CHSCT Ministériel du 19 juillet 2018 : déclaration préalable intersyndicale CGT-SUD-FO-SNUTEFE

Monsieur le Président,

Le 21 juin dernier, nos quatre organisations syndicales ont décidé de ne pas siéger au CHSCT Ministériel, devant votre refus de porter à l’ordre du jour de la réunion, un point relatif aux suicides et tentatives de suicides survenus au cours des deux dernières années au sein des services déconcentrés du Ministère du Travail, alors même qu’en moins d’un an, onze collègues ont mis fin ou tenté de mettre fin à leurs jours, dont six au cours des trois derniers mois.

Ce boycott de l’instance et la longue liste des situations dramatiques indiquées dans notre déclaration vous ont finalement convaincu de reconvoquer ce CHSCTM dans des délais brefs avec l’inscription de ce point à l’ordre du jour.

En revanche, nous ne pouvons que constater que depuis le 21 juin dernier, les signes annonciateurs d’une prise en compte réelle de la situation se font attendre.

Sur le terrain, si dans certaines régions, comme dans le Tarn, les enquêtes se déroulent pour le moment sans difficulté ou incident particuliers (mais nous resterons attentif/ves à ce que des blocages n’apparaissent pas par la suite, notamment lors des conclusions de l’enquête); dans d’autres, des freins persistent.

En Rhône-Alpes, si le DIRECCTE a fini par réunir le CHSCT Régional et accepté le vote d’une enquête paritaire sur les deux suicides survenus dans l’UD du 74, il a refusé que cette enquête soit réalisée sur le fondement de l’article 53 du décret 82-453 relatif aux accidents de service graves ayant entrainé mort d’homme, contestant ouvertement vos préconisations sur ce point – serait-ce pour rejeter, avant même les conclusions des enquêtes, un lien éventuel avec le travail ainsi que les préconisations qui seront formulées ? Par ailleurs, l’administration ne semble pas pressée de commencer l’enquête souhaitant attendre la mi-septembre pour commencer…

A l’INTEFP, les représentant.es du personnel ont fini par démissionner le 4 juillet dernier des instances – comité technique et CHSCT – soutenu.es par une pétition du personnel et des IET 2017, suite aux blocages permanents de la direction de l’INTEFP, concernant notamment les conclusions sur l’enquête relative au suicide du responsable du CIF de Lille ou la prévention des situations de risques psycho-sociaux, qui perdurent et s’aggravent au sein de l’institution.

Cette démission, comme celles des représentant.es de Grand Est auparavant, est la preuve de l’entrave continue au fonctionnement de ces instances et du mépris de certain.es directeur/trices tant envers les agent.es et leurs représentant.es qu’envers les dispositions réglementaires relatives à l’hygiène et la sécurité. En effet, dans toutes les régions, est entretenue une culture de la défiance vis-à-vis des représentant.es du personnel et de leur parole, qui conduit à écarter toute demande de prévention formulée.

 A votre niveau, si les documents transmis à l’appui de l’ordre du jour témoignent d’un premier travail de recensement des suicides et tentatives de suicide de la part de la DRH, ils sont clairement insuffisants, en l’absence de toute analyse, pour pouvoir répondre aux situations auxquelles nous sommes confronté.es au sein des services.

Le tableau de recensement des suicides et des tentatives de suicide – qui ne trace les données qu’à compter de mai 2017 comme si l’histoire avait été gommée – ne fournit aucune information ni analyse sur les situations de travail et le travail, notamment le poste/métier occupé par la victime (CDET, contrôleur/IT en section, secrétaire, encadrant, …), le service (pôle, direction…), l’existence ou non d’arrêt de travail supérieur à deux semaines dans l’année avant les faits, les réorganisations éventuelles ayant touché le service d’affectation et/ou le poste de travail, etc…

Les comptes rendus des enquêtes CHSCT ou des expertises réalisées ces dernières années concernant les suicides ou tentatives de suicide (qui ne nous ont pas été communiqués malgré notre demande) n’ont été ni exploités, ni analysés ; tout comme il n’y a aucune exploitation des comptes rendus de réunions des CHSCT-R, en l’absence d’enquête formalisée.

 Ce travail d’analyse est pourtant un préalable indispensable à la définition de mesures de prévention appropriées. Nous vous demandons de produire un diagnostic précis et détaillé reposant sur ces éléments, avant de nous soumettre, pour avis, un document abusivement intitulé « plan d’action de mobilisation contre le suicide » réalisé en toute hâte, qui se limite à des généralités et qui n’aura pas d’impact sur la souffrance au travail que nous dénonçons depuis de nombreuses années.

Depuis 2012, les réorganisations se sont multipliées au sein du Ministère du travail (Ministère fort et plan sapin, réforme territoriale, mutualisation et centralisation des fonctions support telles que l’informatique, les services RH,….) et se sont accompagnées d’une baisse continue et drastique des effectifs. Les incessantes réformes du droit du travail et du droit de l’emploi ont également lourdement impacté le travail des agent.es.

