Le Conseil National de l’Inspection du Travail : Mode d’emploi

Le CNIT a été créé par le Décret 2007-279 du 2 mars 2007 codifié aux articles D8121-1 à 12 du Code du travail et complété d’un règlement intérieur (approuvé par Arrêté du 14 mars 2016 publié au Jo du 16 mars). Ce n’est que l’année suivant en février 2008 que le Conseil sera officiellement installé par Xavier Bertrand alors Ministre du travail (ça fait rêver).

Ce conseil se voulait à la fois une contrepartie au développement d’une « politique travail »[1] et une prolongation du PMDIT[2] , présenté comme une instance consultative indépendante, le CNIT peut à la fois être saisi de demandes d’avis de la Ministre ou de la DGT (il l’a été par exemple sur le plan « ministère fort » ou plus récemment sur la réforme OTE[3]) mais surtout par les collègues inspecteur.trices et contrôleur.ses du travail.

La création du CNIT s’est faite contre l’avis des organisations syndicales du ministère parce que le CNIT était la création d’un cadre d’exception pour l’Inspection du travail. Les organisations ont décidé d’y siéger au cours des 4 mandatures qu’a connue le Conseil (la première ayant durée 6 ans au lieu des 3 ans prévus par le Décret). L’enjeu étant d’essayer de prendre ce qui pouvait l’être au service des collègues. Une politique des « petits pas » qui a pu, à certains moments de cette courte histoire, porter ses fruits uniquement nous le pensons parce que des organisations comme la CGT y prennent toute leur part en siégeant, sans concession aucune, depuis 2008 au sein de l’instance.

Car -et c’est bien là tout l’intérêt de l’affaire- le Conseil dispose d’une prérogative théoriquement importante puisqu’il « peut être saisi par tout.e agent.e participant aux activités de contrôle de l’inspection du travail de tout acte d’une autorité administrative de nature à porter directement et personnellement atteinte aux conditions dans lesquelles iel doit pouvoir exercer sa mission. » (Article D.8121-2 du Code du travail). On parle bien ici de pressions, d’influences, de menaces, de discriminations à l’encontre d’un.e collègue inspecteur.trice ou contrôleur.se -non du fait d’un tiers à l’administration comme un.e employeur.se- mais du fait d’une autorité administrative quelle qu’elle soit ! Et il appartient au Conseil de rendre un avis motivé sur ces actes, donc de les reconnaitre et de les qualifier s’ils existent.

Il est essentiel, à cette étape, pour un.e collègue souhaitant saisir le Conseil de bien construire sa saisine pour établir clairement, avec des éléments probants, la relation des faits en démontrant que les actes d’un RUC, d’un.e DDETS/DDETSPP/DREETS/DRIEETS, d’un.e chef.fe de pôle T, d’un.e Préfet.e, d’un.e directeur.trice de l’ARS ou de toute autre autorité administrative sont « de nature à » porter atteinte directement et personnellement à vos conditions d’exercice. Il ne s’agit donc pas de saisir le Conseil pour faire arbitrer un désaccord « interpersonnel » avec votre hiérarchie. Le texte n’exige pas que l’acte incriminé ait produit des effets (par exemple que vous n’ayez pas pu conduire votre contrôle) mais pourtant le Conseil a une fâcheuse tendance (qui n’est toutefois pas systématique) à considérer l’absence d’effet comme une clause limitative de responsabilité (sans pour autant s’interroger sur les effets induits par la pression exercée sur les futures conditions d’intervention). En cas de doute vous pouvez évidemment échanger avant de déposer votre saisine en vous adressant par exemple à votre organisation syndicale préférée J , à un.e collègue ayant déjà effectué une saisine ou à un.e représentant.e de votre corps au sein du CNIT etc.

Les avis du Conseil ménagent généralement la chèvre et le choux et, comme c’est bizarre, portent un intérêt très fort au contexte et aux difficultés d’exercice de l’encadrement (cf. encart ci-contre) ! Certains avis ont tout de même pu avoir une fonction roborative ! On se souvient ainsi de l’avis rendu dans le cadre de « l’affaire Tefal » en 2014 (avis n°AV13_003[4]). Cet avis, comme tous les avis du conseil, est disponible en version anonymisée sur SITERE[5]. Plus proche de nous plusieurs avis suite à des saisines de collègue au cours de la première vague de la Covid 19 ont constitué des points d’appui. Ainsi le CNIT a récemment reconnu (avis n°AV20_005) que le fait pour une responsable d’Unité Départementale d’avoir demandé à un employeur de ne pas répondre aux sollicitations d’un Inspecteur.trice du travail constituait « une entrave à l’exercice de ses missions au sens des dispositions de l’article 17 de la Convention OIT n°81 et du 2ème alinéa de l’article L.8112-1 du Code du travail » ou que le fait (avis n°AV20_003) pour un directeur régional d’avoir « adressé un courrier au juge des référés sans concertation ni information préalable de l’Inspectrice du travail, constitue un dysfonctionnement du système d’inspection du travail » et que « l’insistance [de la hiérarchie] à demander à l’agente de contrôle d’envisager une autre décision et l’absence d’aide pour engager la procédure peuvent s’analyser comme remettant en cause le libre choix des suites qui appartient à l’agente de contrôle ».

