Au cœur des ordonnances il y a l’affaiblissement des recours que les travailleurs peuvent mobiliser pour se défendre, faire valoir leurs droits, s’organiser et agir, et des institutions qui peuvent avoir un rôle de sanction en cas de violation de la loi par les patrons.
L’objectif est simple : il s’agit de mieux contrôler et encadrer les instruments légaux dont disposent les travailleurs dans la lutte contre leur exploitation. Et donc de modifier les conditions juridiques dans lesquelles cette lutte peut se dérouler et ainsi la rendre plus difficile.
C’est à ce titre que l’inspection du travail est prise pour cible, il faut bien comprendre pourquoi et comment. Les ordonnances ne la réforment pas directement, mais elles auront des conséquences sur son fonctionnement et ses missions, dans un contexte plus général de suppressions de postes.
Elle est une cible parce que, même si ses moyens sont très limités et même si les patrons risquent peu lorsqu’ils enfreignent la loi (10 000 euros d’amende pour une chute de hauteur), elle possède encore des prérogatives qui restent insupportables pour le patronat :
- un droit d’entrée inopiné jour et nuit dans les entreprises
- un droit d’audition des salariés
- la possibilité de mettre en demeure les employeurs de se conformer à la réglementation santé-sécurité ou procéder à des arrêts de travaux ou d’activité
- les agents de contrôle peuvent relever les infractions constatées par procès-verbal, pouvant déboucher sur la condamnation pénale de l’employeur
- il faut demander leur autorisation avant de licencier un représentant du personnel
- ils bénéficient d’une indépendance d’action garantie par une convention internationale les protégeant des influences extérieures.
Mais surtout, les agents de contrôle possèdent un lien direct avec les salariés, les représentants du personnel et les syndicats, qui peuvent solliciter leur intervention ou de simples conseils lors de permanences gratuites.
Plusieurs leviers sont utilisés pour entraver les missions de contrôle et en modifier le sens. On peut en citer deux.
Premier levier : l‘austérité, les suppressions de postes, la baisse des moyens.
Le ministère du travail affiche un des meilleurs taux de non-remplacement d’agents partants à la retraite. Les effectifs n’ont jamais été très élevés, mais ils sont désormais en baisse constante. Le ministère ne recrute plus.
L’inspection du travail aujourd’hui c’est moins de 2000 agents agents de contrôle pour 1,8 millions d’entreprises et 18 millions de salariés du secteur privé, soit moins d’un agent pour 8000 travailleurs. Le nombre de postes de secrétaires, essentiels à l’activité d’accueil du public et aux tâches administratives, est également en chute libre.
En 2014, une réorganisation s’est traduite par la diminution de 10 % des effectifs de contrôle présents dans les entreprises.
Aujourd’hui, l’inspection du travail fait face à un véritable plan social avec la suppression des postes laissés vacants faute de recrutement. Ce plan est particulièrement violent en Île-de-France, puisque 48 secteurs de contrôle vont disparaître, soit plus de 10% du total, dont 24 à Paris (16%).
Le second levier de l’offensive, c’est la transformation profonde des missions de l’inspection du travail, afin d’orienter ses activités vers les priorités décidées par un ministère du travail ouvertement pro-patronal. Les ordonnances vont poursuivre l’œuvre de la loi Travail 1.
Nous appliquerons un droit du travail de moins en moins protecteur, ce qui va changer la nature des réponses que nous pourrons apporter aux salariés puisque leur patron aura de plus en plus raison. Nous ne pourrons plus participer au CHSCT qui sont supprimés et ne serons pas systématiquement invités au commissions santé-sécurité là où elles existeront.
Mais surtout le code du travail, c’est un ensemble de règles qui s’appliquent à tous les salariés sur tout le territoire, avec un système de contrôle et de sanction en cas de violation de la loi.
En donnant la priorité aux accords d’entreprise, en donnant moins de place aux droits issus de la loi et en les affaiblissant, les ordonnances vont rendre encore plus difficile notre travail puisqu’il faudra disposer de tous les accords pour pouvoir renseigner correctement, analyser une situation ou intervenir.
Surtout, elle va faire des patrons une catégorie de justiciables bien à part, protégés des sanctions. Contrairement aux articles du code du travail, les accords ne font pas l’objet d’amendes pénales et il ne nous sera pas possible de dresser procès-verbal. Les ordonnances achèvent d’organiser l’impunité pour les patrons, conjointement aux mesures sur les licenciements.
L’objectif est d’en finir avec une inspection du travail placée au service de la protection et de la promotion des droits individuels et collectifs, et d’en faire un organisme de régulation de la concurrence tourné vers le conseil et l’audit.
L’ambition, à terme, est d’abandonner le contrôle des parties du code du travail qui ne rentrent pas dans le champ des objectifs définis ou les contrôles qui prennent du temps (durée du travail, discriminations…), et surtout d’abandonner le traitement des plaintes des salariés ou des représentants du personnel et de briser ce lien fondamental.
En conclusion on rappellera que le ministère du travail lui-même agit constamment pour délégitimer nos missions, en dénigrant le code du travail, fait pour embêter les entreprises selon Muriel Pénicaud, ou même en portant plainte contre eux, comme ce fut le cas en après la fuite dans la presse des premiers projets d’ordonnances.
Ce faisant, le ministère fragilise notre action, il nous expose aux obstacles et agressions, et même aux condamnations par les tribunaux comme l’a montré l’affaire Tefal, au lieu de nous en préserver.
Mais surtout il accrédite l’idée que l’État n’est pas légitime pour réglementer les relations de travail et que l’exploitation des salariés ne doit pas être limitée par d’autres règles que la loi du profit.
C’est pourquoi le retrait des ordonnances est, ici et maintenant, indispensable à la préservation d’une inspection du travail au service des salariés. Pour notre part, nous avons déposé un préavis de grève illimité et serons dans la rue le 12 septembre, puis le 21 et autant de fois qu’il le faudra jusqu’à la victoire.