 De multiples alertes sur l’état de santé des agent.es et sur la fragilité de collectifs de travail, ont été portées, au gré de ces évolutions des organisations de travail et des réorganisations, par nos syndicats mais aussi par les acteur/rices de prévention ou expert.es désigné.es par le CHSCTM ou les CHSCT régionaux ou locaux.

Les derniers rapports du cabinet SECAFI sur les services de renseignements et les services emplois notamment en témoignent.

De même, le rapport national de la médecine de prévention présenté au CHSCTM de mars 2018 (rapport établi au titre de l’année 2016) relève une augmentation des visites à la demande de l’agent.e, de l’administration et des médecins de prévention, avec une augmentation des cas de souffrance au travail en lien avec les changements de mission et/ou les changements d’organisation du travail (hyperstress, conflits, violences verbales ou physiques, harcèlements, discriminations – à l’âge en particulier -). Il souligne que les médecins de prévention insistent sur les cas de stress et de souffrance au travail que semble développer une grande partie des agent.es des DIRECCTE et DIECCTE, quel que soit le poste tenu et quelle que soit la catégorie.

Si au Ministère du travail, nous sommes de plus en plus malades du travail, c’est le travail qu’il faut soigner et non les agent.es qui doivent s’y adapter.

Or la stratégie adoptée par le Ministère n’est pas bonne : quelle que soit la réforme, comme c’est le cas actuellement pour CAP 2022, les agent.es sont mis.es devant le fait accompli et subissent de plein fouet des organisations inadaptées qui détruisent le travail, et qui se succèdent à un rythme tel qu’elles/ils n’arrivent plus à absorber.

Des préconisations et des actions de prévention ont été formulées et identifiées mais peu ont été jusqu’à présent mises en œuvre ou suivies d’effets…

Rappelons qu’en avril 2013, dans son rapport d’expertise sur le projet « Ministère Fort », les expertes d’Alternatives ergonomiques préconisaient de réfléchir à un vaste dispositif sur plusieurs régions, impliquant des équipes de recherche, pour développer des différentes méthodologies axées sur la compréhension du travail réel, et insistaient sur la nécessité de prévoir du temps pour réfléchir sur le travail, et mettre en place des réunions « non descendantes » d’échanges entre pairs.

Ces réunions d’échanges de pratiques professionnelles entre pairs – maintes fois prévues dans les différents plans de prévention (programme de prévention annuel, plans de prévention sur la réforme territoriale,…)- n’ont pourtant toujours pas vu le jour dans les services.

Au contraire, le travail des agent.es et le sens du travail, n’ont jamais été aussi éloignés des préoccupations de la hiérarchie et de l’administration, qui souhaitent réinstaurer un management par objectifs, avec la résurgence récemment d’objectifs individuels de contrôle chiffrés sur la PSI – objectifs qui avaient officiellement disparu des évaluations professionnelles à la suite du suicide de nos collègues Luc BEAL-RAINALDY et Romain LECOUSTRE, et des mobilisations massives  qui s’en étaient suivies pour la reconnaissance de leur suicide en accident de service…

Un réel « plan d’action de mobilisation contre le suicide » implique, avant tout, de changer de cap, de rompre avec les organisations du travail pathogènes et les méthodes de management qui les accompagnent, d’arrêter les réorganisations incessantes et la saignée des effectifs, d’oser défendre notre ministère et dire NON à la Ministre du travail, plutôt que d’accepter bien docilement un budget systématiquement diminué, qui ne permet ni d’assurer la sécurité physique et mentale des agent.es de nos services , ni d’exercer un service public de qualité.

L’enjeu est de taille puisque c’est de la vie de nos collègues dont il s’agit et de la pérennité de nos missions auprès des usager.es. La prévention des risques professionnels et la préservation de la santé des agent.es doit être au cœur des priorités de l’action de la DRH, des DIRECCTE et DIECCTE, qui doivent réfléchir et travailler ensemble pour renforcer de manière efficace les organisations de travail et les collectifs de travail.

Quelles que soient les évolutions du plan d’action à l’issue des échanges de ce jour, il faudra que la DRH nationale ou la Ministre se donnent les moyens de prendre les décisions disciplinaires qui s’imposent à l’égard des DIRECCTE et DIECCTE qui ne doivent plus pouvoir se comporter impunément comme des directeur/rices ayant le sentiment d’être invariablement soutenu.es par leur hiérarchie, malgré des agissements inadaptés et au-dessus des lois. La recherche de l’unité à ce niveau hiérarchique a atteint pour l’heure des limites inacceptables et incompréhensibles pour les victimes.

Il est plus qu’urgent d’agir en donnant des moyens et du sens aux actions. Alors que le glas s’emballe, il n’est plus temps de sonner l’alarme ! Assumez vos responsabilités et donnez les moyens à cette instance ainsi qu’aux instances régionales de réaliser un travail de fond et de qualité pour préserver la santé des agent.es et éviter de nouveaux drames.

Télécharger en PDF ici : Déclaration préalable intersyndicale CHSCTM du 19 juillet 2018