Le SNTEFP s’est saisi du dossier de la réforme OSE (Organisation des Services de l’Etat) en Guyane, qu’il suit depuis 2020.
Car cette réforme semble bien préfigurer ce qui pourrait être généralisé demain à tous les services déconcentrés…
En Guyane, dans les services déconcentrés :
– Toutes les adresses mail des agents contiennent le suffixe « préf » : prénom.nom@guyane.pref.gouv.fr … Même les mails des inspecteurs.trices et contrôleurs.euses du travail.
– Le Ministère de l’intérieur a littéralement absorbé les services déconcentrés du territoire guyanais, et les directions départementales et régionales des services déconcentrés ont disparu : il n’y a donc même pas de DDI (direction départementale Interministérielle) !
– A la tête de ces directions totalement nouvelles et sans équivalent ailleurs sur aucun autre territoire, sont placé.es des directeurs.trices ayant le statut de sous-préfet.e…
– Les inspecteurs.trices et les contrôleurs.euses du travail sont par conséquent placé.es sous une ligne hiérarchique intenable à savoir …préfectorale?
- Le préfet préside les instances représentatives : de 2020 à 2022, il a présidé les comités techniques et des CHSCT « uniques » (où la majorité des élu.es étaient police Nationale). Du « sur mesure », les réunions des instances ayant lieu …à La Préfecture.
- Le préfet préside maintenant le CSA élu en mars 2023 (pour cause de désastre électoral en décembre 2022) et les réunions ont lieu…à la Préfecture, évidemment.
Mais d’où vient OSE cette « fusion absorption » des services déconcentrés par le Ministère de l’intérieur?
En 2017, 2 ans avant le mouvement métropolitain des gilets jaunes né en novembre 2018 et l’énorme mobilisation contre la réforme des retraites de 2019, les citoyen.nes de Guyane ont mis en grande difficulté l’autorité de l’Etat : iels réclamaient essentiellement des moyens supplémentaires pour améliorer le service public et le quotidien dans ce territoire où les inégalités sont à une échelle bien supérieure à celles de métropole.
La « réponse » du gouvernement Macron a été la mise en place de OSE[1] (réforme de l’Organisation des Services de l’Etat)…
* Au 1er janvier 2020, OSE a consisté :
– à éclater les services préfectoraux, le secrétariat pour les affaires régionales (SGAR) et les directions régionales (dans ce « département-région », comme dans les autres DOM, les niveaux département et région sont fusionnés): Agriculture, Alimentation et forêt ; Aménagement et environnement etc… qui étaient chacune sous tutelle d’un Ministère.
– à mélanger et/ou à fusionner l’ensemble des postes et missions dans cinq nouvelles directions générales, ne répondant plus à un Ministère précis… (980 agents concernés).
L’inspection du travail et les services « Emploi » sont désormais rattachés à l’une de ces grandes directions, la DGCOPOP (service DETCC).
Ces directions sont organiquement placées sous l’autorité du préfet et les haut.es fonctionnaires qui les dirigent ont le statut de sous-préfet.es (iels sont donc dépendant.es administrativement et hiérarchiquement du Ministère de l’intérieur).
On aurait pu penser que la crise sanitaire aurait pu ralentir le mouvement … mais la réforme a été mise en place durant toute l’année 2020, sans tenir aucun compte de la situation exceptionnelle vécue par les agent.es: au contraire, OSE a été menée « tambour battant ».
Des conditions de travail dégradées (à l’image de celles de l’OTE) mais des spécificités inquiétantes
Concrètement, la situation des collègues de Guyane ressemble pour partie à celle générée par l’OTE.
« Sur un trimestre, certains ont déménagé, changé de chefs, de pratiques, ont perdu des collègues. Le boulot dans ces conditions, ça ne peut plus marcher (…). Comme c’est le Ministère de l’intérieur qui ne fonctionne pas pareil et qui a repris la main sur la direction générale de l’administration, ça a engendré des problèmes par exemple pour les remboursements de frais de mission. Certains ont quand même eu jusqu’à 500 euros de frais de mission dans la nature. [2]» .
