

Réforme « Ministère fort » = 10% de postes supprimés à l’Inspection du travail.

 

Poser la question des pouvoirs de l’inspection du travail ne peut être dissocié de la question des effectifs. Sur les chiffres du dernier rapport au BIT, la moyenne est de 1 agent pour 800 entreprises et 8100 salariés. Même si ces chiffres sont trompeurs, car il s’agit d’un effectif brut et non en équivalent temps plein réel avec prise en compte des temps partiels, des décharges d’activités, des absences longues maladies…. Ils sont suffisants pour faire comprendre la nécessité urgente du doublement des sections d’inspections du travail dans leur configuration actuelle. À l’inverse le premier effet de la réforme en cours, c’est d’abord une baisse importante du nombre d’IT/CT affectés dans une section territoriale. Bien que la DGT ne communique pas sur ce point, les éléments qui remontent des départements font état d’une baisse d’environ 10%, par l’effet combiné des transformations de postes d’inspecteurs du travail en RUC et de suppression des postes vacants, notamment de contrôleurs du travail. Il s’agit d’une régression sans précédent, que la CGT est déterminée à stopper. C’est une véritable catastrophe pour les usagers, mais aussi pour les conditions de travail de nos collègues.

 

Après le transfert du contentieux du licenciement économique, c’est désormais la majorité du contentieux pénal qui devrait être traité par les DIRECCTE sans moyens supplémentaires.

 

La CGT demande donc le retrait de la réforme de l’organisation de l’inspection du travail et va engager en parallèle un recours contre ce Décret devant le Conseil d’État. Elle s’oppose à toute diminution d’effectif et revendique le doublement du nombre d’agents de contrôle, un recrutement massif d’agents de secrétariat et de renseignement.

La défense d’une inspection du travail au service des travailleurs ne peut reposer sur les seules épaules des agents et des organisations syndicales du ministère, raisons pour laquelle, nous cherchons à renforcer nos liens avec les structures interprofessionnelles. Après le vote de l’Assemblée nationale, le texte sera envoyé au Sénat. À cette occasion, la CGT va proposer à l’intersyndicale du Ministère l’organisation d’une mobilisation d’envergure nationale.

Paris, le 3 juin 2014

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