Rapport IGAS sur la fonction de RUC : De l’argent et des pouvoirs renforcés pour les RUC, des coups de bâton pour les autres

Les dés étaient pipés dès le départ. La lettre de mission qui encadre les objectifs de la mission d’évaluation « relative à la fonction de responsable d’unité de contrôle », confiée aux IGAS en septembre 2021, laissait peu de place à l’objectivité et au recul. En effet, elle devait s’inscrire dans le bilan de la Cour des Comptes de 2020 qui recommandait « que le rôle de d’autorité hiérarchique et de soutien de la fonction de RUC soit renforcé ». Avant même de commencer, le ton et même la conclusion étaient donnés. Les IGAS l’indiquent également en page 15 : « La structure du rapport reflète un parti pris assumé ». Parti pris que l’on retrouve très clairement dans la méthodologie : transmission de questionnaires aux RUC et uniquement à elleux, avec 155 RUC répondant.es… 166 personnes ont été auditionnées, mais seulement 33 agent.es et assistant.es de contrôle ont été rencontré.es. Pour ce qui concerne les syndicats, ils ont été contacté, mais rien de ce qu’ils ont dit ne ressort dans le rapport. Bref, la parole est aux RUC et eux uniquement.

La lecture du document met extrêmement mal à l’aise. A aucun moment, les IGAS n’évaluent l’activité des RUC, ni quantitativement ni qualitativement, ce qui tranche particulièrement avec le traitement auquel sont soumis.es les agent.es de contrôle et de secrétariat.

Un cadrage on ne peut plus orienté donc, qui constitue le fil rouge de ce rapport, dans la droite ligne d’une certaine lettre d’Yves Struillou dénonçant tout de go la maltraitance des RUC par leurs agent.es sans se soucier une seconde de la situation des autres agent.es qui subissent les effets de la mise en place des RUC et de leur management.

Retour, donc, sur un « rapport » qui n’objective rien, et dont les partis pris vont jusqu’à assumer le dénigrement de l’action syndicale !

Et l’on rappellera tout de suite, pour éviter toute incompréhension, que non, nous ne cherchons pas à jeter aux gémonies les personnes exerçant la fonction de RUC… Mais à dénoncer une organisation dysfonctionnelle, créatrice de souffrance au travail.

Une méthodologie bien douteuse

Le rapport, au final, n’est qu’un long catalogue des difficultés supposées des RUC à exercer leurs missions. Il s’agit selon les IGAS d’une « fonction exposée et sous-tension » et cette situation serait imputable exclusivement à des « oppositions de principe » d’organisations syndicales « qui pour certaines continuent à demander [la] suppression [du poste de RUC] ». La mission constate que l’opposition syndicale « perdure dans les années qui suivent la mise en place de la réforme » et cela serait dû au fait que « dans un système d’inspection où le pouvoir disciplinaire est de fait gelé et où même les manquements aux obligations de service ne sont pas sanctionnés, les RUC apparaissent de fait comme des managers aux mains liées. », qui pour certain.es « ont vécu l’enfer » !

On démarre sur un postulat totalement faux : la réforme était nécessaire car nous étions dans un système d’inspection du travail inadapté aux nouveaux défis du monde du travail, que l’approche généraliste et individuelle ne permettait pas une action et un travail collectifs.

Or nous savons qu’aucun des objectifs affichés par la réforme Sapin n’a été réalisé, ce que le rapport se garde bien de rappeler ! Les agent.es sont plus isolé.es que jamais tant sur les missions de contrôle qu’au niveau des échanges entre pairs et les sections n’ont jamais été aussi dépourvues. Mais ça, les IGAS n’en ont cure…

En revanche, sorties de tout contexte, les paroles des RUCS sont retranscrites in extenso et loin d’être prises comme des opinions et des points de vue, on les tient pour une parole neutre, censée éclairer notre sujet. C’est la faille béante du rapport IGAS : prendre tout ce que les RUCs ont expliqué pour argent comptant, sans vérifier auprès des collectifs de travail concernés si leurs récriminations ont un début de base tangible. Bref, aucune démarche contradictoire. Nous dénonçons cette méthode qui fait perdre toute légitimité aux propos et qui poursuit l’unique objectif de défendre cette fonction sans interroger son bien-fondé !

En l’espèce, il s’agit de dénoncer le comportement des agent.es subordonné.es aux RUCs qui serait dans la majorité des cas déviant, de lutter « contre la perte de sens » de la fonction, la « défiance » et le manque « d’attractivité de la fonction ».

