Par Laure Ignace, juriste à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT)
Tribune publiée par L’Humanité le vendredi 6 octobre 2017
L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) apporte au quotidien conseils juridiques, orientations et soutien à des centaines de femmes victimes de violences sexuelles au travail faisant face à l’inertie des professionnel(le)s censé(e)s leur venir en aide, et en premier chef leur employeur, qu’il soit privé ou public.
La longévité de l’association lui a permis d’observer un double mouvement contradictoire. Tandis que le législateur a renforcé bon gré mal gré le droit positif en matière de harcèlement sexuel, dans le même temps, les services publics permettant de faire valoir ces droits n’ont cessé de s’effriter, notamment ceux de l’inspection du travail.
Nous avons connu une époque où la saisine de l’inspection du travail par la salariée victime de harcèlement sexuel déclenchait quasi automatiquement une enquête par un(e) agent(e) de contrôle disposant de moyens lui permettant de la mener sérieusement ; les enquêtes aboutissaient régulièrement à des procès-verbaux, des signalements au parquet ou à des lettres d’observation circonstanciées à l’employeur.
Les éléments alors recueillis étaient fondamentaux pour établir le harcèlement sexuel et permettre à la salariée de faire valoir ses droits en justice.
Mais de réformes en décisions politiques, ce corps est en passe d’être neutralisé au profit du patronat.
La baisse constante des effectifs de l’inspection du travail rend aujourd’hui ces enquêtes illusoires, préjudiciant gravement aux femmes victimes de violences sexuelles au travail alors que ces violences concernent une femme active sur cinq en France (1).
Entre 2009 et 2017, les effectifs ont baissé en moyenne de 18,82 % en France métropolitaine (2).
C’est compter sans les nombreuses vacances de postes au sein des unités de contrôle, désorganisant profondément les services. Cette situation a vocation à perdurer, les recrutements de contrôleur(ses) du travail ayant été définitivement arrêtés en 2014 avec la mise en extinction du corps et ceux d’inspecteur-trices du travail étant réduits à peau de chagrin (3).
La situation est déjà dramatique mais ces baisses s’accélèrent. Rien que pour l’Île-de-France, la Dirrecte prévoit la suppression de 49 sections d’inspection d’ici le 1er janvier 2018, soit 10 % des postes d’agent(e)s de contrôle sur la région.
Les quelque 2 000 agent(e)s de l’inspection du travail encore en poste sur le territoire, chargés du contrôle des conditions de travail de près de 18 millions de salarié.es, manquent assurément du temps et des moyens nécessaires à la conduite d’enquêtes hors du périmètre des objectifs nationaux du BOP 111 (4), dont la lutte contre les violences sexuelles ne fait pas partie. À ses axes prioritaires nationaux, chaque Direccte peut ajouter des priorités régionales et chaque unité de contrôle définir d’autres priorités locales, qui ne comprennent jamais le contrôle du respect des droits des victimes de violences sexuelles au travail.
Les agent(e)s de contrôle doivent rendre des comptes sur les axes prioritaires et s’il leur reste du temps, outre les enquêtes obligatoires sur les licenciements demandés par les employeurs contre les salarié(e)s protégé(e)s, ils et elles ont éventuellement l’occasion de s’atteler à… tout le reste ! C’est-à-dire par exemple effectuer des enquêtes sérieuses, contradictoires et impartiales sur les situations de harcèlements moral et sexuel dont ils et elles sont saisi(e)s.
C’est devenu mission impossible tant du fait du désintérêt du ministère du Travail sur ces questions (absence de priorisation de cette thématique, absence de formation obligatoire et approfondie, absence d’outils d’aide au contrôle alors que ces enquêtes sont longues et exigeantes méthodologiquement) que de la surcharge de travail structurelle dont sont victimes les agent(e)s de contrôle.
Leur action en la matière est irremplaçable car il ne faut généralement pas compter sur les employeurs pour mener des enquêtes sérieuses et impartiales.
Quant à la police et à la gendarmerie, elles ne sont pas mieux loties et les parquets dénoncent unanimement de leur côté une surcharge de travail empêchant une étude sérieuse de ces enquêtes qui demandent une analyse fine.
Les droits des femmes sont sacrifiés sur l’autel de l’austérité et de choix politiques qui nient les difficultés auxquelles elles font face.
S’agissant spécifiquement de la lutte contre le harcèlement sexuel et alors qu’il n’a jamais été autant exposé médiatiquement en raison notamment des violences sexuelles commises par des hommes politiques sur des femmes en situation de travail, la prise en charge par l’État de la lutte contre ces violences est parfaitement inconsistante.
Tandis que les services de l’État défaillent, les hommes continuent d’agresser des femmes.
Cet abandon des victimes par l’État a des répercussions sensibles sur notre travail, puisque nous devons désormais systématiquement faire un travail de recueil de la preuve avec les victimes, ce que l’inspection du travail faisait auparavant au travers de ses enquêtes.
La défense de ces femmes par l’AVFT s’est donc grandement complexifiée et nos moyens n’augmentent pas non plus.
Aucune politique de lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes n’est possible sans vaincre les violences massives, notamment sexuelles, dont les femmes sont les principales victimes.
Le gouvernement en a fait une priorité de son quinquennat. Nous attendons la transformation de ce discours en actes politiques.
Pour cela, c’est de plus de moyens et non de moins dont les services de l’inspection du travail ont besoin.
(1) Enquête réalisée par l’Ifop en mars 2014 pour le Défenseur des droits.
(2) Bilans sociaux du ministère.
(3) Ce sont seulement 19 recrutements externes en 2017.
(4) Budget opérationnel de programme et d’unités opérationnelles du programme 111 « Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail ».