La CGT-TEFP et ses sections locales constatent que des agent·es de l’inspection du travail ont été enjoints de participer, dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraudes (CODAF), à des opérations qui n’ont rien à voir avec la protection des travailleur·euses mais ciblent des entreprises, associations ou personnes musulmanes ou supposées l’être, à des fins de communication politique.
Ainsi dans la Drôme et la Haute-Garonne, des agent·e·s de contrôle sont sollicité·es pour contrôler en urgence des écoles hors contrat qualifiées de « coraniques » par la préfecture. En Seine-Saint-Denis la même demande a été adressée à l’inspection du travail mais n’a pas été relayée par la hiérarchie aux agent·es de contrôle.
Ces injonctions se sont multipliées au cours des derniers jours, le gouvernement ayant fait le choix, suite à l’assassinat abominable de Samuel Paty, de se livrer aux amalgames les plus grossiers entre islam et terrorisme, quitte à piétiner l’état de droit. Mais elles participent d’une logique nauséabonde qui n’est pas nouvelle.
Une circulaire de la honte
La circulaire Castaner du 27 novembre 2019 avait déjà franchi un cran en commandant d’ « identifier le réseau social, culturel, économique, associatif et culturel contribuant au repli communautaire » et de procéder à un harcèlement administratif, juridique et pénal via le CODAF qui « par son approche interministérielle, constitue un outil efficace de lutte lorsque ces fraudes sont commises par des entités liées à la mouvance islamiste. »
Pour les préfectures, l’inspection du travail doit participer au contrôle des entreprises qui relèvent de cette cartographie discriminatoire. Ainsi l’année dernière la situation a particulièrement alarmé nos collègues du Val-de-Marne, fortement sollicités pour participer à ces opérations. Sur 49 contrôles prévus par le CODAF pour le mois de mars 2019 dans ce département, 43 d’entre eux concernaient des entreprises dont le/la gérant·e a un patronyme à consonance extra-européenne.
Ces injonctions sont illégales
La CGT-TEFP rappelle que ces injonctions sont tout simplement illégales. Lorsque la réforme administrative de 1964 a confié des pouvoirs étendus aux préfets, l’article 4 du décret du 14 mars 1964 a exclu « l’inspection de la législation du travail » de leur compétence. Ce principe a été réaffirmé à de nombreuses occasions depuis et il est toujours en vigueur dans les textes bien que les préfets cherchent, avec la complaisance de plus en plus ouverte des ministres du travail, à le remettre en cause. Ainsi en dispose l’article 33 décret N°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’Etat dans les régions et départements.
Les missions de l’inspection du travail sont définies par le code du travail et la convention n°81 de l’OIT qui prévoit que les agent·e·s de l’IT sont chargée « d’assurer l’application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l’exercice de leur profession », de fournir des conseils aux employeurs et aux salariés et de porter à l’attention des autorités compétentes les déficiences et abus non couverts par les dispositions légales existantes. Et la même convention rappelle que si d’autres missions sont confiées aux inspecteurs·trices « celles-ci ne devront pas faire obstacle à l’exercice de leurs fonctions principales ni porter préjudice d’une manière quelconque à l’autorité ou à l’impartialité nécessaires aux inspecteurs dans leurs relations avec les employeurs et les travailleurs »
Sur le fondement de ces dispositions le BIT a rappelé, en 2009 puis 2011, à propos de la « lutte contre l’immigration clandestine », que les opérations conjointes ne permettent pas à l’inspection du travail d’exercer ses prérogatives et que : « l’association des forces de police à l’inspection du travail n’est pas favorable à la relation de confiance nécessaire à l’instauration d’un climat de confiance essentiel à la collaboration des employeurs et des travailleurs avec les inspecteurs du travail. » Aujourd’hui, on voudrait nous refaire le coup et astreindre l’inspection du travail à dévoyer sa mission pour « faire feu de tout bois » contre certaines structures, au nom de la lutte contre l’ »islamisme radical ».
En 2019 le Défenseur des droits a été saisi d’une part pour connaître son avis sur les modalités du ciblage des entreprises opéré par la préfecture du Val-de-Marne et relayé avec zèle par la direction de l’UD 94, et d’autre part sur l’absence de garanties offertes aux agent·e·s de contrôle par leur hiérarchie en ce qui concerne la situation des travailleurs·ses sans-papiers pris·es en charge lors de ces enquêtes.
Pour lutter contre le travail dissimulé, régularisez les sans-papiers !
Les CODAF visent aussi tout particulièrement les travailleurs·euses dit·e·s « sans-papiers » qui font partie des premiers de corvées pendant la crise pandémique du COVID-19. Le 17 octobre 2020, une mobilisation historique a d’ailleurs réuni des milliers de « sans-papiers » pour exiger l’égalité des droits.
S’il s’agit de la lutte contre le travail dissimulé, la CGT-TEFP a toujours défendu, avec la confédération et les collectifs « sans-papiers », que le premier acte pour lutter contre cette surexploitation était de procéder à la régularisation des travailleurs·euses dit·e·s « sans-papiers ». Même si elle ne les reprend aucunement à son compte, la CGT-TEFP souligne que les instructions transmises au sein du ministère du travail en date du 20 avril 2018 pour mettre en œuvre la circulaire Valls du 28 novembre 2012 prévoient que les interventions des agent·e·s du ministère doivent permettre d’appuyer les démarches de régularisation des travailleurs·ses sans-papiers en constatant l’existence d’une relation de travail. Nos missions d’inspection du travail sont donc incompatibles avec l’expulsion potentielle de salarié·e·s sans-papiers suite à un contrôle de police.
La CGT-TEFP dénonce l’instrumentalisation raciste des missions de l’inspection du travail par le biais CODAF. Elle demande donc à la ministre de suspendre la participation de l’inspection du travail aux opérations en cours diligentées dans ces cadres. Elle invite toutes et tous les agent·e·s qui seraient enjoint·e·s à participer à des opérations conjointes sans rapport avec les missions de l’inspection du travail à ne pas y donner suite et à nous saisir.
L’inspection du travail, en veillant au respect des droits individuels et collectifs des travailleurs·euses, contribue à leur émancipation économique et sociale. Ce dont elle a besoin, c’est de moyens humains et d’un véritable soutien à son action quotidienne, pas d’injonctions visant à dévoyer ses missions.