Pour finir sur la méthode retenue, les IGAS avaient proposé aux organisations syndicales de les entendre sur ce qu’elles avaient à dire sur le sujet. Plusieurs d’entre elles, dont la CGT, avaient répondu à cette sollicitation (les interventions syndicales sont annexées au rapport). Pourtant, on ne trouvera nulle trace des arguments syndicaux pourtant précis dont ils ont pu disposer, si ce n’est pour dénoncer de façon très caricaturale une posture qui serait par nature oppositionnelle de la part des syndicats.

Des éléments de bilan pourtant accablants

Le rapport évoque quand même l’impréparation, l’absence de formation, le mal être des contrôleur.es voyant leur corps mis en extinction, le chantage à passer l’EPIT/CRIT sous peine de quitter la section, l’humiliation à être recalé après 10, 20, 30 années d’expérience, d’être qualifié.es de « stock résiduel » par l’administration ;  le mal être des IT en surcharge de travail et perdant certaines fonctions, se voyant humilié.es par certain.es voulant leur apprendre le métier ; le sous-effectif chronique aggravé par le fait que les postes de RUCs ont été pris sur les postes IT.

Malgré ces constats, les IGAS ne tremblent pas et ne contiennent pas leur immense enthousiasme quant à la réforme dite du « Ministère fort ». Bref, une ligne sur les agent.es, et on n’en parle plus !

Ni le fond de la réforme ni sa mise en œuvre à marche forcée ne sont en cause dans les problèmes constatés. C’est bien là la feuille de route « réelle » des IGAS : ne pas évaluer l’impact des politiques publiques mais chercher le mal ailleurs. Les RUCs seraient mal considéré.es, mal payé.es et mal compris.es et il faudrait trouver des solutions pour leur venir en aide. Si nous ne nions pas la souffrance de certain.es RUCs dans l’exercice d’un poste mal construit et qui ne devrait pas exister, la moindre des choses serait d’indiquer que c’est bien la réforme qui les a mis.es dans cette situation !

Surtout, le rapport passe bien rapidement sur les difficultés rencontrées par les agent.es… La perte de sens dans les métiers et la batonnite sont rapidement évoqués page 87, aucune analyse n’en est faite. Pourtant, les conditions de travail des agent.es se sont très clairement dégradées depuis 2014. Quel bilan le rapport tire-t-il des multiples enquêtes « risques psychosociaux » menées par les CHSCT sur des pratiques de management toxiques ? Aucune ! Quid du ressenti des agent.es sur le sur-contrôle de leur activité, la mise en place d’objectifs collectifs ? Rien ! Les tentatives de suicide d’agent.es ces dernières années, parfois liées à des tensions avec l’encadrement ? Néant !

Ce rapport constate toutefois que ces postes de RUCs n’ont pas enthousiasmé les inspecteur.trices du travail et ont été donnés à des agent.es sans expérience non seulement de l’encadrement mais aussi de la section. Le peu d’appétence des agent.es pour ce poste inutile et facteur de RPS a conduit la DGT à « donner un grade à qui voulait bien le prendre ».

Et alors que les IGAS font le constat qu’une fois qu’un.e RUC quitte ce poste, un.e sur deux ne reprend pas un autre poste de RUC, là encore, la nature même de la fonction n’est pas questionnée, alors qu’il est patent que c’est ce poste intenable qui est la source de souffrance au travail chez un certain nombre d’agent.es exerçant ces fonctions. Pour les IGAS au contraire, il faut renforcer et amplifier la fonction quel qu’en soit le coût pour les agent.es et les services. Cette préconisation est tout sauf une solution !

Les IGAS  préconisent le bâton pour les agent.es

Les rédacteurs indiquent que c’est « le climat social de l’unité de contrôle » qui fait toute la différence entre la possibilité pour le RUC de remplir sa mission et l’impossibilité de l’accomplir.

Les RUCs seraient souvent sans défense face à des agent.es réfractaires, « nostalgiques » d’un temps révolu. Mais les IGAS ne sont manifestement pas à une contradiction près, puiqu’iels s’étonnent du fait que les agent.es nouvellement embauché.es peuvent adopter un comportement analogue ! Toutefois, à aucun moment ni le fond de la réforme ni l’organisation du travail autoritaire et exclusivement descendante n’est questionnée puisqu’à de nombreuses reprises. Les rédacteur.ices écrivent que l’opposition des agent.es relèvent de « positions de principe », faisant fi des situations souvent insupportables vécues par les agents en section.

La sémantique utilisée par les IGAS s’apparente parfois à celle de la pathologie mentale pour décrire le comportement de certain.es agent.es en UC (« pratiques déviantes », des « comportements anormaux » …).

