Ci-dessous notre décryptage complet des annonces du premier ministre du 11 décembre dernier :
L’application de la réforme est échelonnée selon les générations… mais pas la baisse des pensions ni l’allongement de la durée de cotisation par l’instauration d’un âge pivot. Tout le monde va y perdre
Tout le monde va subir l’âge pivot imposée par une « loi-cadre ».
Les générations nées avant 1975 ne seraient pas touchées par la réforme « à points », gardant l’ancien régime. Mais elles seraient fortement touchées quand même avec les économies à court terme, et notamment par un âge d’équilibre fixé progressivement à 64 ans d’ici 2027. Toute personne qui partirait avant cet âge, subirait une brutale décote, quel que soit son nombre d’annuités.
Le gouvernement confirme que cet âge pivot serait progressivement repoussé en fonction de l’espérance de vie. Pour les 1980, l’âge sans décote est déjà prévu d’être 65,4 ans. Pour les 1990, ce sera 66,25 ans, et sans garantie du niveau de pension !
Les générations les plus jeunes (nées à partir de 2004) vont subir elles les reculs induits par le nouveau système à point : le maintien de leur niveau de vie ne serait plus garanti, au contraire.
En clair, le gouvernement souhaite nous faire penser que les générations précédentes seraient épargnées par la réforme, ce qui n’est pas le cas. C’est une odieuse manœuvre de division !
Les « garanties » sur la valeur du point, l’âge de départ ou la pension minimale : un écran de fumée
Le gouvernement annonce que la valeur du point (55 centimes) serait indexée sur les salaires, et fixée chaque année, en fonction de la situation économique et démographique. Ceci ne garantirait en rien le niveau des pensions : il faudrait déjà à cette valeur cotiser en continu 43 ans pour pouvoir partir à la retraite avec 60% de son dernier salaire ou 47,5 ans pour obtenir 66% de son dernier salaire… et plus de 50 ans pour obtenir le taux plein de 75% !!
Le gouvernement annonce une « règle d’or » pour que la valeur des points acquis ne baisse pas. Mais il existe une valeur du point par âge de liquidation et par génération (départ à 62 ans valeur 40 centimes, 63 ans 52 centimes, 64 ans 55 centimes). Les salariés seraient donc contraints à choisir entre leur âge de départ et le montant de leur pension.
Pire, le gouvernement annonce que l’âge d’équilibre à atteindre pour ne pas avoir de décote reculerait avec le temps en fonction de l’espérance de vie : l’âge auquel on pourra prétendre au point à 55 centimes va donc reculer. Cela ne signifie donc pas un départ à taux plein à 64 ans, loin de là !
Le gouvernement communique avec insistance sur une pension minimale de 1000€ pour une carrière complète en 2022. C’est déjà ce qui serait obtenu avec le système actuel pour une carrière complète au SMIC en 2022 : ce n’est donc pas une amélioration du système, et c’est sans rapport avec l’application d’un système par points. Et c’est surtout sans effet pour tous les salarié·es qui n’ont pas de carrière complète !
Le gouvernement explique que la prise en compte de toutes les heures travaillées serait une grande avancée pour les précaires et notamment pour les femmes. Aujourd’hui, pour valider un trimestre, il faut avoir travaillé 150 heures SMIC, soit environ 12 heures par semaine (et moins si on est payé au-dessus du SMIC). Mais, la règle des 25 meilleures années permet de neutraliser l’effet des accidents de carrière dans le calcul des pensions.
Avec la réforme Macron, ces périodes de précarité ne pourraient plus être évacuées pour calculer le montant de la pension et dégraderaient fortement les droits de celles et ceux qui auraient des périodes de chômage, de précarité ou de temps partiel.
Vous avez envie de travailler plus longtemps ?
L’âge de départ en retraite est aujourd’hui de 62,4 ans en moyenne, en prenant en compte les départs anticipés liés à la pénibilité et aux régimes spéciaux.
