La grève, quelle que soit sa durée, répond à la définition de l’absence de service fait posée à l’article L. 711-2 du code général de la fonction publique :
Il n’y a pas service fait :
1° Lorsque l’agent public s’abstient d’effectuer tout ou partie de ses heures de service ;
2° Lorsque l’agent, bien qu’effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou partie de ses obligations de service.
La rémunération n’étant exigible qu’après service fait (article L. 711-1), la grève donne logiquement lieu à une retenue sur salaire selon les modalités précisées à l’article L. 711-3 pour les agent·es de la Fonction publique d’État :
L’absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction de la rémunération frappée d’indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l’article L. 711-1, à l’exception de ses éléments alloués au titre des avantages familiaux ou des sommes allouées à titre de remboursement de frais.
Les dispositions du présent article sont applicables aux seuls agents publics de l’État déclarés grévistes.
Selon l’article L. 711-1, la réglementation en question est celle sur la comptabilité publique :
La rémunération des agents publics exigible après service fait est liquidée selon les modalités édictées par la réglementation sur la comptabilité publique.
La règle du trentième indivisible
En l’espèce, il s’agit de la règle dite du trentième indivisible énoncée à l’article 1 du décret n° 62-765 du 8 juillet 1962 portant règlement sur la comptabilité publique en ce qui concerne la liquidation des traitements des personnels de l’État :
Les traitements et les émoluments assimilés aux traitements alloués aux personnels de l’État et des établissements publics de l’État à caractère administratif visés à l’article 4 de la loi de finances n° 61-825 du 29 juillet 1961 se liquident par mois et sont payables à terme échu. Chaque mois, quel que soit le nombre de jours dont il se compose, compte pour trente jours. Le douzième de l’allocation annuelle se divise, en conséquence, par trentième ; chaque trentième est indivisible.
Par conséquent, la retenue sera d’un trentième de l’assiette de retenue (voir ci-dessous), et ce quel que soit le nombre d’heures grévées dans la journée ou le nombre de jours du mois. Autrement dit, la règle du trentième indivisible est un frein puissant à l’exercice du droit de grève : elle dissuade de faire grève pour une durée inférieure à la journée (demi-journée, quelques heures, quelques minutes) et rend inutile les débrayages, puisque la retenue sera toujours égale à la journée.
Selon l’administration, cette règle est supposée être favorable aux agent·es dès lors qu’ils font grève un nombre de jours entier. C’est mathématiquement vrai puisqu’elle conduit à répartir fictivement la rémunération des jours travaillés sur les jours où il n’y a pas d’obligation de service. Pour un mois donné comptant effectivement trente jours, soit quatre semaines et deux jours ouvrés, le temps de travail effectif de l’agent est en fait de vingt-deux jours ouvrés : la retenue effectuée devrait ainsi équivaloir, si elle était exactement proportionnelle à l’absence de service fait, à un vingt-deuxième du traitement. Mais en application de la règle du trentième indivisible, la retenue sera de trentième (autre mode de calcul : avec une durée du travail quotidienne de 7 heures, hebdomadaire de 35 heures et mensuelle de 151,67 heures, la retenue proportionnelle pour une journée entière serait de 7/151,67 = 1/22).
Cette pratique a cependant été jugée contraire à la Charte sociale européenne ratifiée par la France par une décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS) rendue publique le mardi 14 février 2023. Cette instance, rattachée au Conseil de l’Europe et chargée d’examiner le respect de la charte avait été saisie par la CGT. Le CEDS a donné raison à la CGT en estimant que cette règle « constituait, dans son effet, une restriction d’un droit fondamental », à savoir le droit de grève. Le dispositif « entraîne une retenue disproportionnée sur le salaire des grévistes et revêt un caractère punitif ». Le CEDS relève par ailleurs l’absence de « justification objective et raisonnable » à la différence de traitement entre les agent·es de la fonction publique d’État et ceux des versants territorial et hospitalier, qui ne sont pas soumis la règle du trentième indivisible. Cette décision de la CEDS n’a toutefois pas de force exécutoire, malheureusement, mais la CGT estime qu’il y a urgence à ce que l’employeur public et les juridictions internes appliquent les recommandations du CEDS, comité participant à l’effectivité et la protection des droits sociaux des travailleur·euses.
