Covid-19 : le gouvernement à la rescousse de Renault contre le code du travail (tract CGT-SUD-FSU-CNT)

Où on apprend que la CGT aurait le pouvoir de faire fermer les usines…

Jeudi 7 mai, le tribunal judiciaire du Havre a condamné l’usine Renault Sandouville, selon une procédure d’urgence exigeante, à suspendre son redémarrage : « Dans ces conditions, il conviendra de condamner la SAS Renault  à suspendre la reprise de la production, que celle-ci soit à survenir ou soit déjà survenue, le temps de la mise en place effective de chacune des mesures précitées, cette reprise ne permettant pas d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs de l’usine face au risque lié au Covid-19 » (Extrait des motifs)

Nous condamnons fermement l’expression publique, lundi 11 mai 2020, des ministres de l’économie, Bruno Lemaire, et du travail, Muriel Pénicaud.

Ils fustigent une « mauvaise décision », Bruno Lemaire jugeant les « raisons mises en avant extraordinairement fragiles » et Muriel Pénicaud se disant « choquée ». Pire : l’un et l’autre se permettent, de concert, d’affirmer sans réserve ni précaution que les conditions de santé et de sécurité des salarié-•es et celles du dialogue social étaient parfaitement assurées.

NON la fermeture n’est pas le fait d’une « décision de la CGT » !

OUI elle résulte des infractions commises par Renault reconnues par une condamnation judiciaire !

Nous sommes  « choqués » du caractère péremptoire des affirmations ministérielles, qui ne sauraient en fait reposer sur autre chose que la communication de la direction de Renault dont elles reprennent largement les éléments de langage, approximations et mensonges.

Or, si la ministre du travail avait ne serait-ce que pris l’attache de ses propres services pour se forger une opinion, elle aurait découvert que ces derniers avaient eux aussi adressé de nombreux courriers d’observations et une décision de mise en demeure pour alerter la direction de Renault Sandouville sur ses manquements… manquements qui se retrouvaient dès lors, en toute logique, dans sa condamnation par le tribunal compétent aujourd’hui critiquée par la ministre.

Ainsi, force est de constater que pour les institutions qui, elles, ont eu entre les mains les éléments précis du dossier, et de manière contradictoire, oui, c’était bien les conditions sanitaires de la reprise et celles du « dialogue social » mises en œuvre par la direction de Renault Sandouville qui étaient « extraordinairement fragiles » et non les demandes de la CGT présentées en vain à la direction avant d’agir en justice.

Qu’est devenu l’idiome habituellement opposé : « il n’appartient pas à l’Exécutif de commenter les décisions rendues par l’autorité judiciaire » ?

Ici, des ministres se font carrément juges de l’appel à la place de ceux saisis par la direction du constructeur au mépris du principe de séparation des pouvoirs et invitant l’ensemble de la population à s’asseoir sur l’autorité des décisions de justice.

Dans quelles conditions de sérénité et d’indépendance sera jugé cet appel ?

Or, n’en déplaise au gouvernement qui a décidément un problème avec l’ensemble des contre-pouvoirs, les citoyen•nes, y compris les salarié•es et leurs syndicats, ont la liberté de saisir les tribunaux quand ils estiment leurs droits bafoués. À charge pour les tribunaux, et à eux seuls, de juger si leurs demandes sont bien fondées. ET TEL A BIEN ÉTÉ LE CAS ICI, ce que la communication gouvernementale et patronale tente vainement, au mieux, de faire oublier ou, au pire, de faire passer pour un simple problème de « vices de forme ».

On n’avait pas vu une telle fronde contre la décision de justice condamnant Amazon, ni au sujet d’autres décisions de référé, de plus en plus nombreuses, rendues pour les mêmes motifs contre d’autres employeurs moins connus.

Cette différence, Muriel Pénicaud la justifie sans pudeur : c’est que Renault est un « constructeur auquel nous sommes tous attachés »… ou plus particulièrement l’État qui en est le premier actionnaire. Le portefeuille d’actions de l’État justifie bien qu’on s’assoie sur les institutions et qu’on assume le risque de transformer l’usine en poudrière, au détriment de tout•es, en convoquant pour ce faire tous les excès : une décision « mauvaise pour la nation française (…) au moment où on veut relocaliser les activités industrielles », qui joue sur « un vice de forme pour bloquer l’emploi », 700 intérimaires sur le carreau et les salaires des employés pas garantis. Rien que ça.

Le chantage odieux sur les salaires et les contrats des intérimaires

Directement issu de la communication de Renault, il est inacceptable qu’il soit repris par des membres du gouvernement et surtout par la ministre du travail. En effet, il est de jurisprudence constante que lorsque l’arrêt du travail trouve sa cause non pas dans l’indisponibilité du salarié mais dans les fautes de l’employeur, dûment reconnues par une décision administrative ou judiciaire, cet arrêt ne peut entraîner ni rupture, ni suspension du contrat de travail, ni aucun préjudice pécuniaire à l’encontre des salariés concernés, principe décliné dans de nombreux articles du code du travail dans diverses hypothèses.

Et comme l’a rappelé l’administration dans le dossier Amazon, ces suspensions d’activité ne relèvent pas du chômage partiel. Les salaires doivent donc être maintenus à 100 % par l’employeur, sans prélèvement de jours de repos ou de congés, et les contrats conclus avec les intérimaires doivent bien donner lieu à rémunération jusqu’au terme initialement prévu, même s’ils n’ont pas commencé à être exécutés.

Les prises de position gouvernementales infondées, excessives, mensongères et inconstitutionnelles ne visent qu’à faire pencher l’opinion publique du côté de la position du patronat et instaurer une pression à la réouverture, même dans des conditions « ne permettant pas d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs de l’usine face au risque lié au Covid-19 ». Cette communication illustre l’hypocrisie d’un gouvernement qui prétendait pourtant faire de l’entière sécurité des salariés la condition sine qua non de la reprise économique. Elle prouve, une fois encore, que Muriel Pénicaud n’est pas la ministre du Travail, mais la ministre du CAC 40.

Nos organisations syndicales du ministère du travail exigent :

  • la mise en application, dans toute situation de travail, des règles du code du travail, telles que notamment rappelées dans l’ordonnance de référé concernant Renault Sandouville ;
  • le rétablissement complet de la responsabilité pénale des employeurs privés comme publics ;
  • le renforcement des pouvoirs des représentants du personnel et de l’inspection du travail et notamment le pouvoir de suspendre immédiatement l’activité en cas de danger grave et imminent
  • le droit effectif des travailleurs et travailleuses à utiliser leur droit de retrait en cas de danger grave et imminent ;
  • le doublement à minima des effectifs de contrôle de l’inspection du travail, le renforcement de l’indépendance des agent-es de contrôle.

Télécharger le tract intersyndical