Ainsi, ces agent.es réfractaires, probablement rétif.ves au changement seraient alors à l’origine des risques psychosociaux dont les RUCs seraient victimes. Et là, les rédacteurs du rapport vont loin, très loin. Ils écrivent : « dans certains cas, les faits observés apparaissent susceptibles d’une qualification de harcèlement moral ou en tout cas sont ressentis comme tels par les RUCs qui en font l’objet : inscription ou tract dévalorisant, courriel pointant de façon répétée les insuffisances ou manquement supposé du RUC etc.

« Dès lors que la situation de RPS est vécue par le RUC, le système paraît sans défense contre des comportements qui pourraient s’avérer abusif voire fautifs ».

En bref, selon les IGAS, s’opposer à un RUC, pour un.e agent.e de contrôle, ne repose pas sur des faits vécus dans l’UC : c’est juste une posture de principe, souvent violente, qui est potentiellement source de harcèlement moral. CQFD, il s’agit d’une posture fautive qu’il convient de combattre par tout moyen (« le constat qui peut être fait à cet égard renvoie au problème plus général d’exercice de l’autorité hiérarchique dans le système d’inspection du travail »).

… Et la carotte pour les RUCs :

Force est par ailleurs de constater que les fonctions d’appui et de ressource qui ont disparu du fait de la réforme n’ont jamais été palliées par la fonction de RUC, contrairement à ce qu’on nous avait annoncé.  Mais même pour ça, la faute serait imputable aux agent.es des UC : lorsque l’agent.e de contrôle refuse que le RUC l’accompagne en contrôle, ou lorsqu’iel ne souhaite pas lui demander un appui directement, c’est sans doute …parce qu’iel ne souhaite pas mettre en évidence une méconnaissance professionnelle ou une posture inadaptée ?

On aurait bien aimé trouver ce type d’élément factuel dans le rapport IGAS mais on a eu beau chercher…

La surveillance de l’activité individuelle des agent.es reste de fait la pierre angulaire de l’activité des RUCs et les IGAS préconisent qu’iels disposent de plus de moyens.

Ainsi, les IGAS soulignent le fait que « le RUC ne dispose pas encore de « moyens lui permettant d’asseoir son autorité ni de valoriser des agents de l’UC qui s’investissent ».

Pire encore, les IGAS déplorent que les RUCs ne disposent pas des outils de récompense ou de sanction des agent.es, comme le levier des primes. L’outil indemnitaire reste à la main du Directeur régional ou départemental. Bref, la solution à tous les problèmes serait bien évidemment les injustices générées par le CIA… largement capté par les RUCs !

 

Les IGAS ne manquent donc pas d’idées pour que plus d’agent.es viennent occuper les postes de RUCs et restent à leurs postes. Ils préconisent en toute fin de rapport que soient créés encore plus de postes de RUCs, ainsi que des postes de RUCs adjoints, des RUCs adjoints animateurs en plus des vrais RUCs pilotes. Bref, multiplions les hiérarchies pléthoriques et laissons de côté le travail de terrain. A ce stade, la DGT a précisé lors du CSA ministériel du 2 février 2023 qu’elle ne donnerait pas suite à cette préconisation. Les IGAS proposent également plus de moyens de contrôle et de coercition pour mater les agent.es récalcitrant.es, un possible grade de Directeur du travail pour les plus vaillant.es d’entre elleux ainsi qu’une rémunération très revalorisée via notamment la politique indemnitaire…

Est-ce que continuer encore plus loin dans la même direction est la bonne solution, quand rien ou presque ne marche ? Pour la CGT c’est clairement non !

 La CGT s’oppose fermement à la remise en cause de l’autonomie et de l’indépendance des agent.es de l’inspection du travail tant dans la conduite de leurs actions que sur les suites à donner.

La CGT s’oppose aux réformes mettant en cause ces principes mises en œuvre par les gouvernements successifs.

La CGT exige le rattrapage de la suppression de postes et le doublement du nombre d’agent.es de contrôle et de secrétaires.

La CGT revendique le passage de tou.tes les CT qui le souhaitent en IT. Il est temps de mettre fin à cette maltraitance !

La CGT revendique la suppression des unités de contrôle, la suppression du poste de RUC et leur réintégration dans les effectifs de contrôle.

La CGT exige le déroulement linéaire et le déblocage immédiat des carrières des agent.es en fin de grade et le passage systématique au grade de DA « inspectant » au-delà du 10ème échelon.

Rapport IGAS sur la fonction de RUC 17.04.23