Par ailleurs aujourd’hui :
- 50% des plus de 60 ans sont au chômage. Repousser indéfiniment l’âge de départ, c’est renvoyer vers le chômage toujours plus de seniors et abaisser d’autant le montant des pensions
- les progrès technologiques, la révolution numérique et l’intelligence artificielle et les nouvelles possibilités d’automatisation permettent des gains de productivité massifs. San réduction collective du temps de travail, cette révolution technologique se traduira (et ça commence déjà dans tout le secteur tertiaire !) par du chômage de masse. Allonger la durée du travail est un non sens économique et social
- l’espérance de vie en bonne santé stagne à 63,4 ans en moyenne…
Autrement dit, avec la réforme Macron, la retraite, ce sera seulement quand on ne pourra plus en profiter…
Ils avaient tout prévu depuis le début
Le gouvernement a confirmé les principes centraux de sa réforme
- instituer une autre « règle d’or » : bloquer les ressources dévolues au financement de nos retraites à leur niveau actuel, c’est-à-dire 14 % de PIB. Quel est le problème ? Le nombre de personnes de plus de 65 ans va augmenter d’un tiers d’ici 2050 ce qui signifie que le niveau des pensions va s’effondrer.
- transformer les pensions en variable d’ajustement. Le montant de votre pension ne serait connu qu’au moment du départ en retraite. Cela dépendrait de la valeur du point. Le montant de votre pension pourrait même baisser une fois que vous serez parti à la retraite, en cas de crise économique. C’est ce qui s’est passé en Suède qui a un système similaire. Entre 2010 et 2014 les pensions des retraité.e.s ont baissé de 10 %. On passerait donc d’un système à prestations définies, où le niveau de pension est garanti, à un système à cotisations définies, où le montant des cotisations serait bloqué et où ce seraient les pensions qui s’ajusteraient à la baisse.
- prendre en compte toute la carrière au lieu des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois dans le public. Conséquence : celles et ceux qui auront une carrière ascendante seront particulièrement pénalisés… comme ceux et surtout celles qui auraient une carrière hachée avec du temps partiel et de la précarité.
Pour les femmes, le recul se confirme…
Le gouvernement confirme les reculs sur les droits familiaux et les pensions de réversion.
- les pensions de réversion, qui bénéficient à 90 % de femmes, ne seraient plus accessibles à 55 ans mais seulement à l’âge de départ en retraite (donc pour la majorité 64 ans), et les couples divorcés n’y auraient plus accès.
- les majorations de 8 trimestres par enfant dans le privé (4 dans le public) pour les femmes et la bonification de 10 % pour les parents de plus de 3 enfants seraient supprimées. A la place une majoration de 5 % au choix des deux parents pour chaque enfant. Les projections ont montré que la quasi-totalité des mères y perdraient, y compris celles qui n’ont qu’un ou 2 enfants. Pour répondre aux critiques de la droite, Edouard Philippe annonce une majoration de 2 % supplémentaire pour les parents de plus de 3 enfants, a priori toujours au choix du père ou de la mère. Malgré cela, la perte par rapport à la situation actuelle serait toujours très importante pour les familles de plus de 3 enfants.
- le Premier ministre annonce le maintien de la validation des périodes d’interruption pour élever des enfants, mais seulement pour les familles de plus de 3 enfants, et sans préciser le nombre de points qui seraient validés.
Les deux principes centraux de la réforme pénaliseront directement les femmes :
- avec la prise en compte de toute la carrière au lieu des 25 dernières années les périodes de temps partiel et d’interruption pour charges familiales se paieront cash
- le gouvernement confirme qu’avec sa réforme il faudrait travailler plus longtemps. Pour les femmes, qui ont des carrières plus courtes que celles des hommes, c’est très pénalisant
Un coup de canif dans la répartition et un nouveau cadeau pour les riches
Le Premier ministre a confirmé les mesures qui vont renvoyer toutes celles et ceux qui ont les moyens d’épargner vers les fonds d’épargne retraite et la capitalisation.
C’est bien l’objectif central de la réforme : permettre aux fonds d’investissements de mettre la main sur notre épargne et de l’utiliser pour spéculer sur nos entreprises et notre travail.
