MENACE SUR LES CONVENTIONS N°81 ET N°129 DE L’OIT !

Depuis quelques mois, la DGT fait circuler dans les services un document intitulé les « Directives sur les principes généraux de l’inspection du travail ». Elles ont été validées par une réunion tripartite d’expert.es de l’OIT du 13 au 16 décembre 2021 à Genève composé de représentant.es syndicaux, d’employeur.ses et de gouvernements de plusieurs pays.

La liste des experte.s révèle la présence d’une représentante de la DGT, Catherine TINDILLIERE, Sous-directrice de l’appui et du soutien au contrôle au système d’inspection du travail.

C’est pour présenter ce document que M. Joaquim Pintado Nunes, Chef du Service d’Administration du travail, d’Inspection du travail et de la sécurité et de la santé au travail de l’OIT, a été invité par la DGT pour un webinaire de présentation des directives aux agent.es,  le 13 septembre 2022.

Pour la CGT, c’est une nouvelle offensive contre les principes fondamentaux encadrant l’action de l’inspection du travail issus des Conventions n°81 et n°129 de l’OIT. La DGT serait trop heureuse de voire valider, par le niveau international sa politique travail dévastatrice pour l’indépendance des inspectrices et inspecteurs du travail, accompagnée des pires méthodes de management par les objectifs chiffrés individuels et le contrôle numérique. Voici une liste non exhaustive des points que nous avons relevés dans le document et sur lesquels nous alertons les collègues.

 

Un document sans valeur juridique à ce stade mais déjà dangereux pour nos missions

L’objectif de ce document est de préparer le remplacement de la recommandation n° 20 de 1923, jugée dépassée. La Conférence internationale du Travail examinera l’abrogation de cette convention à sa 112e session (2024).

C’est donc dans le cadre de ce travail préparatoire que de graves régressions sont envisagées. A ce stade, les « Directives sur les principes généraux de l’inspection du travail » n’ont aucune valeur juridique contraignante. Cependant, elles pourraient rapidement légitimer les pratiques de la DGT et offrir un cadre d’interprétation déformé des Convention n° 81 et n° 129.

Rappelons-le, les conventions et recommandations sont adoptées lors de la Conférence internationale du Travail de l’Organisation. Une fois les normes adoptées, les États Membres de l’OIT doivent, conformément à l’article 19 de la Constitution de l’OIT, les soumettre dans un délai de douze mois à l’autorité nationale compétente (en principe le Parlement). En l’état, les « Directives sur les principes généraux de l’inspection du travail » n’ont pas été soumise à une telle procédure.

 

Des nouveautés managériales délétères : planification, programmation, outil numérique, objectif chiffré individuel !

De l’aveu même de M. Joaquim Pintado Nunes lors du webinaire du 13 septembre, les directives introduisent des aspects qui n’étaient ni dans les conventions n° 81 ou n° 129 de l’OIT, ni dans la recommandation n° 20 de 1923. Il y a une volonté claire d’imposer une logique bureaucratique qui porte directement atteinte à l’indépendance. Cela ne peut que faire le bonheur de la DGT !

Petit florilège de cette idéologie managériale que vous retrouverez dans ces directives :

« 3.2.2. Volet central de l’action de l’inspection du travail, le cycle de planification et de programmation, suivi de la production des rapports d’inspection, est une méthodologie cohérente et objective, qui permet de traiter les problèmes majeurs liés aux conditions de travail et d’emploi, et de prévoir les zones géographiques ou les secteurs d’activité où des interventions ciblées pourraient s’avérer nécessaires. »

« 3.2.3. La planification des activités de l’inspection du travail au moyen d’un système annuel de gestion par objectif introduit un élément de rationalité fondamental, en ce qu’il permet de structurer une part importante des activités d’inspection, de rationnaliser l’affectation des ressources du système et, partant, d’en améliorer l’efficacité. »

« 3.3.3. Les mesures de suivi et d’évaluation des activités de l’inspection du travail doivent intégrer des paramètres et des indicateurs (quantitatifs et qualitatifs) permettant de vérifier que: a) les résultats individuels et organisationnels respectent l’échéancier, les normes et les spécifications définies dans la planification; »

« 3.4.2. Les technologies de l’information et de la communication permettent aux inspecteurs du travail de rendre systématiquement compte de chacune de leurs activités, sans s’imposer de fardeau administratif inutile. »

Outre le principe d’indépendance, c’est bien la santé de nos collègues que cette politique du chiffre met en cause depuis de nombreuses années dans les services. Rappelons que celle-ci avait été suspendue suite aux suicides de nos collègues Romain Lecoustre et Luc Beal Rainaldy en 2011.

