Projet de réforme de la fonction publique: Une remise en cause sans précédent du statut, des carrières et de la rémunération

Le gouvernement prépare une attaque sans précédent contre les droits des 5.7 millions de fonctionnaires de ce pays avec l’avant-projet de loi « pour la confiance et l’engagement dans la fonction publique » du ministre de la Fonction Publique Stanislas Guérini. Selon lui: « À l’issue de cette loi, les employeurs des administrations, maires, préfets, directeurs d’hôpitaux doivent être libres de mieux rémunérer les agents les plus engagés dans leur travail »… et surtout moins rémunérer la majorité.

Par exemple : « Les critères écologiques pourraient entrer dans le calcul de la prime des agents chargés des espaces verts, en fonction par exemple de leur usage raisonné des engrais chimiques, […] Autre cas de figure : des agents d’accueil modulant leurs horaires pour assurer le service d’un plus grand nombre d’usagers. La prise en compte de l’absentéisme pourrait aussi jouer sur le montant de l’intéressement. »

Mais le gouvernement veut aller plus loin que les seules « primes au mérites » : il veut imposer l’individualisation des traitements sur le modèle de l’IFSE.

Stanislas Guérini vient d’être reconduit au ministère de la fonction publique pour conduire la contre « réforme historique » qu’il a préparée, dont l’examen du projet de loi initialement programmé en tout début d’année, est finalement repoussé au second semestre 2024.

Il est crucial de porter son contenu à la connaissance de tous les collègues pour préparer la mobilisation et le bloquer.

 La genèse du projet : la loi de transformation de la fonction publique du 06 août 2019

Lors du premier quinquennat Macron, la loi de réforme de la Fonction Publique de 2019 avait déjà porté un coup au statut des fonctionnaires :

  • Suppression de 56 000 postes ;
  • Pilotage de la masse salariale par le point d’indice ;
  • Recours accru aux contractuels (notamment sur emplois permanents) ;
  • Lignes directrices de gestions « pour mieux reconnaître les mérites individuels dans l’avancement et la promotion » ; suppression des CAP (sauf disciplinaires) et CHSCT ; renforcement des sanctions ;
  • Remise en cause des accords de temps de travail dans la fonction publique territoriale et mise en place du RIFSEEP pour eux.

Mais le statut général, objet des attaques des gouvernements successifs, et les dispositions régissant les carrières et le traitement subsistent. A peine les décrets d’application de cette loi parue, le gouvernement s’est mis à préparer une nouvelle attaque. En septembre 2021, la ministre de la Fonction Publique d’alors, Amélie de Montchalin, commande un rapport à :

–           Paul PENY, ex-DRH de la Caisse des dépôts et consignations et ancien directeur général de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), directeur de cabinet de Stanilas Guérini jusqu’à récent remaniement;

–           Jean-Dominique SIMONPOLI, présenté par le gouvernement comme « expert en dialogue social », également président du CA de l’INTEFP après avoir participé à la rédaction de nombreux rapports préalables aux contre-réformes, notamment le rapport Combrexelle de 2015, brouillon des « ordonnances Macron ».

Rien qu’à leur CV, on se doutait bien qu’ils ne seraient pas les plus grands défenseurs de la fonction publique et de ses agent.es, mais ce qu’on y a lu nous a donné froid dans le dos !

Le rapport PENY – SIMONPOLI, véritable brouillon du projet du gouvernement

Le 14 mars 2022 donc, ils rendent leurs rapport, intitulé « Conférence sur les perspectives salariales de la fonctionpublique(https://www.transformation.gouv.fr/files/presse/Rapport_Restitution_perspectives_salariales.PDF) et préconisent le développement de nouvelles dérogations au droit commun :

  • Développement de modalités de recrutement spécifiques;
  • Individualisation de la rémunération pour certains territoires ;
  • Recrutement sans concours ;
  • Recours accru et « assoupli » aux contractuels ;
  • Dérogation aux règles d’affectation à la main des ministères.

Sur certains métiers « Les agents acceptant de partir sur ces métiers et/ou dans ces territoires signeraient avec leur employeur un contrat leur ouvrant droit de manière accélérée à certains types de postes et/ou à certains territoires plus demandés » ! (p.75)

Bref : une nouvelle étape d’individualisation des droits des agents qui sape, petit à petit, le statut de la fonction publique et les garanties qu’il contient.

 

Mais surtout le rapport préconise une véritable « contre-révolution » en matière de carrières et de rémunération.

C’est là le cœur du projet du gouvernement. Guérini déclarait au Figaro (28/11/23) : « Le statut de la fonction publique, ce n’est pas le statu quo. La rémunération au mérite ne doit pas être un tabou ».

