Monsieur le directeur des ressources humaines,
Nous tenons à débuter notre déclaration préalable en revenant sur la grave agression dont a été victime l’un de nos collègues en Corse : alors qu’il faisait son travail, en essayant de soustraire du danger un salarié qui était exposé à un risque grave de chute de hauteur, il a été violemment pris à partie, outragé, menacé de représailles et frappé au visage. Le DGT se permet d’écrire «Des contacts ont été pris avec le parquet afin que les suites pénales appropriées soient apportées », alors que l’auteur de l’agression, tout en contestant la version des faits de notre collègue, passera en CRPC (« plaider coupable »). Il n’y aura donc pas d’audience correctionnelle ! L’avis à victime reçu par notre collègue écarte l’obstacle et l’outrage pour ne retenir que les violences contre personne délégataire d’une mission de service public : cette réponse pénale a minima est scandaleuse et nous demandons une intervention immédiate de la Ministre et du DGT pour que ce scénario pénal ne se réalise pas.
Nous en arrivons à l’ordre du jour de cette réunion. Annoncé au mois de juin dernier, un « grand » CTM devait se tenir à la rentrée pour nous permettre de discuter des grandes orientations de notre Ministère en matière de « ressources humaines » puisque Madame BORNE était censée s’être battue tout l’été pour obtenir des moyens pour nos services. Or force est de constater que la situation est toujours aussi catastrophique. Et comme nous vous l’avons écrit la semaine dernière, nous exigeons une discussion concrète sur les effectifs et pas une énième présentation de vos bonnes intentions qui n’auront aucun effet concret sur les conditions réelles de travail de nos collègues.
Nous sommes tout d’abord contraint.e.s de revenir sur les conditions déplorables de préparation de cette réunion : à l’exception du point numéro 2 inscrit à l’ordre du jour, aucun document ne nous a été transmis dans un délai raisonnable. Combien de fois devrons-nous vous répéter qu’il est inadmissible de nous empêcher de préparer nos interventions dans le cadre d’une réunion où nous représentons l’ensemble de nos collègues ? Vous nous avez finalement annoncé hier que le point sur le projet de loi de finances 2022 pour le Ministère du travail était reporté au mois de novembre. Il a pourtant fait l’objet d’une présentation devant le presse il y a près d’un mois ! Fallait-il demander des accréditations pour obtenir des informations ? Selon les rares échos médiatiques de cette présentation, nous nous attendions à ce que vous vantiez un budget « ambitieux », avec une grosse enveloppe pour les politiques publiques de l’emploi et de l’insertion. De l’argent à distribuer aux entreprises, il y en a, manifestement, et beaucoup ! Après les milliards distribués dans le cadre de l’activité partielle, sans contrepartie et avec des contrôles a posteriori très limités, en lien avec le manque de moyens que nous dénonçons, le raisonnement du Ministère du travail est manifestement toujours le même : les aides aux entreprises sont l’outil privilégié, si ce n’est le seul outil doté de réels moyens financiers. Mais même pour ce type d’aides, il faut des agent.e.s pour les distribuer, puis pour les contrôler. S’agissant des effectifs, Madame BORNE aurait obtenu leur maintien, à contre-courant des nombreuses suppressions de postes toujours annoncées dans les services ! Comment pourrions-nous la croire dans ces conditions ?
