Activité partielle : histoire d’un naufrage programmé

Dès le printemps dernier, la CGT-TEFP a alerté nos dirigeant-e-s ainsi que l’opinion publique sur l’ampleur probable que prendrait la fraude patronale à l’activité partielle. Les enquêtes statistiques menées par l’UGICT-CGT, puis par le cabinet d’expertise Technologia, ont rapidement confirmé ces craintes : entre un quart et un tiers des salariés placés en activité partielle déclarent avoir continué en tout ou partie à travailler. Deux à trois millions de salariés donc ont travaillé gratuitement tandis que leur employeur encaissait de l’argent public. Et, en cette rentrée, une autre dimension de la fraude a été mise en évidence : de vraies-fausses entreprises, certaines n’ayant même pas un numéro SIRET valide, ne payant aucune cotisation sociale et n’ayant procédé à aucune déclaration préalable à l’embauche, obtiennent, parfois à répétition, des indemnités d’activité partielle d’un montant à 5 ou 6 chiffres.

Il y a quinze jours, le ministère du travail a publié, dans un communiqué de presse sibyllin, une série de données se voulant « rassurantes » quant à l’ampleur du phénomène. Cependant, les chiffres communiqués sont douteux, voire carrément mensongers :

  • 50 000 contrôles a posteriori, effectués entre juin et septembre, auraient été consacrés à la fraude à l’activité partielle, soit plus que la totalité des contrôles de l’inspection du travail réalisés en 2019 sur la même période ! Qui peut y croire ?
  • L’ampleur de la fraude patronale est évaluée à 225 millions d’euros (sans qu’on sache si ce chiffre inclut ou non les 220000 contrôles prétendument réalisés a priori) – soit 1% du budget total alloué au dispositif – dont la moitié aurait été bloquée ou récupérée.

Comment Madame Borne aboutit-elle à ce dernier résultat ? Mystère ! Mais une chose est certaine : ce chiffre est très sous-estimé. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le message d’alerte d’un de nos collègues, relayé par la presse, qui révélait que le montant des demandes d’indemnisation manifestement frauduleuses peut dépasser le million d’euros chaque jour pour un seul département. Avec quelques multiplications, on arrive donc à une estimation toute autre de l’ampleur de la gabegie, sans même prendre en compte les entreprises faisant travailler leurs salariés placés en activité partielle.

Nous sommes face à un véritable naufrage qui résulte des choix politiques du gouvernement et de ses prédécesseurs. Le choix, d’abord, de sabrer méthodiquement les effectifs du ministère du travail, aussi bien au sein des services instructeurs de l’activité partielle que des services de l’inspection du travail. Le choix, ensuite, de mettre en place, au prétexte de ne pas gêner les entreprises confrontées à des difficultés, un dispositif n’exigeant des demandeurs aucun justificatif, où les demandes sont validées, souvent de manière tacite, en quelques jours. Ce qui comptait, pour la hiérarchie de notre ministère, c’était le nombre de demandes restant à valider, non la légalité des demandes, et encore moins ce que cela signifiait pour les agent-e-s de travailler dans ces conditions.

Face à cette déroute, les moyens annoncés par Mme Borne sont tout autant flous. Ainsi, un croisement avec les données des déclarations sociales nominatives serait « progressivement » mis en œuvre. Or, deux semaines après le communiqué et six mois après la mise en œuvre du dispositif, alors que la problématique est connue depuis des années, aucun agent du ministère du travail n’a encore accès à ces informations. Et le retour à un délai d’instruction de 15 jours plutôt que de 48 heures ne réglera rien puisque les agent-e-s sont toujours en nombre insuffisants pour contrôler toutes les demandes qui restent basées sur de simples déclarations. Evidemment, aucune création pérenne de poste n’est prévue ; les mutualisations et autres restructurations destinées à masquer la pénurie se poursuivent. Et les agent-e-s en charge de cette mesure, déjà submergé-e-s de travail et conscient-e-s des effets désastreux de la situation, sont mis davantage encore à contribution.

Le gouvernement a donc choisi d’ouvrir grand les caisses et de tourner le dos. Et c’est à nous qu’il veut présenter la facture :

« Toute la dette liée à cette crise économique, c’est de l’investissement. Il faudra la rembourser, mais ce remboursement viendra quand nous aurons retrouvé la croissance. Nous la rembourserons par de la croissance, par un principe de responsabilité sur les finances publiques (c’est pas “open bar”) et par des réformes de structures que je continue à estimer indispensables. La première d’entre elles étant la réforme des retraites. » (Bruno Le Maire, Ministre de l’économie, France Inter le 29 septembre 2020). En clair : les entreprises se sont gavées d’argent public, aux salarié-e-s maintenant de rembourser en sacrifiant leurs retraites !

Ce scandale doit cesser. La CGT-TEFP dénonce la pression mise sur les agent-e-s du ministère du travail pour boucher les trous d’un système volontairement conçu comme une passoire. Elle demande l’arrêt des réductions d’effectifs et exige des recrutements pour recréer les postes supprimés. Plutôt que de dilapider en pure perte des centaines de millions, le gouvernement peut et doit créer en urgence les milliers de postes manquant dans les services publics pour faire face à la crise sanitaire.

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