En lançant le 26 septembre sa campagne de communication sur les accidents graves et mortels, le Ministère du travail s’attelle enfin à ce sujet majeur. Il est dommage qu’il ait fallu attendre que la France chute dans les profondeurs du classement européen (en 2019, le taux d’accidents du travail graves et mortels en France était de 4,81 pour 100 000 salarié.es, contre une moyenne européenne de 2,17 – mauvais chiffres que le Ministère tente maladroitement de justifier dans le dossier de presse de la campagne) pour que le Ministère se saisisse enfin de cette question essentielle. Le Ministère du travail ne pouvait sans doute plus ignorer les interpellations régulières des organisations syndicales et la parole forte des familles d’accidenté.es du travail qui, faute d’être entendues, se sont constituées en collectif.
Et nous n’oublions pas la responsabilité coupable du gouvernement dans ces chiffres catastrophiques. Les offensives libérales des dernières années, en introduisant toujours plus de souplesse à la demande du patronat et en rabotant les garanties collectives offertes aux travailleur.es, ont fragilisé les règles protectrices conquises de haute lutte.
Cette campagne de communication participe du 1er plan de prévention des accidents graves et mortels, lancé par le ministère en 2022. Malheureusement, ce dernier est plus qu’insuffisant.
Le plan se revendique de la prévention primaire, mais consiste principalement en des actions de sensibilisation et de formation (mesures n°1, 2, 3, 5, 6, 8, 13, 16, 24, 25, 26 et 27) ou de rappel du cadre réglementaire en vigueur, sans modification des organisations du travail, donc sans combattre les risques à la source. De plus, les actions de formation sont principalement orientées en direction des salarié.es, comme si celles et ceux-ci avaient le pouvoir d’éviter les accidents, alors que les conditions de travail sont déterminées par les employeur.es.
Le slogan de la campagne lancée par O. Dussopt « responsabilité de l’entreprise, vigilance de tous » est, de la même façon, culpabilisant pour les travailleur.es. Et ces actions de communication ne comportent même pas d’information des salarié.es quant à un de leur droit essentiel pour préserver leur santé et leur sécurité et se soustraire au danger : le droit de retrait.
Les dispositions du code du travail en matière de formation à la sécurité au travail par les employeur.es, notamment pour les précaires, ne seront ni précisées, ni renforcées. Tout juste est-il envisagé « d’engager une réflexion sur l’opportunité d’une évolution du cadre réglementaire afin de renforcer les mesures de prévention à destination des intérimaires » (mesure n°6). C’est plus que timide ! Des actions de sensibilisation sont confiées aux services de prévention et de santé au travail, qui pour beaucoup n’ont pas les moyens d’intervenir en entreprise (mesures n°5 et 13).
L’intervention de l’inspection du travail n’est évoquée que de manière très limitée : le contrôle des conditions de travail des travailleur.es détaché.es, la campagne de contrôle portant sur les risques de chute de hauteur et le contrôle des foires et salons d’exposition des équipements de travail.
Et pour cause : il reste moins de 1700 agent.es de contrôle pour tout le territoire, près de 450 sections d’inspection sont vacantes ! Pire encore : le ministère continue d’y supprimer durablement des postes (30 sections d’inspection ont été rayées de la carte entre 2022 et 2023). Pourtant le nombre de salarié.es en France n’a de cesse d’augmenter : +4,9% entre 2019 et 2023. Dans ces conditions, l’Etat est impuissant à contrôler le respect par les entreprises de leurs obligations en matière de santé et de sécurité au travail. Mais à aucun moment, le renforcement du service public de l’inspection du travail n’est évoqué.
Cela reflète la philosophie du plan dans son ensemble : aucun renforcement des moyens dédiés à la prévention, aucune contrainte supplémentaire pour les employeur.es. Le rôle des représentant.es du personnel en matière de prévention est évoqué, mais le rétablissement des CHSCT, la seule institution dans l’entreprise qui était dédiée à la sécurité au travail, n’est évidemment pas envisagée. De la même façon, la sous-traitance ne sera ni limitée ni encadrée, alors qu’elle est une des principales causes des atteintes aux droits et à la santé des salariés dans le bâtiment, le nettoyage, l’agriculture…
Enfin, alors que les deux tiers des procès-verbaux de l’inspection du travail en matière d’infractions aux règles de santé et de sécurité ne donnent lieu à aucune suite de la part des parquets, la question des sanctions pénales en matière d’accidents du travail grave et mortel n’est pas même évoquée !
La CGT TEFP revendique pour sa part, au-delà des campagnes de communication, des mesures concrètes et des moyens pour faire baisser drastiquement le nombre d’accidents du travail. La création d’un arrêt d’activité « canicule » que vient d’annoncer le ministre du travail n’était pas inscrite dans le plan. Elle est le fruit du combat des familles de victime, de la médiatisation des accidents mortels survenus récemment dans des exploitations agricoles, des interpellations et propositions avancées par les organisations syndicales. La CGT TEFP appelle à poursuivre cette mobilisation pour obtenir :
- Une politique pénale du travail sévère, poursuivant systématiquement et condamnant fermement la délinquance patronale ;
- Le renforcement de la protection des travailleur.es utilisant leur droit de retrait ;
- La suppression des régimes de précarisation des travailleur.es ;
- La suppression du recours massif à la sous-traitance dans les activités telles que le BTP, le nettoyage, la maintenance, l’agriculture… ;
- L’engagement de la responsabilité civile et pénale des donneurs d’ordre pour les accidents du travail chez les sous-traitants,
- Des évolutions de la réglementation pour protéger la santé et la sécurité des travailleur.es : rétablissement de la dérogation pour l’affectation des jeunes à des travaux dits dangereux, adoption de règles précises pour prévenir les risques liés aux fortes chaleurs, …
- Le retour des CHSCT comme contre-pouvoir pour la protection de la santé des travailleur.es ;
- Le doublement des effectifs de l’inspection du travail et des services de prévention (Carsat, médecine du travail), assurer leur indépendance et leur donner de nouveaux et véritables pouvoirs coercitifs (nouveaux arrêts d’activité notamment).