Nous en arrivons donc tout naturellement à la question des effectifs, point que nous souhaitons voir ajouter à l’ordre du jour de cette réunion. Nous savons que la situation est catastrophique, dans tous les services, mais nous allons insister sur ceux de l’inspection du travail puisque ce sont les seuls chiffres précis dont nous disposons, grâce à deux documents estampillés « DGT » qui circulent sous le manteau dans les services. Cette situation est tout simplement absurde ! Mais nous en retenons que, pour la première fois, la DGT reconnaît officiellement ce que les organisations syndicales dénoncent déjà depuis des années concernant l’état dramatique des effectifs des services de l’inspection du travail. Ainsi, la DGT recense, au 31 mars 2021, pas moins de 260 sections vacantes sur l’ensemble du territoire national, soit un taux de vacance de 12.5 %. Et encore, ce taux serait bien plus important si on le rapportait au nombre des sections, avant les redécoupages successifs qui ont, en parallèle, fait chuter nos effectifs au cours des dix dernières années. La dernière infographie DGT en date dresse un constat encore plus alarmant puisqu’elle fait état de 1741 sections pourvues pour un nombre de sections théoriques passé de 2068 à 2054, soit une suppression supplémentaire de 14 sections en seulement 5 mois ! Dans certaines régions et territoires, les taux de vacances atteignent des sommets inadmissibles, tant pour les usager.ère.s que pour les agent.e.s (41,18 % en Corse, ce qui est évidemment tout sauf anodin, rapporté à notre propos introductif et plus de 20 % en Guyane et en Centre-Val de Loire).
La situation des agent.e.s des services renseignements – partiellement remplacé.e.s par un code du travail numérique et un serveur vocal interactif – n’est pas plus enviable puisque le ratio y est supérieur à 56.000 salarié.e.s et à 5.000 établissements par agent.e, pour un total de 365 ETP (contre 580 en 2009, soit une baisse de presque 40 % des effectifs en à peine plus de dix ans.). Là encore, de grandes disparités existent entre régions : un ETP pour 102 529 salarié.e.s en Ile-de-France, par exemple !
Cette situation catastrophique est le résultat des plafonds d’emplois imposés par l’austérité budgétaire et le fruit des réorganisations visant à mutualiser et à réduire les coûts, en administration centrale comme en services déconcentrés (RGPP, MAP, fusion des régions et aujourd’hui l’OTE). Elle est aussi la conséquence de la réforme dite « Ministère fort » qui a abouti à la mise en place des UC et à la création des postes de RUC qui sont autant de postes en moins déployés sur le terrain.
Face à ce constat accablant, que propose la DGT ? « Recalibrer » le nombre des sections, c’est-à-dire en supprimer davantage et « prioriser les tâches (…) en tenant compte de l’urgence et de la gravité des situations rapportées » c’est-à-dire gérer la pénurie et à ménager les apparences ! Pour le principe d’égalité des usager.ère.s devant le service public et l’application homogène du droit du travail, on repassera donc plus tard ! Quant aux RUC, alors qu’aucun bilan de l’intérêt réel de ces postes, prélevés directement sur les effectifs de contrôle, n’est dressé, la DGT les conforte leurs missions d’appui, d’animation et de pilotage réaffirmant la nécessité qu’ils puissent « entièrement se dédier à ces missions, essentielles pour l’efficacité de l’action de l’inspection du travail ». Comme dans l’armée mexicaine, ceux / celles qui donnent les ordres seront bientôt plus nombreux.ses que ceux / celles qui doivent y obéir !
La note rappelle aussi l’importance primordiale des objectifs de résultat de chacun des axes prioritaires définis nationalement. Pourtant conspuée pour ses effets pervers et contre-productifs dans un rapport du Sénat publié en 2019 (éloignement des agents du terrain, majoration artificielle du nombre d’interventions, stratégies de contournement au détriment de l’action qualitative), la politique du chiffre et du bâton a visiblement encore de beaux jours devant elle !
Nous refusons cette politique qui consiste à couper les agent.e.s de la demande individuelle pour les déconnecter totalement du terrain et du travail réel. Nous condamnons cette vision d’un « système d’inspection du travail » qui ne vise pas à traiter la demande sociale, mais à répondre à une commande politique et descendante. Tous les postes doivent être urgemment pourvus et des recrutements massifs doivent être réalisés ! Nous maintenons bien évidemment notre revendication d’un doublement des sections d’inspection du travail.