L’équilibre est donc très défavorable aux agent.es et la vigilance est de mise face aux velléités à faire du CNIT une sorte de conseil de l’ordre mettant en cause le ou la collègue qui saisit au lieu de traiter sa demande. Le CNIT ne devrait pourtant se borner qu’à vérifier si les actes des autorités administratives qui lui sont signalés respectent ou non les dispositions des conventions de l’OIT n° 81 du 11 juillet 1947 sur l’inspection du travail ; n° 129 du 25 juin 1969 sur l’inspection du travail en agriculture ; n° 178 de du 22 octobre 1996 sur l’inspection du travail des gens de mer ainsi que les quelques dispositions protectrices du Code du travail (notamment L.8112-1, 2ème et 6ème alinéa).

La tendance en cours étant malheureusement, comme pour le Code de déontologie ou le récent Guide de déontologie, à chercher à corseter l’action de contrôle, en limitant les possibilités d’exercice des prérogatives comme l’opportunité de suites (article 17 de la C81) ou le droit d’enquête (article 12 de la C81) … et en renforçant à l’inverse les notions fourre-tout comme par exemple celle du « discernement » (Code de déontologie article R8124-27 1er alinéa) afin de limiter l’action de contrôle.

Il est ainsi important que les collègues veillent à fonder leurs saisines sur des non respects des conventions internationales ou sur les dispositions du Code du travail réellement protectrices plutôt que sur les dispositions du Code de déontologie souvent à double tranchant et dont tant l’esprit que la mise en œuvre servent principalement à mettre en cause le geste professionnel des collègues.

Une fois son avis en poche que faire ? Vous avez pu voir que la hiérarchie, avec sa propension élevée à communiquer sur ce qui l’arrange, s’assoit régulièrement sur les avis du Conseil ! Certes l’avis n’a aucun caractère contraignant mais il a une charge symbolique forte qu’il vous appartient de chercher à traduire dans la pratique. N’hésitez pas à le faire connaître auprès de vos collègues, de vos organisations syndicales (par exemple dans la plainte intersyndicale au BIT en 2020 contre les actes de la DGT et de la Ministre pendant la première vague de la Covid, nos organisations syndicales ont évoqué plusieurs avis du Conseil à l’appui de leur démonstration). N’hésitez pas également à opposer un avis du Conseil à une pratique de votre encadrement.

Le CNIT doit changer ! Nous proposons que :

  • Le droit de saisine du Conseil par des organisations syndicales représentatives du corps des IT et CT soit reconnu par exemple pour protéger un.e agent.e subissant des pressions en interne dans l’exercice de ses missions ;
  • la ministre compétent.e tire les conclusions attachées aux avis motivés rendus par le CNIT lorsqu’ils mettent en cause une autorité administrative en faisant notamment application des dispositions de l’article 18 de la Convention OIT n°81 ;
  • La composition du CNIT soit modifiée pour qu’il soit composé aux 2/3 de représentant.es du personnel élu.es par leur CAP et pour 1/3 de membres désigné.es ;
  • Le Conseil puisse voir ses prérogatives étendues, pour vérifier par exemple (sur saisine des agent.es concerné.es) que le refus d’une mutation ne dissimule pas en fait une mesure portant atteinte aux conditions d’exercice ;
  • Le Conseil soit saisi préventivement à toute sanction ou suspension d’un.e membre du corps de l’inspection du travail ou du corps des contrôleur.ses du travail pour vérifier là encore que la mesure ne dissimule par une atteinte aux conditions d’exercice ;
  • Les représentant.es du personnel au Conseil disposent de temps spécifique pour préparer les réunions, les dossiers et rendre compte de leur mandat (temps qui leur est pour l’instant refusé).

[1] Comprenez la politique « du chiffre » portée par la toute jeune DGT/autorité centrale de l’Inspection elle-même créée par un Décret de 2006

[2] Plan de Modernisation de l’Inspection du Travail souvenez-vous le ratio d’1 agent.e de contrôle pour 8000 salarié.es vous avez bien lu 8000, pas 10000, lui-même présenté comme une « réponse » au double assassinat de nos collègues à Saussignac le 2 septembre 2004.

[3] et vous avez pu constater combien ses avis, toujours radicaux, ont comptés dans le rapport de force 

[4] L’avis est éclairant à plus d’un titre nous ne citerons que cet extrait « il est donc recommandé que l’attention des responsables hiérarchiques et des inspecteur.trices du travail soit appelé sur la distinction entre l’action de conseil aux inspecteur.trices qu’ils sont en droit de donner en matière de contrôle, et l’action de supervision qui doit être circonscrite aux fondements juridique des actes »

[5] https://sitere.intranet.travail.gouv.fr/organisation-et-valorisation-du-sit/cnit/saisines-et-avis

Tract CNIT vdef