L’avancement de la rémunération à l’ancienneté dans le viseur du gouvernement

Le rapport préconise de modifier radicalement la rémunération des fonctionnaires au travers de deux moyens. Le traitement ne dépendrait plus du positionnement dans la grille, et donc du grade et de l’ancienneté du fonctionnaire, mais de « la valorisation des qualifications et des compétences détenues au moment du recrutement ou acquise par l’expérience professionnelle au cours de la carrière, en cohérence avec la nature et la technicité des métiers, ainsi que de l’évolution des responsabilités exercées (soulignés dans le rapport) » (p.85).

Le rapport préconise notamment la fixation de pourcentages d’augmentation, à un rythme ou selon une pente plus progressifs que les avancements d’échelon actuels.

Cependant, rendre ce mécanisme purement automatique n’apparaitrait pas adapté aux rapporteurs !

En lieu et place d’une augmentation mécanique, il pourrait être envisagé que cette augmentation traduise davantage l’expérience acquise et ne soit pas le simple reflet de l’ancienneté » (p. 86) et l’appréciation de l’expérience acquise serait confiée à la hiérarchie ! Bref, Les agent.es seraient ainsi à la merci complète de leur hiérarchie.

Un peu plus loin, le rapport détaille : « Une telle évolution conduirait à aller au bout de la logique de transfert « primes-points » en intégrant dans la part indiciaire principale tout ce qui relève de la prise en compte des niveaux de compétence ou de responsabilités ainsi que de la capitalisation de l’expérience. En pratique et à titre d’illustration, il s’agirait pour les corps relevant aujourd’hui du RIFSEEP, de transférer la composante « IFSE » au sein de la part principale » (p. 85). En somme, contaminer le traitement par le virus de l’IFSE !

L’intégration des primes dans le traitement : une revendication syndicale enfin entendue ?
 En lisant ces propositions, n’importe quel fonctionnaire espère que peut-être, malgré le reste du projet, cela pourrait lui permettre de bénéficier d’une retraite moins faible et que ce pourrait être mieux que rien… Qu’en est-il ? Le rapport lui-même y répond : « Ce n’est pas parce que les primes rentreraient dans le traitement qu’elles rentreraient automatiquement dans l’assiette des pensions » (p. 85). Le rapport en profite pour remettre sur la table l’alignement de la période de référence du calcul sur le privé : 25 dernières années contre 6 derniers mois ! Bref, une belle arnaque !

Un reliquat de droits communs de misère et le développement de la rémunération au mérite

Le rapport préconise la fin de l’augmentation automatique du traitement à l’ancienneté (p.86-87) substituée par des « garanties socles ».  Le rapport explique que cette partie du traitement devrait assurer la « préservation des moyens d’existence et du pouvoir d’achat ».

Quelle mascarade, alors que l’ensemble des gouvernements successifs ont organisé l’appauvrissement des fonctionnaires en gelant le point d’indice pendant près de 20 ans !

Jusqu’en 2000, la valeur du point d’indice suivait peu ou prou l’inflation. Pour compenser les 20 ans de retard cumulés dans la fonction publique, il faudrait augmenter le traitement de 26%.

Perte de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires en fin de grade :

Adjointe adm – C1  Adjointe adm-C2 Adjointe adm-C3
-490 € -538€ -606€
SA-classe normale SA-classe supérieure  SA-classe exceptionnelle
 -645€ -684€ -752€
Attaché.e Attachée.e principale Attachée hors classe
-863€ -1052€ -1246€

S’agissant de la rémunération au mérite, Guérini explique qu’il veut « valoriser l’engagement » des fonctionnaires « qui se décarcassent au quotidien » … l’immense majorité doit donc être un tas de feignant.es…

L’objectif affiché par le rapport « est que la part « CIA » prendrait une place progressivement accrue pour jouer pleinement son rôle de levier managérial de reconnaissance de la performance. Comme évoqué lors des débats, toute perspective d’élargissement de ce volet devrait être conditionnée au développement d’une culture solide de l’évaluation (fixation et évaluation d’objectifs, etc.) » (p. 85).

Si le projet du gouvernement aboutissait, les fonctionnaires se verraient privé.es du droit collectif à une progression de salaire du fait du déroulement de la carrière.

Par ailleurs, chacun.e peut constater que dans le privé, le développement des augmentations individuelles est aujourd’hui systématiquement opposé aux augmentations collectives. Il en serait de même demain pour les fonctionnaires.

Il y a urgence !

Nous appelons l’ensemble des collègues à s’informer, à débattre, à chercher à comprendre collectivement et à démonter un à un les pièges que le gouvernement s’apprête à tendre.

Même si le gouvernement annonçait une soit disant « contrepartie », y compris financière, même s’il renonçait à présenter une partie de son projet, rien ne peut justifier la remise en cause des droits collectifs qui nous restent.

NOUS INVITONS L’ENSEMBLE DES COLLEGUES A SIGNER MASSIVEMENT LA PETITION INTERSYNDICALE SUR LES SALAIRES : https://chng.it/nsfsbmtrry.de tous les contrôleur.es du travail qui le souhaitent au corps de l’inspection