On appréciera aussi la liquidation des postes de nos collègues C sous-entendue par la formule « fardeau administratif inutile », remplacés par les « technologies de l’information et de la communication » …

 

Une grave remise en cause du principe de la libre décision

Les points 3.4.4, 3.4.5 et 6.3.3 instaurent également des principes mettant directement en cause la libre décision :

« 3.4.4. Parce qu’ils constituent les renseignements de source primaire et la base du système global de rapports et d’information, ces rapports individuels doivent être rédigés conformément aux instructions précises de l’autorité centrale. »

« 3.4.5. Des règles contraignantes devraient s’appliquer à cet égard pour tout le corps d’inspection, avec des normes précises et réalistes; par exemple, un rapport d’inspection de routine devrait être remis au superviseur au plus tard une semaine après la visite. »

« 6.3.3. La fixation préalable de critères permettant de décider s’il est judicieux d’imposer ou de proposer des sanctions et leurs modalités renforce la cohérence des décisions des inspecteurs du travail, ce qui accroît leur légitimité et leur crédibilité aux yeux des parties concernées. »

Rappelons que le point 2 de l’article 17 de la convention n° 81 de l’OIT prévoit qu’il est laissé à la libre décision des inspectrices et inspecteurs du travail de donner des avertissements ou des conseils au lieu d’intenter ou de recommander des poursuites.

 

Une protection plus faible des missions de l’inspection du travail

Au regard de la recommandation n° 20 de 1923, le point 1.2.2 concernant la compatibilité des tâches est bien en deçà des principes fixés antérieurement :

« 1.2.2. Les inspecteurs du travail ne doivent pas consacrer de temps à des tâches subsidiaires ou accessoires au détriment de celles qui devraient constituer l’essentiel de leur travail. Les gouvernements ne doivent pas attribuer ou conférer aux inspecteurs du travail des pouvoirs ou responsabilités d’inspection supplémentaires concernant des questions de réglementation ou d’administration autres que celles énoncées à l’article 3, paragraphe 1, de la convention no 81 et à l’article 6, paragraphe 1, de la convention no 129. »

Il y a clairement une atténuation et un tri des obligations fixées pourtant explicitement par la recommandation n° 20 :

« 2. Dans la mesure où il apparaîtrait possible et utile de confier aux inspecteurs, en raison de la facilité du contrôle ou en raison de l’expérience que leur donne leur fonction essentielle, des tâches accessoires, variant d’ailleurs selon les préoccupations, les traditions ou les moeurs des divers pays, ces tâches peuvent leur être assignées à condition:

(a) qu’elles ne puissent en rien porter atteinte à l’accomplissement de leur fonction essentielle;

(b) qu’elles soient, autant que possible, rattachées par leur nature même à l’effort primordial de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs;

(c) qu’elles ne puissent en rien compromettre l’autorité et l’impartialité dont ils ont besoin auprès des employeurs et des travailleurs. »

Cette orientation est particulièrement problématique quand on connaît la volonté actuelle d’instrumentaliser les services d’inspection du travail en France dans la chasse aux sans-papiers et les contrôles islamophobes. Au contraire, le principe de compatibilité devrait être précisé et renforcé notamment sur les questions discriminatoires dans un contexte de montée de l’extrême droite et de ses idées au niveau international.

 

L’absence de garantie contre les discriminations

Une nouvelle fois dans son article 4.2.7, les « Directives sur les principes généraux de l’inspection du travail » introduisent des notions totalement étrangères aux articles des conventions n° 81 et n° 129 de l’OIT :

« 4.2.7. Pour l’autorité compétente, des entretiens approfondis, menés de manière équitable et objective, constituent le moyen idéal de choisir les meilleurs candidats. Lors du processus de sélection, il peut être demandé aux candidats de passer des tests écrits permettant d’évaluer leurs connaissances juridiques et/ou techniques utiles pour le poste. »

Ainsi, les écrits dans le processus de sélection deviennent secondaires alors que l’on sait que les oraux de concours sont un facteur important de discrimination notamment au ministère du travail (rapport l’Horty de juin 2016 sur les discriminations dans l’accès à l’emploi public).

Les dispositions de l’article 7 de la convention n° 81 de l’OIT ne comportent d’ailleurs aucune prescription précise sur les modalités de sélection :

« 1. Sous réserve des conditions auxquelles la législation nationale soumettrait le recrutement des membres des services publics, les inspecteurs du travail seront recrutés uniquement sur la base de l’aptitude du candidat à remplir les tâches qu’il aura à assumer.

  1. Les moyens de vérifier ces aptitudes seront déterminés par l’autorité compétente.
  2. Les inspecteurs du travail doivent recevoir une formation appropriée, pour l’exercice de leurs fonctions. »

 

Mobilisons-nous pour défendre nos missions dans les services et au niveau international !

Il est crucial que le remplacement de la recommandation n° 20 ne s’appuie pas sur les « Directives sur les principes généraux de l’inspection du travail ». C’est un document fait sur commande qui ne peut pas contribuer à la bonne application des conventions internationales.

La période du COVID 19 et l’affaire Anthony SMITH a montré la fragilité des protections attachées à nos missions. Une plainte a été déposée le 16 avril 2020 auprès du BIT par l’intersyndicale du ministère du travail CGT-FSU-SUD-CNT. Elle est actuellement toujours en cours d’instruction. Dans ce contexte, il est essentiel de réaffirmer au niveau international le principe d’indépendance, la lutte contre les influences extérieures indues et contre toutes les formes de répression des agent.e.s de l’inspection du travail.

 

D’ores et déjà, nous appelons l’ensemble des collègues à ne pas appliquer et à ne pas relayer ces directives qui remettent en cause gravement nos missions.

Notre syndicat prendra ses responsabilités pour dénoncer au niveau international la tentative honteuse de réinterprétation et de déformation des principes fondamentaux inscrits dans les conventions n° 81 et n° 129 de l’OIT.

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