Télétravail : le ministère court-circuite à nouveau l’inspection du travail

La première période de confinement a été le prétexte à de multiples atteintes aux prérogatives et à l’indépendance des inspecteur-trices et contrôleur-euses du travail. Au point que la CGT, avec plusieurs autres organisations syndicales, a été contrainte de saisir, au printemps dernier, le Bureau International du Travail (BIT) pour contraindre le ministère et la DGT à respecter la convention n°81 de l’OIT. Force est malheureusement de constater que ces derniers entendent persévérer dans cette voie.

Ainsi, la semaine dernière, plusieurs agent-es de contrôle ont appris de façon incidente que des grandes entreprises de leur secteur faisaient l’objet d’une intervention menée par leur RUC, leur RUD ou leur DIRECCTE aux fins de faire appliquer les recommandation du protocole sanitaire – parfois alors même que les agent-es avaient entamé un contrôle sur le sujet !

Alertée par ces collègues, notre organisation syndicale a ensuite pris connaissance d’un courriel du DGT adjoint en date du 5 novembre 2020, adressé aux DIRECCTE, dans lequel M. Vilboeuf indique à l’encadrement régional : « il vous a été demandé de prendre, dès maintenant puis dans les tout prochains jours, l’attache des plus importantes entreprises de votre région, notamment celles de plus de 1000 salarié-es, dont les activités sont en tout ou partie « télétravaillables » et ceci afin de vous assurer que le télétravail est bien la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent », et précise ensuite : « Ce contact sera pris au niveau de l’équipe de direction de la DIRECCTE dans la perspective d’un premier état des lieux et aura pour but de rappeler les termes du protocole national, mais aussi les modalités du dialogue social qui auront été retenues pour traiter le sujet dans l’entreprise. » Exit donc l’inspection du travail ! L’instruction du 3 avril 2020 de la même DGT lui enjoignait pourtant de veiller à la mise en œuvre effective des principes généraux de prévention par les employeurs.

La direction s’arroge le droit, en dehors de tout texte et de tout cadre, de contrôler les entreprises, en choisissant évidemment celles qu’elle juge les plus sensibles politiquement et médiatiquement. Et à aucun moment, dans ce message, il n’est question d’informer les agent-e-s de contrôle des sections concernées de ces interventions ni d’échanger au préalable avec eux sur la pertinence de ces interventions au regard de la situation des entreprises qu’ils sont les mieux à même de connaître précisément. Seuls les scrupules de certain-e-s encadrant-e-s ont permis à des collègues de prendre connaissance du cadre de ces interventions.

Récemment, suite aux protestations de plusieurs agent-es, ces interventions ont été renvoyé, dans certains départements, aux UC : soit l’agent-e de contrôle compétent-e téléphone aux entreprises ciblées, soit c’est le-la RUC qui devra s’acquitter de cette démarche.

Or, ces méthodes ne sont pas sans poser plusieurs difficultés : tout d’abord, il n’est pas ni orthodoxe ni anodin que l’équipe de direction prenne attache en catimini avec les entreprises en lieu et place des agent-es de contrôle compétents concernant des matières qui relèvent à proprement parler de la compétence des intéressés. En effet, en se substituant ainsi au pouvoir d’initiative que les inspecteur-trices du travail tiennent des dispositions des articles L8112-1 et suivants du code du travail, le ministère prend le risque d’affaiblir l’exercice de leurs missions. Notamment, ces actions peuvent venir contredire des actions de contrôle en cours ou à venir. Les entreprises pourraient par ailleurs être tentées de se prévaloir du contact « informel » pris « hors sol » par les directions, situation qui aurait inévitablement pour effet de mettre l’agent concerné en porte-à-faux.

En outre, le choix des entreprises à contrôler – guidé par des impératifs exclusifs de communication, a été fait sans considération de la réalité des conditions de travail des salarié-es ce qui interroge légitimement sur la pertinence du choix opéré qui laisse de côté, de façon arbitraire, nombre d’entreprises où la problématique se pose de façon plus saillante.

Enfin, demander aux agent-es de contrôle, comme c’est le cas dans certains départements, de se faire les VRP des actions de communication du ministère en téléphonant eux-mêmes aux grandes entreprises pour s’assurer que le télétravail est bien « la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent » revient à demander aux agent-es concernés de faire du mauvais travail dans l’urgence et alors qu’un contact téléphonique ne saurait se substituer à de véritables constats et aux suites qui peuvent être données en opportunité à ces constats en vertu du principe de libre décision énoncé à l’article 17 de la convention n° 81 de l’OIT.

C’est à la condition nécessaire que ces principes élémentaires d’intervention soient respectés que l’action des services de l’inspection du travail pourra demeurer crédible, sérieuse et opportune

La CGT-TEFP demande que cesse immédiatement ce nouveau court-circuitage de l’inspection du travail. Plutôt que de contourner ses agent-e-s, le ministère du travail ferait mieux de leur donner les moyens humains, juridiques et matériels d’accomplir leurs missions. Supprimons les postes de RUC, réintégrons les membres des équipes de direction à l’inspection du travail, les sections vacantes ne manquent pas !