Des moyens pour ce service public essentiel !
Le 20 mars 2025, les organisations syndicales du Ministère du Travail et de l’Emploi étaient invitées à s’exprimer dans le cadre d’une nouvelle « mission » confiée à l’IGAS – Inspection Générale des Affaires Sociales. Au regard de la lettre de mission, on comprend qu’il s’agit – encore ! – de chercher à faire des économies, en mettant notamment en concurrence le Service des Renseignements en Droit du Travail, vaillamment assuré par les collègues restants après des années de sabordage, et le Code du travail numérique. Dans le contexte actuel, on ne sait que trop bien ce que signifient les « revues des missions » et les recherches d’une « meilleure articulation » dont l’objectif est en réalité de continuer à supprimer des postes, en priorité ceux occupé.es par des fonctionnaires.
En 2011, c’est pourtant la DGT elle-même qui mettait en évidence l’utilité du service :
« L’activité de renseignement du public en matière de législation du travail, par un service dédié, est importante, tant quantitativement par les volumes de visiteurs, de courriers et d’appels téléphoniques en cause que, sur un plan qualitatif, par la diffusion du droit du travail qu’elle induit.
Ce service rendu apparaît souvent comme le plus aisément accessible est compréhensible aux yeux des usagers. Il y a donc là un enjeu important en terme d’image du service. Le renseignement du public joue également, même s’il n’est pas le seul à y participer, le rôle de « veille sociale » permettant à l’administration du travail d’être informée des préoccupations immédiates des salariés. Enfin, l’accueil physique apparaît irremplaçable, notamment pour l’aide aux personnes les plus défavorisées. »
Malgré cet « enjeu important », identifié par l’administration elle-même, la situation de ce service s’est pourtant fortement dégradée. En 2011, les outils numériques se développaient déjà et 551 ETP (équivalents temps plein – 651 agent.es) étaient affectés aux services des renseignements du droit du travail. En 2024, il.elles ne sont plus que 360 ETP (422 agent.es) dont 40% ont 57 ans et plus et partiront en retraite dans les prochaines années, sans garantie de remplacement à ce stade. En 12 ans, l’administration a donc supprimé 35% des effectifs alloués à ce service qu’elle jugeait pourtant elle-même « le plus aisément accessible » et « important ».
Auprès des inspecteur.trices de l’IGAS, nous avons évidemment commencé par réaffirmer l’’importance et les enjeux de cette mission de service public que nous jugeons fondamentale. Il nous semble en effet toujours aussi important d’assurer un accueil physique et téléphonique, sur la base d’une demande sociale toujours aussi forte, mais aussi d’être en mesure de répondre aux sollicitations par de messagerie qui ont augmenté.
Mais nous avons tout autant insisté sur le fait qu’il n’est pas possible de faire plus ou de faire mieux, avec toujours moins de moyens humains, avec toujours plus de problèmes matériels, avec des salles d’attente qui disparaissent, avec des outils aussi chronophages que peu ergonomiques…
Pas de miracle dans le contexte actuel : il est toujours difficile de joindre nos services par téléphone (malgré les efforts de nos collègues, il leur est impossible d’arriver à des taux importants de « décroché », ce qui est particulièrement anxiogène, avec une file d’attente alimentée en permanence) et nos services qui étaient largement ouverts à tou.tes ont dû faire des choix et, notamment, limiter les plages d’accueil et généraliser la prise de rendez-vous préalable. Dans certains départements, il est impossible d’obtenir un créneau ou alors, il faut attendre 15 jours. Il est également demandé aux usager.ères de préciser, par écrit, l’objet du rendez-vous, ce qui peut être un obstacle sérieux pour certain.es. Et pour parvenir à prendre rendez-vous, il faut avoir trouvé le lien qui mène à l’applicatif, différent selon les régions, et identifié le moment où les créneaux s’ouvrent. Rien d’évident pour les « personnes les plus défavorisées ». La fracture numérique reste une réalité.
Créés dans les années 1980 pour venir en soutien de l’Inspection du travail, les services de renseignement en droit du travail avaient vocation à répondre à une partie de la demande sociale qui parvenait à nos services. Il s’agissait alors principalement de rendez-vous, assurés en face à face physique, les appels téléphoniques ont rapidement pris une place importante, puis les courriels. Au sein de ces services très dynamiques, il a longtemps été possible pour les travailleur.ses d’être reçu.es et d’obtenir des réponses précises, sans prise de rendez-vous préalable. Les salarié-es remplissaient nos salles d’attentes (qui disparaissent elles aussi…) ! C’est un aspect essentiel du lien avec la population que nous refusons de voir disparaître ! Une telle disparition acterait tristement d’une défaite du positionnement de nos services dans la satisfaction du besoin des travailleur.ses !
