Dans un arrêt du 3 mars 2021, la Cour de Cassation vient de rendre son jugement sur la condamnation de notre collègue pour recel de violation du secret des correspondances et violation du secret professionnel dans le cadre de l’ « affaire » Tefal. Elle condamne définitivement notre collègue pour ces faits, refusant de lui reconnaître le statut de lanceur d’alerte malgré l’intervention de la loi Sapin 2 en 2016, malheureusement plus restrictive pour les lanceurs d’alertes que la directive européenne qu’elle transcrit.
Nous sommes écœurés par ce verdict. Victime des agissements de sa hiérarchie et de Tefal, c’est notre collègue qui se retrouve seule condamnée tandis que Tefal se félicite de cette décision dans la presse « Nous nous réjouissons de l’issue de cette procédure, qui permet de rappeler jusqu’où peuvent aller les inspecteurs du travail dans leurs missions. Fort heureusement, l’écrasante majorité d’entre eux respectent la déontologie qui est la leur ». Ces propos sont d’autant plus choquants au regard des manœuvres pernicieuses dont a usé l’entreprise pour tenter de se débarrasser d’une inspectrice gênante !
Dans un contexte de déréglementation et de désorganisation des services depuis plusieurs années, cette affaire illustre la volonté politique, associée à une justice de classe et à un patronat décomplexé, d’affaiblir et de limiter les pouvoirs de l’inspection du travail et, par là-même, de porter atteinte aux droits des salarié-es. Cette attaque à l’encontre d’une inspectrice du travail s’inscrit par ailleurs dans un contexte de répression sans précédent à l’encontre des militant-es des syndicats, des lanceur-es d’alerte, et de toutes celles et ceux qui tentent de lutter contre la destruction des services publics, de leurs conditions de travail et contre la suppression de leur emploi (Goodyear, La Poste, Air France etc…). L’association Anticor (lutte contre la corruption) a d’ailleurs remis un prix éthique en janvier 2016 à l’inspectrice du travail pour son combat contre TEFAL et le ministère du travail.
Cette situation s’est encore illustrée avec la gestion de la crise sanitaire de covid-19 par le ministère du travail, qui a donné lieu à de nombreuses entorses à nos missions de protection des conditions de travail des salariés.es, des pressions hiérarchiques indues allant jusqu’à empêcher notre collègue Anthony de mener à bien une procédure de référé à l’encontre d’une entreprise. Le ministère n’a pas hésité à relayer la pression de l’entreprise et à sanctionner notre collègue en dépit du principe d’indépendance garanti par la convention internationale de l’OIT n°81. Ce sont ces violations répétées qui ont conduit nos syndicats à saisir le Bureau International du Travail en avril dernier.
Nous continuons à exiger l’arrêt de toutes les pressions indues et la garantie du principe d’indépendance de l’inspection du travail.
Nos syndicats continueront de soutenir notre collègue Laura devant la Cour Européenne des droits de l’Homme jusqu’à ce que soit reconnue la légitimité de ses actes.
L’affaire Tefal c’est quoi ?
Un salarié, informaticien de l’entreprise, découvre en octobre 2013 un compte rendu RH le concernant et mentionnant : « Licenciement de Monsieur M : Aucun motif – coût 12 000 euros : donc lui fixer des objectifs inatteignables. ». Abasourdi par ces méthodes, il cherche des renseignements sur le serveur informatique pour se protéger. Il découvre à cette occasion que l’entreprise, via le Medef et les services de la DCRI (renseignement généraux) de la préfecture du 74, ont cherché à se débarrasser de l’inspectrice du travail, gênante à leur yeux pour avoir qualifié un accord RTT d’illégal.
Le salarié communique alors ces documents compromettants à l’inspectrice. Elle comprend soudainement pourquoi son directeur l’a convoquée et menacée en avril 2013, au cours d’un entretien ayant pour objet un recadrage violent. Lors de cet entretien, son directeur départemental avait notamment exigé qu’elle revoie les demandes qu’elle avait adressées à l’entreprise TEFAL. Notre collègue en sortira déstabilisée et sera en arrêt maladie plusieurs mois. Elle saisit alors le Conseil national de l’inspection du travail (CNIT), procédure prévue en cas d’atteinte à l’indépendance de l’inspection du travail. Elle met en copie de sa saisine les organisations syndicales de son ministère qui l’aident en lieu et place de sa hiérarchie défaillante. Elle transmet ces documents au procureur de la République dans un procès-verbal d’obstacle à ses fonctions et elle porte plainte pour harcèlement moral contre les directeurs de l’administration dont les pressions et même les menaces sont la cause de la dégradation de sa santé et de ses conditions de travail.
Le Conseil National de l’Inspection du Travail (CNIT), après enquête, établit l’existence de pressions indues de la part de l’entreprise. Pour autant, les procédures et plaintes de l’inspectrice prennent la poussière sur le bureau du Procureur de la République avant d’être classées sans suite, tandis qu’il décide de poursuivre… l’inspectrice et le lanceur d’alerte ! Les propos du Procureur sont détonants, lui qui trouve « une occasion de faire le ménage » au sein du corps de l’inspection du travail « qui ne devraient pas avoir le droit de se syndiquer ». Un bel exemple d’ « impartialité » et de « déontologie ».