Passons à présent au point consacré au « plan de transformation RH ». Le document qui nous été transmis hier seulement, à 12h10, ne nous a malheureusement pas agréablement surpris. Ce plan n’est en aucun cas à la hauteur des attentes de nos collègues, pourtant particulièrement fortes, dans un contexte de gel du point d’indice, de perte vertigineuse du pouvoir d’achat et de dégradation de nos conditions de travail. Comme nous le redoutions, nous allons à nouveau entendre un discours creux, en novlangue managériale, autour des « 7 piliers RH », sans réelles propositions concernant les carrières et les rémunérations, à l’exception de mesures en faveur des chef.fe.s qui ne sont évidemment pas pour nous la priorité ! Une fois de plus, ce que vous présentez n’est accompagné d’aucun chiffre, d’aucune précision budgétaire pourtant indispensables à votre crédibilité ! Comment vous croire quand vous évoquez, au CTM Travail, « un accroissement significatif » des promotions « au choix » dans le corps de SA des assistant.e.s de contrôle, sans donner le moindre chiffre et alors qu’un ratio ridiculement bas a été évoqué au CTM Affaires sociales / Santé ? Et évidemment, ce n’est pas un partenariat avec Linkedln qui va résoudre le problème des effectifs dans nos services…
Les questions salariales sont pourtant brûlantes et pèsent fortement sur « l’attractivité » de nos métiers, comme le déplore le ministère lui-même : difficultés à recruter, postes laissés vacants, recours massif aux contractuel.les, tant à l’emploi qu’au travail. 30 à 40 % des postes dans certaines régions ne sont pas pourvus. Pour les agent.es du Ministère, c’est la double peine, acculé.es par la charge de travail dans ce contexte de pénurie d’effectifs, les salaires dégringolent par l’effet de ces décennies d’austérité !
Un.e agent.e de catégorie C a une amplitude de carrière de 28% (comparaison entre son indice de recrutement et celui atteint en fin de carrière). C’était 40% il y a 20 ans avec une durée de carrière plus courte. Ces agent.es subissent le plus durement l’austérité et cette situation est d’autant plus scandaleuse qu’on exige qu’ils/elles effectuent des tâches pénibles, répétitives et de plus en plus complexes, sans aucun rapport avec le salaire versé. Par ailleurs, ces dernièr.es sont victimes d’un véritable goulot d’étranglement avec un taux de promotion ridiculement faible (8,5%) au grade AAP1 par an !
Pour un.e agent.e de catégorie B, l’amplitude de carrière est de 56% alors qu’elle était de 72% il y a 20 ans. Les SA pâtissent également de taux de promotion trop faibles (11% pour le passage en classe supérieure et 7,5% pour le passage en classe exceptionnelle). Le Ministère n’a apporté aucune solution aux près de 1000 contrôleur.ses du travail qui sont toujours sans perspective et bloqué.es dans un corps en extinction.
Nous terminons cette déclaration préalable en rappelant nos principales revendications, en matière de carrière et de rémunération, revendications qui ne visent pas à « transformer » la « ressource humaine », mais à nous garantir des conditions de vie et d’emploi décentes :
- ine augmentation immédiate de la valeur du point d’indice, et son indexation sur l’indice des prix à la consommation
- la mise en œuvre d’un plan de rattrapage des pertes cumulées,
- la revalorisation des grilles indiciaires et notamment pour les métiers et filières à prédominance féminine
- l’intégration des primes dans le traitement brut
- la promotion immédiate et sans condition des agent.es en sommet de grade des corps d’adjoint, SA et attachés, pour permettre la reprise de leur carrière
- le déblocage immédiat des carrières des agent.es de catégorie B et C, coincés dans les premiers grades du fait des ratios de promotion bas
- l’organisation d’un dispositif spécifique pour les agent.es de catégorie C facilitant le passage dans les corps de catégorie A et B (SA, IT, attaché) avec un cycle préparatoire au concours ouvert sans sélection et un accès facilité à la formation continue
- le passage immédiat de tou.tes les contrôleurs.ses du travail qui le souhaitent en inspecteur.ices du travail
- enfin, nous demandons un véritable plan de transformation d’emplois de C en B et de B en A sur le seul critère de l’ancienneté pour la reconnaissance des qualifications professionnelles.