Cette situation s’est enkystée: les agent.es des services Emploi et Travail ne disposaient plus, pour beaucoup, de leur applications « Métier», ont des problèmes récurrents d’informatique, et ne se sentent plus attachés à un Ministère avec lequel ils n’ont plus aucun lien : pas de communications dédiées, pas d’accès direct à l’Intranet de leur Ministère etc…
Les agent.es des services RH de la DGA (SGCD local) sont moins qu’à l’os, obligé.es de gérer 2 fois plus d’agent.es, avec 2 fois moins de personnel !
La perte de repères, le sentiment d’absurdité, la souffrance au travail, se sont installés dans les différents services.
« S’y ajoute une préfectoralisation des services instructeurs : « L’idée, c’est de n’avoir qu’une seule tête, une seule voix » avec un préfet « qui obéit au ministre de l’intérieur. Il n’y a plus de débats internes. Il faut exécuter », dénonce un ancien chef de service du public.2
Des “instances de dialogue social” différentes des CT et CHSCT ont été créées de toutes pièces[3] , dans un contexte anti-syndical
Les seules instances de consultation ont été, de 2020 à 2023 : le comité technique unique et le CHSCT unique, fusionnant les comités techniques de toutes ces anciennes directions : de 50 représentants du personnel, par un tour de passe-passe inédit, et affranchi semble-t-il du droit…, on est passé à 10 représentants du personnel 3!
Ces instances uniques (CTU et CHSCT U) se réunissaient en Préfecture et étaient présidées par le Préfet: Dans ce comité technique unique à taille réduite, les problèmes évoqués n’avaient aucun lien les uns avec les autres : les problèmes d’accueil des étrangers en Préfecture pouvant cohabiter avec les problèmes liés au contrôle de la vente de poissons…
Et …Quid des problèmes propres à l’inspection du travail ?
Aujourd’hui, le nouveau CSA se réunit en préfecture et est présidé …par le Préfet.
Budgétairement : fusion de BOP en toute opacité?
Dans OSE, les BOPs des différents Ministères peuvent être « fusionnés »[4].
Ainsi, le budget « déplacements » a fusionné tous les BOP en 2023, y compris celui du Ministère du travail, le BOP 154 : donc si la Préfecture préfère privilégier le déplacement héliporté d’un ou plusieurs agents de la Préfecture au détriment des contrôles de l’inspection du travail, elle le peut, et, ce, en toute opacité : en effet comment vérifier que telle part de BOP a financé tel ou tel service, de telle ou telle administration ?
Des expérimentations susceptibles d’être étendues à la métropole ?
On peut se demander légitimement si la préfecture de Guyane et le Ministère de l’intérieur n’organisent pas en Guyane des « expérimentations » (à des milliers de kilomètres de Paris, c’est plus facile…), qui finiront par voir le jour en métropole ?
Le serveur informatique unique
L’objectif de la direction générale de l’administration (DGA) de la Préfecture, est d’intégrer toutes les applications métiers de tous les services au sein d’un seul et même serveur, géré par…la Préfecture.
Par exemple, plus besoin que le Ministère du travail transfère les données relatives à la main d’œuvre étrangère au Ministère de l’intérieur : la Préfecture de Guyane aura directement accès aux données locales, plus-value importante dans ce département où la question des travailleurs étrangers sans papiers est une priorité politique et judiciaire.
Les agent.es des divers Ministères n’ont plus accès direct pour certains (comme ceux du Ministère du travail, de l’emploi et des solidarités) à leur Intranet ministériel …du coup ils ne peuvent qu’avec les plus grandes difficultés demander à bénéficier de leur propre Action sociale de leur Ministère de rattachement (et avec les retards que cela induit).