L’assiette de retenue
Selon la circulaire du 30 juillet 2003 relative à la mise en œuvre des retenues sur la rémunération des agents publics de l’État en cas de grève, elle est constituée de l’ensemble de la rémunération :
- traitement indiciaire ;
- indemnité de résidence (CE, 11 juillet 1973, n° 88921) ;
- primes et indemnités diverses versées aux agents en considération du service qu’ils ont accompli (CE, 11 juillet 1973, n° 88921) ;
- primes versées annuellement et forfaitairement… comme le CIA (CE, 22 mars 1989, n° 71710). Les primes et indemnités versées selon un rythme autre que le rythme mensuel doivent être ramenées à un équivalent moyen mensuel, sur la base du montant versé à ce titre au cours de l’année précédente, afin de calculer le montant du trentième à retenir.
Sont exclus de l’assiette de calcul les sommes allouées à titre de remboursement de frais ainsi que les avantages familiaux et prestations sociales (supplément familial de traitement, indemnité représentative de logement, prestations familiales versées par l’État).
Pour les agent·es à temps partiel, l’assiette de calcul de la retenue du trentième indivisible correspond à la rémunération de l’agent·e gréviste proratisée selon les règles fixées par l’article 40 de la loi du 11 janvier 1984, soit au rapport entre la durée hebdomadaire du service effectué et la durée résultant des obligations hebdomadaires de service à temps plein ; et dans les cas de services représentant 80 ou 90 % du temps plein, respectivement aux six septièmes ou aux trente-deux trente-cinquièmes du traitement, primes et indemnités.
Le décompte des jours de grève
Attention, ça se complique… et on peut se voir retenir des journées de service non fait même pour les jours où on n’avait aucun service à faire, ce qui est une autre forme de restriction de l’exercice du droit de grève.
Selon la circulaire du 30 juillet 2003 relative à la mise en œuvre des retenues sur la rémunération des agents publics de l’État en cas de grève, le décompte des jours de grève donnant lieu à retenue sur rémunération repose sur le principe selon lequel les périodes de grèves sont considérées comme un tout.
Elle s’appuie sur une décision du Conseil d’État du 7 juillet 1978 (dit arrêt Omont, n° 03918) qui énonce : « en l’absence de service fait pendant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues à opérer sur le traitement mensuel d’un agent public s’élève à autant de trentièmes qu’il y a de journées comprises du premier jour inclus au dernier jour inclus où cette absence de service fait a été constatée, même si, durant certaines de ces journées, cet agent n’avait, pour quelque cause que ce soit, aucun service à accomplir ». Le calcul de la retenue peut donc porter sur des jours au cours desquels l’agent·e n’était pas soumis à des obligations de service (jours fériés, RTT, récupération, week-ends…).
Concrètement, il faut regarder ce qui se passe entre deux jours de grève. S’il y a eu reprise du travail (pointage, mission…), deux jours seront décomptés. Si aucun service n’a été fait entre ces deux jours, tous les jours de la période seront décomptés.
La circulaire donne cet exemple : « Cela s’applique, par exemple, dans le cas d’un week-end, lorsque l’agent a fait grève le vendredi et le lundi, auquel cas la jurisprudence conduit à procéder à la retenue de deux trentièmes à raison du samedi et du dimanche » – soit quatre trentièmes en comptant le vendredi et le lundi.
Un aménagement jurisprudentiel est toutefois intervenu dans un arrêt du Conseil d’État du 27 juin 2008 pour les jours de congés annuels préalablement autorisés (CE, 27 juin 2008, n° 305350). Cet aménagement tient :
- au caractère annuel des congés ;
- au fait que les retenues sur le traitement ne sauraient porter atteinte au droit au congé annuel lorsque l’agent·e a été au préalable autorisé·e à prendre ses congés au cours d’une période déterminée.