Jusqu’à présent, les cadres cotisent obligatoirement pour la retraite jusqu’à huit plafonds de la Sécurité sociale, soit 328 724 € annuels en 2020. Avec la réforme Delevoye, ils ne cotiseraient plus que jusqu’à trois plafonds soit 123 264 €.
Une perte majeure pour le système de retraite par répartition qui serait privé de cette part des cotisations et un nouveau cadeau pour les riches !
Les chiffrages demandés par la CGT démontrent que la perte serait de 3 milliards par an à partir de 2021 et de 70 milliards en cumulé d’ici à 2040. Avec cette mesure, le gouvernement organise le déficit de notre système par répartition et offre un boulevard aux fonds d’épargne retraite.
Pénibilité : de qui se moque-t-on ?
Le gouvernement confirme la fin de tous les régimes spéciaux et ainsi que de tous les dispositifs, hormis pour les professions en uniformes, qui permettaient un départ avant 60 ans. C’est par exemple le cas dans la fonction publique pour les infirmières, les sages-femmes, les aides-soignantes, les égoutiers, c’est aussi le cas pour les marins, les cheminots… Pour tout.te.s les autres, la généralisation du compte de prévention de la pénibilité mis en place dans le privé depuis 2015.
Au menu, un départ au mieux à partir à 60 ans. Et encore, il faudrait avoir atteint des expositions maximales et donc n’avoir vraiment plus beaucoup de temps à vivre car :
- les critères de pénibilité sont a minima et discriminants pour les femmes. Seuls 6 critères sont pris en compte : les activités exercées en milieu hyperbare ; les températures extrêmes ; le bruit ; le travail de nuit ; le travail en équipes successives alternantes ; le travail répétitif. Exit le port de charges lourdes, les postures pénibles, l’exposition aux vibrations mécaniques ou aux risques chimiques. Depuis la mise en place du compte pénibilité dans le privé 75 % des salarié.e.s qui y ont acquis des points sont des hommes (source : Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes).
- des seuils de reconnaissance dissuasifs. Les seuils d’exposition pour valider des points sont très élevés. Pour les points liés aux températures, il faudrait avoir travaillé 6 mois de l’année (900 heures) dans des températures inférieures à 5°C ou supérieures à 30°C! Pour partir à 60 ans il faudrait avoir été exposé pendant au moins 25 années à un facteur de risque ou pendant 12,5 années à plusieurs facteurs… Seule inflexion annoncée, le travail de nuit pour lesquels les seuils seraient abaissés, mais sans aucune précision (actuellement il faut avoir travaillé 120 nuits par an !)
De l’aveu même du Premier ministre, seules ¼ des aides-soignantes pourraient partir plus tôt, c’est-à-dire entre 60 et 62 ans, alors qu’aujourd’hui elles peuvent toutes partir à 57 ans !
Rappelons qu’en France :
- l’espérance de vie en bonne santé stagne à 63,4 ans en moyenne…
- l’espérance de vie en bonne santé n’est que de 59 ans pour un ouvrier
- l’espérance de vie d’une infirmière est de 7 ans inférieure à celle de la moyenne des femmes.
Il existe d’autres solutions, mais ce gouvernement refuse de les entendre
Il va falloir crier plus fort que garantir l’avenir de notre système de retraite c’est possible !
Il est nécessaire de faire évoluer notre système de retraites pour prendre en compte les années d’études, répondre aux inégalités F/H et permettre des départs anticipés du fait de la pénibilité.
Pour rétablir la retraite à 60 ans avec 75 % du dernier salaire, il y a de nombreuses sources de financement et notamment :
- une hausse modérée des cotisations suffirait à financer le retour de la retraite à 60 ans (10 €/mois dont 6 € à charge de l’employeur pendant les 25 prochaines années).
- la fin des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient aujourd’hui les entreprises sans aucune contrepartie en matière d’emploi et de salaire, et qui dépassent maintenant les 83,6 milliards d’euros.
- l’égalité salariale H/F et sanctionner les entreprises qui ne pratiquent pas l’égalité salariale, en mettant en place une surcotisation retraites pour toutes celles qui n’obtiennent pas 100/100 à l’Index égalité salariale