Lettre ouverte à la Ministre du Travail : canicules et vagues de froid : il est urgent de modifier la réglementation

Madame la Ministre du Travail,

Il y a quelques semaines, la France était traversée par une vague de froid. Les travailleurs et travailleuses ont dû poursuivre leurs activités, confronté.es à des températures extrêmes et aux risques qu’elles induisent pour leur santé et leur sécurité, largement documentés.

Notre syndicat CGT Travail Emploi Formation Professionnelle interpellait l’ancien ministre du travail mi-septembre dernier au sujet des décès survenus cet été en raison des fortes chaleurs (cf notre lettre ouverte).

Cette lettre ouverte, restée à ce jour sans réponse, dénonçait l’insuffisance de la réglementation française en la matière. Nous demandions ainsi à votre prédécesseur d’intervenir afin de renforcer l’arsenal législatif relatif aux ambiances thermiques de travail qui laissent aujourd’hui une part trop large à l’appréciation de l’employeur. Nous sollicitions également un renforcement des pouvoirs de l’inspection du travail, à l’instar de la BELGIQUE où il est possible, pour les agent.es de contrôle, de notifier un arrêt d’activité lorsque les températures sont trop élevées.

Si de telles possibilités avaient existé cet été en France, des vies auraient sans doute été sauvées… Olivier DUSSOPT s’est exprimé dans un article de la revue LIAISON SOCIALE du 28 septembre 2023 sur ce sujet. Après avoir rappelé que la possibilité existante, pour l’inspection du travail, de mettre en demeure un employeur en cas d’épisode caniculaire, était insuffisante, il a indiqué avoir saisi la DGT d’une mesure visant à élargir les pouvoirs de l’inspection du travail en lui permettant de notifier des arrêts d’activité en cas de fortes chaleurs.

Si nous nous réjouissons de cette volonté d’étendre les pouvoirs de l’inspection du travail, nous sommes inquiet.es de voir que, en ce début d’année 2024, aucune mesure n’a encore été prise pour concrétiser les déclarations faites auprès de la presse.

Allons-nous attendre le retour des épisodes caniculaires et de nouveaux drames pour qu’enfin la réglementation évolue? Pourquoi, alors que des salarié.es travaillent actuellement dans des conditions de froid extrême, multipliant les risques d’accidents, aucune mesure n’est prise face à l’insuffisance de la réglementation ?

Notre inquiétude n’est pas seulement temporelle. Votre prédécesseur a déclaré auprès du même quotidien spécialisé, ne pas souhaiter introduire dans le code du travail de valeurs limites de températures maximales au-delà desquelles il serait interdit de faire travailler les salariés….

Comment dès lors envisagez-vous l’action de l’inspection du travail?

Pour être efficace, l’inspection du travail doit pouvoir agir de manière immédiate en procédant aux arrêts d’activité évoqués de manière aussi rapide et simple que lorsqu’elle arrête une activité en cas de constat de l’existence d’un risque de chute de hauteur.

La fixation de valeurs limites s’impose non seulement pour sécuriser l’action de nos services en cas de notification d’arrêt d’activité, mais également à la lecture des textes internationaux liant la France. En effet, la convention internationale n°120 de l’OIT ratifiée le 06/04/1972, et encore jamais mise en œuvre stipule en son article 10, qu’ « une température aussi confortable et aussi stable que les circonstances le permettent doit être maintenue dans tous les locaux utilisés par les travailleurs. ». La recommandation n°120 apporte les précisions suivantes:

VI. Température

  1. Dans tous les lieux affectés au travail ou prévus pour les déplacements des travailleurs ou encore utilisés pour les installations sanitaires ou d’autres installations communes mises à la disposition des travailleurs, les meilleures conditions possibles de température, d’humidité et de mouvement de l’air, compte tenu du genre de travaux et du climat, devraient être maintenues.
  2. Aucun travailleur ne devrait être tenu de travailler habituellement dans une température extrême. En conséquence, l’autorité compétente devrait déterminer les normes de température, soit maximum, soit minimum, soit l’une et l’autre, suivant le climat, le genre de l’établissement, de l’institution ou de l’administration et la nature des travaux.
  3. Aucun travailleur ne devrait être tenu de travailler habituellement dans des conditions comportant de brusques changements de température considérés par l’autorité compétente comme nuisibles à la santé.
  4. Lorsque les travailleurs sont soumis à des températures très basses ou très élevées, des pauses, comprises dans les heures de travail, devraient être accordées, ou la durée journalière du travail devrait être raccourcie, ou d’autres mesures devraient être prises en leur faveur.”

Les périodes estivales précédentes nous ont montré l’inefficacité des seuls principes généraux de prévention et des textes flous imposant le respect de “températures raisonnables”, pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses de notre pays. Il est donc urgent, à l’instar d’autres pays, de responsabiliser les employeur.ses en imposant le respect de valeurs limites d’exposition professionnelle aux températures excessives (exemple de l’indice WGBT utilisé en Belgique et évoqué dans notre précédente lettre ouverte) au-delà ou en-deçà desquelles un arrêt d’activité peut être notifié.

Par conséquent, nous vous demandons à nouveau de prendre les mesures nécessaires, notamment en accédant à nos revendications figurant dans notre précédente lettre ouverte. Parce qu’il n’y a pas de droit effectif sans contrôle, il est également urgent de doubler le nombre de sections d’inspection et de mettre fin aux « plafonds d’emploi » qui empêchent de pourvoir les sections actuellement vacantes. Il est enfin urgent de mettre en œuvre l’obligation créée par la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, à savoir déposer le DUERP de manière dématérialisée à chacune de ses actualisations.

La santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses doivent être garanties en toutes circonstances climatiques.

Comptant sur votre volonté d’agir pour supprimer les décès et accidents dûs au travail,

Salutations syndicales,

Le SNTEFP CGT