Le maintien d’un service de renseignement avec des agent.es formé.es est d’autant plus essentiel depuis l’introduction des lois El KHOMRI et les ordonnances Macron induisant l’inversion de la hiérarchie des normes. Cela a conduit à une complexification extrême pour déterminer les normes applicables et rendu la compréhension du droit du travail encore plus difficile pour les usager.es.
Quant aux renseignements proposés sur internet, ils sont à voir dans une logique de complémentarité et non de concurrence. Nous ne contestons pas l’utilité de l’offre « en ligne », mais elle s’adresse avant tout à un public averti qui saura la trouver puis la décrypter. De nombreux.ses usager.ères ont besoin d’aide pour la trouver puis pour l’appliquer correctement à leur situation particulière. Un bon exemple est sans doute celui des règles actuellement applicables s’agissant du calcul des droits à CP en cas de maladie et des possibilités ouvertes, pour une période limitée par le législateur qui a insuffisamment tiré les conséquences de la jurisprudence européenne. Les fiches mises en ligne sont très complètes, mais il faut vraiment bien s’accrocher pour les comprendre, y compris pour les agent.es de contrôle eux.elles-mêmes ! Notons par ailleurs que des choix sont faits s’agissant de l’offre « en ligne » et que ces choix ne sont pas forcément les bons. Ainsi, alors que les services des renseignements sont à plus de 90% utilisés par les travailleur.ses, les « modèles » proposés sur le site du code du travail numérique sont aux 2/3 pour les employeurs… cherchez l’erreur !
Les 360 collègues qui restent affecté.es dans ces services sont confronté.es à une surcharge évidente de travail, dont l’origine est facilement repérable :
- Manque d’effectifs (cf. chiffres détaillés plus haut), mais aussi :
- Augmentation du volume global, notamment des courriels ;
- Accroissement de la complexité juridique des demandes, suite, notamment, à l’inversion de la hiérarchie des normes sur de nombreux sujets du droit du travail et la multiplication des possibilités de dérogation ;
- Augmentation du nombre d’usager.ères en situation de détresse morale, accroissement bien évidemment la durée des temps d’accueil, pour un service de qualité.
La demande sociale ne faiblissant pas, nous avons prioritairement demandé aux IGAS d’entendre qu’il est indispensable de stopper l’hémorragie et, a minima, de revenir le plus rapidement possible aux effectifs de 2012, soit 500 agent.s, via un plan de recrutement particulier puis d’envisager le doublement des effectifs affectés à cette mission. Nous avons également rappelé nos autres revendications :
- Maintien et développement des SRDT, services de proximité essentiel, devant pouvoir répondre aux questions des travailleur.ses, y compris dans l’urgence ;
- Maintien du positionnement des SRDT au cœur des services de l’Inspection du travail, associé à des garanties, ne matière d’indépendance et de formation ;
- Maintien de services gratuits, de proximité, sans contrôle d’identité, liés aux services et agent.es de contrôle, au service des travailleur.euses, de leurs représentant.es et de leurs organisations syndicales, non à toute tentative d’externalisation des renseignements en droit du travail, fin du numéro unique, des agent·es de renseignement en droit du travail formé·es et en nombre suffisant·es ;
- Mise en place d’un dispositif de soutien aux les usager.ères leur permettant une assistance dans la prise de RDV en ligne, en cas de non-familiarité avec l’outil informatique (illectronisme) ou de difficultés à l’écrit en français (illettrisme) ;
- Abrogation de l’article L.5143-1 du code du travail créant un « droit d’information personnalisée » pour les TPE/PME ;
- Maintien et création d’un service de renseignement sur chaque site (y compris les sites détachés) et la réouverture des services là où ils ont été supprimés ;
- Non aux tâches fastidieuses et chronophages exigées via l’ODR qui doit être supprimé ;
- Non à la mise en place de plate-formes régionales d’appels téléphoniques utilisées pour organiser la pénurie et le manque d’effectifs dans nos services à la place de recrutements.