Un traitement très particulier prévu pour le corps des Inspecteurs.trices et Contrôleurs.euses du travail ?
– Il est surprenant de voir dans l’organigramme de la DETCC que les inspecteurs.trices et contrôleurs.euses du travail voient leurs fonctions assimilées à de « l’assistance au contrôle » : erreurs de langage ou projet ?
– Un projet de convention Ministère du travail/ Ministère de l’intérieur concernant la gestion RH du corps de l’inspection du travail, rédigé par les services de la Préfecture de Guyane a été communiqué à la direction de la DGCOPOP, sous le titre « projet de convention de gestion locale des actes individuels concernant les membres des corps des contrôleurs et des inspecteurs du travail. »
Interrogé au dernier comité technique national des DDI par notre organisation sur ce projet, le secrétaire général du Ministère de l’intérieur a déclaré « ne pas avoir connaissance d’aucun projet de décision nouvelle concernant les actes RH relatifs au corps de l’inspection du travail (…) particulier pour le corps de l’inspection du travail ; comme pour les autres fonctionnaires, les SGC s’occupent des fonctions support ». [5]
Ça a le mérite d’être dit, sur le moment. Mais, quoi qu’il en soit, la gestion directe du corps de l’inspection du travail est sans doute un fantasme du Ministère de l’intérieur…que la Préfecture de Guyane s’apprête peut-être d’ores et déjà à expérimenter?
Mais comme nous l’avions écrit « Certains directeurs du Ministère de l’intérieur ne se sont d’ailleurs jamais cachés de cette intention de vouloir reprendre au sein des préfectures les missions et services des DDI, comme l’était l’organisation de l’Etat dans les années 50 [6]»…Une volonté de retour au « Bon vieux temps des Colonies » ?
Le syndicat CGT-TEFP revendique :
° La fin de « l’exception Guyanaise » en termes d’organisation territoriale des services de l’État
° Le retour de la gestion RH des agent.es par les services du Ministère du travail, de l’emploi et des solidarités
° L’arrêt de toutes les expérimentations de serveur informatique unique estampillé « Ministère de l‘intérieur » qui mettent les applications métiers à la main préfectorale
° La configuration immédiate d’une ligne hiérarchique claire et indépendante du Préfet pour les Contrôleurs/euses et et Inspecteurs/trices du Travail
° La fin du CSA présidé par le Préfet de Guyane pour nos services Emploi et Travail
° Un doublement des effectifs pour nos services et pour ceux de la DRH (DGA)
[1] Voir Décret 2019-894 du 28 août 2019 relatif à l’organisation et aux missions des Services de l’Etat en Guyane ; Arrêté R03 2020 05 14 004 portant organisation des services de l’état en Guyane ;
2 Article Médiapart / Guyaweb du 31/01/2022
3 Arrêté R03 2020 -02-18-003 du 18/02/2020 portant création de ces instances
4 Article 4 de l’arrêté du 14 mai 2020 portant organisation des services de l’État en Guyane : 3ème alinéa : « le préfet peut, par arrêté, et après avis des chefs de service déconcentrés mentionnés au présent titre, constituer au sein de la direction générale de l’administration un service support partagé pour la gestion de fonctions et moyens relevant de plusieurs programmes budgétaires et exclus du champ d’application du décret susvisé numéro 2019–8 94 du 28 août 2019 ».
4ème alinéa « le préfet peut conclure avec les autres chefs de service déconcentrés concerné ou les responsables des organismes assurant une mission de service public toute convention en vue de constituer au sein de la direction générale de l’administration un service support partagé pour la gestion de fonction et moyens relevant de plusieurs programmes budgétaires exclus du décret susvisé du 28 août 2019 ».
5 Comité Technique des DDI du 13 octobre 2022.
6 Contribution CGT à la mission d’enquête de l’inspection générale de l’administration du 21 mars 2023 sur les secrétariats généraux communs
Téléchargez le tract ICI