En revanche, d’autres jours font partie du décompte entre deux jours de grève du fait du caractère mensuel et forfaitaire du traitement des agents public. C’est le cas :
- d’une journée de temps partiel (CE, 27 juin 2008, n° 305350) ;
- d’une journée de récupération (CE, 04 décembre 2013, n° 351229) ;
- des journées de RTT qui résultent d’une réduction hebdomadaire du temps de travail même s’il est possible de les annualiser ;
- des jours fériés ;
- etc.
Pour échapper à la retenue il faut donc démontrer le bénéfice d’une autorisation d’absence revêtant un caractère annuel.
Le cas visé par le Conseil d’État dans son arrêt du 27 juin 2008 est le suivant :
- grève mardi 13/05 – temps partiel mercredi 14/05 – congés annuels jeudi 15/05 et vendredi 16/05 – week-end samedi 17/05 et dimanche 18/05 – grève lundi 19/05
- le ministère des finances retient sept jours sur la paye du mardi au lundi non-stop
- le Conseil d’État dit qu’il fallait payer les deux jours de congés annuels et que le jour de temps partiel fait partie du décompte du service non fait
- seuls cinq jours devaient donc être retenus.
Attention, selon cet arrêt le fait que les jours de congés annuels doivent être payés n’interrompt pas le décompte des jours de grève : les journées de temps partiel et de week-end donnent ainsi lieu à retenue dès lors qu’il n’y a pas eu reprise du travail entre deux jours de grève.
Ces dispositions sont particulièrement pénalisantes pour les collègues bénéficiant d’un journée de temps partiel pour motif personnel ou pour raison de santé (temps partiel thérapeutique). Nous pensons même qu’elles sont discriminatoires au regard des dispositions de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, postérieure à la circulaire de 2003, en raison du sexe (puisque les personnes à temps partiel sont dans une écrasante majorité des femmes) et de l’état de santé.
Il convient par conséquent de faire preuve de beaucoup de prudence pour éviter les retenues inutiles, hors grève reconductible votée en assemblée générale :
- ne pas faire grève deux jours encadrant une journée de temps partiel, de récupération, un jour férié ou de RTT (trois jours décomptés… et vous perdez votre récup ou votre JRTT) ou les deux jours de week-end (quatre jours décomptés en cas de grève le vendredi et le lundi suivant) ;
- reprendre le travail, même une demi-journée, entre deux jours de grève pour éviter les situations telles que celle décrite dans l’arrêt du 27 juin 2008 ;
- si vous demandez des jours de congés annuels entre deux jours de grève, il faut les faire valider avant le premier jour de grève ;
- la validation de jours de congés annuels ne protège pas d’une retenue au titre d’une autre absence sur s’il n’y aucun service fait entre les deux jours de grève, en particulier si les jours de grève ne tombent pas la même semaine (voir exemples ci-dessous).
Enfin, la circulaire précise qu’il ne saurait y avoir de compensation des jours de grève par l’octroi de jours de congés ou de RTT, les jours de grève n’étant pas considérés comme tel.
Exemples :
- grève lundi, congés annuels mardi mercredi et jeudi, grève vendredi, week-end samedi et dimanche, reprise du travail lundi suivant : deux jours décomptés (deux jours de grève)
- grève lundi, congés annuels mardi, mercredi, jeudi et vendredi, week-end samedi et dimanche, grève lundi, reprise du travail mardi suivant : quatre jours décomptés (deux jours de grève et deux jours de week-end)
- grève lundi, congé annuel mardi, temps partiel ou jour férié mercredi, congés annuels jeudi et vendredi, week-end samedi et dimanche, grève lundi, reprise du travail mardi suivant : cinq jours décomptés (deux jours de grève, un jour de temps partiel ou férié, deux jours de week-end).