Introduit dans la loi « travail » par un amendement de dernière minute du gouvernement, l’article 117 prévoyant la mise en place d’un code de déontologie pour l’inspection du travail avait de quoi nous inquiéter. La lecture du projet de décret transmis le 28 octobre au Conseil national de l’inspection du travail (CNIT), confirme ces craintes.
Un code pour restreindre l’indépendance des agents de contrôle
- Toujours plus d’obligations, toujours moins de moyens !
La première chose qui frappe à la lecture de ce projet, c’est la multiplication des obligations qui sont mises à la charge des agents, dans un contexte de réduction générale des effectifs.
Tous les agents du système d’inspection du travail devront ainsi « des informations et des conseils aux usagers sur le droit applicable, sur sa portée et sur les moyens d’assurer son respect. » le tout « dans un délai raisonnable » (article R. 8124-18). Ils devront également informer les usagers des suites données à leurs contrôles (R. 8124-28), le tout sans faire de distinction entre les usagers, salariés ou employeurs (R. 8124-16).
Nous nous opposons à ce que nos services soient mis à la disposition des employeurs, nous revendiquons une inspection du travail au service des travailleurs !
- Des obligations principalement envers la hiérarchie
En réalité, l’essentiel des obligations énumérées par le projet de code de déontologie est créé non pas au bénéfice des usagers mais à celui de la hiérarchie du ministère.
Ainsi, selon le futur article R. 8124-5 du code du travail « Tout agent de contrôle [est] tenu de participer aux réunions de service et aux actions collectives » il est également tenu de rendre compte de son action en remplissant Wiki’T : « l’application de partage de l’information du système d’inspection du travail mise en place par la direction générale du travail. » (R. 8124-7) Sans oublier de « rester courtois en toute circonstance » (R. 8124-24)…
- Une liberté de contrôle résiduelle
C’est surtout sur le devoir d’obéissance que les rédacteurs du texte ont voulu insister, ainsi, elle est rappelée quatre fois sous différentes formes dans le projet de code de déontologie. Outre les multiplications des obligations professionnelles, l’accent est mis sur le fait que l’agent de contrôle doit : 1. Obéir à ses supérieurs ; 2. Suivre les consignes et priorités de la DGT ; 3. Participer aux actions collectives nationales et locales. ; 4. Se conformer aux dispositions du code de déontologie.
Il est particulièrement significatif que le futur article R. 8124-6 du code du travail soit plus restrictif que les textes généraux sur la fonction publique puisqu’il dispose : « Tout agent se conforme aux instructions reçues de son supérieur hiérarchique » alors que la loi du 13 juillet 1983 « portant droits et obligations des fonctionnaires » dispose dans son article 28 : « Tout fonctionnaire […] doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »
Manifestement, il semblait trop insoutenable à la DGT d’écrire que les agents avaient le droit et le devoir de désobéir à un ordre illégal !
Après cette accumulation d’obligations venant corseter l’action des agents de contrôle, la mention faite par le projet de décret selon laquelle l’agent est « libre d’organiser et de conduire des contrôles à son initiative. » et qu’il « décide librement des suites à donner à ses interventions et aux constats qu’il a opérés. » est illusoire. Quand et comment trouvera-t-il le moyen de le faire ?
Une restriction des libertés individuelles
- Une atteinte à la liberté d’expression des agents
Au-delà des limitations professionnelles instituées par ce projet de code de déontologie, ce texte restreint drastiquement les libertés individuelles des agents.
L’article R. 8124-17 dispose ainsi, tout simplement : « Dans l’exercice de leurs fonctions, les agents s’abstiennent de toute expression ou manifestation de convictions personnelles, de quelque nature qu’elles soient. »
« En-dehors du service, ils s’expriment librement dans les limites posées par le devoir de réserve. Ils ne peuvent tenir des propos dénigrant le service public de l’inspection du travail. Ils ne peuvent se prévaloir de la qualité d’agent du système d’inspection du travail dans l’expression de leurs opinions politiques. »
Ainsi, dans le cadre professionnel, l’agent n’a pas le droit d’exprimer d’opinion personnelle et, dans le cadre de sa vie personnelle, l’agent n’a pas le droit d’exprimer d’opinion professionnelle !
- La porte ouverte aux pratiques arbitraires
Au vu de ce qui précède, on peut s’inquiéter des discriminations qui pourront être menées en fonction des opinions politiques et syndicales sous couvert de la « prévention des conflits d’intérêt » (articles R. 8124-12 à 14). L’agent devra obligatoirement déclarer à son chef les : « intérêts ou activités, passés ou présents, de nature patrimoniale, professionnelle, familiale ou personnelle susceptible d’influencer ou de paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions. »
Ainsi, l’agent doit savoir ce qui pourrait paraître aux yeux des autres influencer son action et se conformer aux a priori des tiers en se retirant des situations ou ces a priori pourraient se manifester. S’il ne le fait pas lui-même, la hiérarchie peut prendre « toute mesure utile » pour le forcer à appliquer ces dispositions. C’est la porte ouverte à tous les arbitraires, car qui peut jurer qu’une situation ne peut en aucun cas paraître suspecte ?
En outre, avec des dispositions aussi floues, il sera d’autant plus facile pour un chef de service de désaisir un agent d’une affaire « sensible », comme cela a été tenté à Annecy dans l’affaire Tefal.
Un projet fait par et pour la hiérarchie au détriment des agents et des usagers
Au prétexte d’un code de déontologie, le ministère du travail règle ses comptes vis-à-vis d’une inspection du travail jugée trop remuante en faisant figurer dans le code du travail des matières qui relèvent plus d’un règlement intérieur que de la déontologie. En plus d’être contraire aux obligations de la convention n°81 de l’OIT, ce texte viole les droits individuels garantis par la constitution.
Si la CGT défend bien sur un service public d’inspection du Travail de qualité, instituer des obligations tout en réduisant les effectifs ne fera qu’augmenter la charge de travail des collègues et la souffrance au travail dans les services.
Comme à son habitude, le ministère voulait imposer son texte à marche forcée, et consulter le comité technique ministériel, sans l’avis préalable du CNIT dès le 9 novembre, mais les organisations syndicales, CGT en tête ont imposé le report de cette consultation après l’avis du CNIT.
La CGT exige le retrait de ce projet de code de déontologie et demande les moyens nécessaires pour permettre le déploiement d’un service public de l’inspection du travail de qualité sur l’ensemble du territoire, au service de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs !