Les éléments dits de Politique travail s’ajoutent, se surajoutent et télescopent de plein fouet l’inspection du travail généraliste et indépendante.
Organisation des services, plans d’action, outil de système informatique WIKI’T… toutes les réformes se conjuguent dans le seul but de priver les services de l’inspection de leur autonomie, de formater les interventions et d’éloigner les agents de contrôle des salariés et de leurs représentants.
L’action PSI : une logique d’intervention « coup de poing » à l’opposé des pratiques des services
Le 16 septembre le CTM travail était consulté sur un décret « relatif à la suspension temporaire de prestations de services internationales et à la compétence des agents de contrôle ».
Ce projet de décret qui se présente comme une évolution du dispositif de contrôle des prestations internationales vient en fait compléter les décisions d’organisation des services de l’inspection du travail issue des décrets « Sapin ».
On y trouve :
- le renforcement des équipes régionales de contrôle travail illégal et le renforcement de leurs pouvoirs. En effet, le décret prévoit notamment de leur accorder la possibilité de faire des arrêts de travaux ou de dresser procès-verbal pour des questions de santé et sécurité ;
- la création d’équipes régionales de contrôle technique ;
- la création d’équipes de renforts (chargées de mettre en œuvre des plans d’actions ou d’effectuer des intérims de longue durée).
Si le ministère a cru nécessaire de déposer un projet de décret, c’est bien qu’aujourd’hui, la sécurité juridique des actes pris par les équipes régionales d’intervention travail illégal n’est pas assurée ; mais c’est aussi qu’il entend imposer une logique d’intervention par actions coup de poing et plans d’actions, à l’opposé des pratiques habituelles de nos services.
Une nouvelle réorganisation de l’inspection du travail dans le cadre de la réforme territoriale
Dans le même temps, prenant prétexte de la réorganisation territoriale de l’état, la DGT présentait également au CTM, un projet de note d’organisation des services de l’inspection qui déborde très largement le cadre de la réforme territoriale et aggrave considérablement la situation dans les services.
Ce projet s’applique à toutes les régions, même celles qui ne sont pas touchées par la réforme territoriale :
- il généralise les URACTI dans chaque région et département ;
- il prévoit les conditions de la mise en place des équipes régionales renforts pour mettre en œuvre les plans d’action ou effectuer des intérims de longue durée [les agents seront-ils alors affectés régionalement et détachés dans un département éloigné du siège pendant plusieurs mois ?!] ;
- il prévoit le « redimensionnement des UC » pour atteindre une taille critique !! Comme si, entre le début de la réforme et aujourd’hui, il y avait eu des changements importants en termes d’effectifs salariés et de nombre d’entreprises sur les territoires. Il s’agit, ni plus ni moins que de préparer la disparition des petites UT ou des sites détachés mais également de dissimuler la baisse des effectifs de contrôle (sur lesquels seront vraisemblablement pris les effectifs des nouvelles équipes régionales (URACTI, renforts et techniques). La création d’UC interdépartementales est fortement encouragée ;
- il prévoit le transfert de la demande individuelle de l’inspection vers les services renseignements et la généralisation des plateformes téléphoniques ;
- et cerise sur le gâteau : il ouvre la possibilité du travail de nuit contraint [jusqu’à présent, le contrôle de nuit était effectué à la main de l’agent ; demain, il sera organisé au niveau de la région !!] ;
WIKI’T : un instrument pour organiser le pilotage de l’action des agents par la hiérarchie et la fin des secrétariats
Parallèlement et avec rapidité la DGT développe un nouveau système d’informations pour l’inspection du travail qui modifie en profondeur le travail des agents : de l’agent de contrôle à l’agent de secrétariat. Les formations sont mises en place alors même que la consultation du CHSCT n’est pas terminée.
Loin d’être un simple système agrégeant des données, le système est pensé comme un outil d’orientation et de pré-formatage de l’activité.
L’activité de l’agent ne pourra être comptabilisée que s’il utilise WIKI’T et dans WIKI’T, dès lors que et si seulement l’agent saisit son intervention avec l’outil d’aide à la rédaction.
L’outil d’aide à la rédaction consiste à accéder à Word via WIKI’T avec deux inquiétudes : pourra-t-on n’utiliser que Word pour rédiger ses courriers ? Pourra-t-on accéder à Word sans passer par WIKI’T ? Pourra-t-on personnaliser, comme c’est le cas actuellement, les cadres graphiques ?
La DGT présente WIKI’T comme un outil visant à faciliter le travail des agents (suivi des dossiers…) mais il apparait qu’il est surtout axé sur le pilotage avec les plans d’action au niveau de l’UC et la gestion des instances par le RUC.
Les droits d’accès à WIKI’T sont paramétrés au niveau de l’UC ! L’outil permet de visualiser par exemple : « les actions en cours de mon équipe « … comme si l’activité des uns dépendait de l’activité des autres, etc. L’usage de l’outil a également pour vocation de supprimer les dossiers papiers (instances et établissement). Il existe un risque certain de pertes des données historiques des interventions.
Au sujet de WIKI’T, les ergonomes sollicités par le CHSCT ministériel écrivent (rapport complet à lire en cliquant ici) : « l’outil a été pensé plus dans une vision comptable que dans une vision opérationnelle ; il répond plus aux besoins (de pilotage) de la DGT qu’aux besoins des utilisateurs. Par exemple dans un signalement AT, le type de contrat et la catégorie professionnelle ne sont des champs obligatoires de saisie ». Ou encore, les experts démontrent que la comptabilisation de l’activité nie le travail réel – un procès-verbal qui représente plusieurs jours de travail est comptabilisé comme un PV qui représente quelques heures de travail, un courrier reprenant 10 articles de loi sur la durée du travail concernant 10 salariés est comptabilisé de la même manière lorsqu’il en concerne 500, or soulignent-ils, il n’a pas la même portée en terme d’actions.
L’outil ne reconnait donc pas le travail réellement effectué et peut être un vecteur de déqualification. Se pose notamment la problématique de la frappe directe des courriers dans WIKI’T par les agents de contrôle dont Calvez annonce que cela doit être la règle (et la question des tâches qui seront dévolues demain aux agents de secrétariat).
Le cabinet d’expert confirme également que ce projet amène des évolutions de missions implicites porteuses d’incertitudes sur l’avenir et qu’il est porteur de risques psychosociaux.
Plan d’actions 2016 : pilotage, formatage et objectifs chiffrés
Le plan d’action 2016, présenté également au CTM du 16 septembre prépare allègrement la mise au pas des agents dans une vision futuriste d’équipes d’intervention éclair visant une cible définie.
La méthode est transparente :
- cadrage de la démarche par le CODIR ;
- état des lieux et diagnostic partagé (avec les « partenaires sociaux » qui plus est) ;
- fixation d’objectifs opérationnels pouvant être atteints en un temps déterminé qui visent une cible définie ;
- plan d’actions sur un périmètre et sur une durée donnée qui définit qui fait quoi à chaque niveau (du DUT à l’agent de secrétariat en passant par les ingénieurs de prévention et les SCT), les liaisons internes et externes à établir, le suivi, le bilan, les outils, les méthodes, les lettres types…
- un objectif de deux jours sur le terrain pour chaque agent de contrôle (qui sera effectif en 2016 et fera l’objet d’un accompagnement personnalisé des DUT !!! – entendre une surveillance de ce que fait l’agent) ;
- des objectifs quantitatifs pour les plans d’actions.
Communication des lettres d’observations : la DGT veut couper l’inspection du travail des salariés et de leurs représentants
La DGT publie également, en plein mois de juillet comme si il y avait urgence, une note de service intimant aux agents de ne plus transmettre leurs constats aux salariés concernés ou aux représentants du personnel, en arguant des risques de poursuites pénales (assez improbables – celles-ci étant limitées à la violation des secrets ou procédés de fabrication) ou pour violation du secret ou de la discrétion professionnels (là encore assez improbables puisqu’il ne pourrait être engagée contre l’agent qu’une procédure disciplinaire) en s’appuyant sur une décision du tribunal administratif de Rennes faisant l’objet d’un recours au Conseil d’Etat.
La DGT entend-elle poursuivre disciplinairement les agents qui informent les salariés ou leurs représentants, alors même que le code du travail prévoit la transmission aux IRP de la plupart des constats et observations de l’inspection du travail, alors même que l’OIT demande à ce que les salariés soient informés des suites donnés à leur plainte. Une fois de plus, la même logique semble prévaloir : couper l’inspection du travail des salariés et de leurs représentants, modifier le sens de l’intervention des services.
Circulaire sur les contrôles dans l’agriculture : l’archétype de ce que veut le ministère pour encadrer, programmer et orienter
Et pour que tout soit bien clair et que les doutes soient levés…
Au CTM du 16 septembre était également présentée la circulaire du premier ministre n° 5806/SG du 31 juillet 2015 sur l’organisation des contrôles dans le secteur de l’agriculture et qui s’appliquerait aussi à l’inspection du travail.
Les dispositions contenues dans cette circulaire représentent l’archétype de ce que désire ministère et la DGT pour encadrer, manager et orienter l’action de l’inspection du travail.
Négociation avec le patronat des contenus et de la périodicité des contrôles de tous les corps d’état concernés – actions de communication – programmation des contrôles – prévenance – priorité aux contrôles sur pièces – généralisation du recours à la transaction pénale – charte des contrôle pour sécuriser les contrôles de la prise de rendez-vous aux constats – remise d’un document indiquant les non-conformités in situ à l’issue du contrôle – et tout cela, sous la coordination du préfet. On reconnait dans cette déclinaison les mêmes objectifs que les plans d’actions.
Le ministère s’est-il élevé violemment contre l’inclusion des services de l’inspection du travail dans cette programmation ?
Non. La DGT produit une note de service dans laquelle elle rappelle, certes, les principes d’indépendance, de libre accès et d’opportunité des suites qui régissent l’inspection du travail mais elle demande au responsable de participer aux réunions de coordination, aux réunions sous l’égide du préfet de négociation de la politique de contrôle, de participer aux travaux de rédaction de la charte de contrôle, de définir les modalités concrètes de remise d’un document indiquant à l’agriculteur les non-conformités à l’issue de contrôle !!!
Y a-t-il, dans cette déclinaison de l’action de nos services et dans cette politique de contrôle concertée, encore une place pour une inspection du travail au service des travailleurs, indépendante du patronat et du pouvoir politique ?
Aujourd’hui pour l’agriculture, demain pour l’ensemble des branches professionnelles !
Plus que jamais, ce que la CGT écrivait lors des assises de l’inspection en 2012 est vrai
La logique d’intervention de l’inspection du travail au service des salariés, de leur protection et de la promotion des droits individuels et collectifs des salariés dans les entreprises est profondément menacée et mise en cause par la politique d’organisation des services menée par le gouvernement et son bras séculier la DGT.
La CGT s’opposera fermement à la remise en cause de l’autonomie d’action des agents de l’inspection du travail, de leur indépendance dans la conduite de l’action, de leur liberté d’entrée dans les lieux de travail et de l’opportunité des suites à donner à leurs actions.
Pour cela, la CGT appelle :
-
à s’opposer à la mise en œuvre de la politique travail par tous moyens
-
à refuser la programmation des contrôles et les plans d’actions à la main des RUC ou d’équipes renfort
-
seuls les agents affectés dans des sections d’inspection généralistes et territoriales doivent décider en toute indépendance des actions de contrôle à mener et du suivi à apporter à leurs constats
-
à ne pas utiliser WIKI’T outil de pré-formatage de l’action des services
-
à informer les travailleurs et leurs représentants des contrôles qu’ils diligentent en adressant la copie de leurs courriers de constatations en respectant les secrets de fabrication et d’instruction pénales, la confidentialité des plaintes et en veillant à ne pas faire figurer de mentions nominatives.
Paris, le 5 octobre 2015