Wiki’T : la synthèse de l’enquête du CHSCT ministériel

Synthèse de l’enquête du CHSCT-M concernant WIKI’T réalisée par les membres du CHSCT Ministériel à Avignon et Chartres les 1er et 2 octobre 2015, présentée lors de la réunion du CHSCTM du 7 octobre

Le cadre de la mission

Les entretiens se sont déroulés sur 1,5 jour à Chartres et 2 jours à Avignon. Les membres du CHSCT-M n’ont pas eu le temps suffisant pour regarder sur les postes de travail les problèmes soulevés par les agents. Pour être plus efficient, il aurait été souhaitable que les membres du CHSCT-M bénéficient de la formation de 2 jours en amont ainsi qu’un temps de mise en commun plus important pour élaborer le rapport.

À noter que la première version testée (1.0) a été remplacée par la version 1.1 le 21 juillet 2015. La version 1.2 est en cours de recette. La DGT considère toutefois aujourd’hui que la version 1.1 est suffisamment mature pour être déployée.

Les membres de la délégation à Chartres Les membres de la délégation à Avignon
–      Julie Court – CGT

–      Christel Lamouroux – CFDT (uniquement le 1er octobre)

–      Jessica Lirot – FO

–      Philippe Sotty – FSU

–        Gérald Le Corre – CGT

–        Brigitte Sénèque – FSU

–        Jérôme Beuzelin – SUD

–        Hélène Lutun – UNSA

 

Les personnes rencontrées au sein de l’UT d’Eure et Loir  Les personnes rencontrées au sein de l’UT du Vaucluse
– Les deux formatrices relais : une IT et une CT,

– Le RUT,

– 5 IT sur 6, y compris une des formatrices,

– 5 CT sur 8, y compris une des formatrices,

– 3 assistantes de contrôles sur 5,

– 1 agent de la SCT,

– Les 2 RUC,

– 2 représentants du personnel au CHSCT

(y compris une des formatrices).

– Une formatrice : CT (les 2 autres étaient mobilisées par de la formation),

– La RUT,

– Le directeur délégué,

– 4 IT

– 4 CT

– 5 secrétaires sur 8

– 1 RUC sur 2

– 2 représentants de la DGT

– des représentants du personnel

Les agents rencontrés représentent 75% des agents concernés au sein de l’UT d’Eure et Loir. Les agents rencontrés représentent plus de 50% des agents concernés au sein de l’UT du Vaucluse.

Ce rapport est structuré en quatre parties :

  • Le contexte : il n’est pas possible d’analyser l’outil sans resituer le contexte dans lequel WIKI’T a été testé,
  • L’outil WIKI’T : à la fois par rapport à sa conception, aux fonctions proposées (utilité) et par rapport à son ergonomie et à sa facilité d’utilisation (utilisabilité),
  • La formation des agents : telle qu’elle s’est déroulée et doit être complétée.
  • L’organisation du travail : en analysant tant l’impact de l’outil sur l’organisation du travail que l’organisation du travail requise par un usage correct de l’outil.

Il convient de relever que dans le cadre de l’expérimentation, les agents n’ont pas pu tester toutes les fonctionnalités de WIKI’T. Aussi, certaines d’entre elles n’ont pas pu être expérimentées et n’ont donc pas pu être analysées. C’est le cas notamment du partage d’informations entre agents d’UT différentes, des outils de pilotage avec les portraits de service ou de section.

Le contexte

Le contexte des deux sites pilotes est marqué par plusieurs éléments dont certains seulement leur sont propres.

La mise en œuvre du plan « ministère fort » a déstabilisé la quasi-totalité des agents concernés : inspecteur-rices du travail, contrôleur-es du travail et secrétaires / assistantes de contrôle. Majoritairement, cet évènement est considéré comme le plus déstabilisant pour les services.

Ainsi le déploiement de WIKI’T intervient après une succession de réorganisations des services (fusion des services, création des DIRECCTE, ministère fort, suppression du corps des contrôleurs…) qui a déstabilisé les collectifs de travail (« WIKI’T est la goutte d’eau qui fait déborder le vase »). Par ailleurs, les organisations de travail ne sont toujours pas stabilisées.

Certaines spécificités liées au contexte local sont à relever :

  • L’UT 28 a connu en moins de deux ans un déménagement et un réaménagement des locaux.
  • Au sein de l’UT 84, l’introduction de WIKI’T s’est opérée dans un contexte particulier : l’organisation retenue pour les UC a entraîné l’attribution à chaque secrétaire d’une ou plusieurs communes, dans l’ordre alphabétique, donc sans rapport avec la configuration des sections. Dans le cadre de leur activité, les secrétaires peuvent avoir de 7 à 10 agents de contrôle comme interlocuteur, et les agents de contrôle devoir s’adresser aux 4 secrétaires de l’UC.

À noter qu’à l’UT 84, la RUT a écrit aux agents que la priorité était WIKI’T.

Les deux sites rencontrent des problèmes matériels. Plusieurs agents de l’UT 28 ont insisté sur des difficultés de fonctionnement liées à la réduction du parc de véhicules de service de 5 à 4, ce qui induit l’impossibilité pour certains agents de se rendre sur leur secteur de contrôle. L’UT 84 a connu une panne de son système de climatisation durant tout l’été, et rencontre des problèmes de scan et d’imprimantes.

Concernant WIKI’T et son expérimentation, les agents n’ont pas été consultés sur l’opportunité d’être site pilote.

À Chartres, la date du 11 mai 2015, qui correspond à la date de la réunion au cours de laquelle les agents ont été informés des modalités de mise en œuvre de WIKI’T sur le site, a été régulièrement évoquée : « il y a eu un avant et un après 11 mai 2015 ». La « brutalité » des propos de la DGT a marqué les esprits. Elle a en effet informé les agents que, dès ce jour, les assistantes de contrôle ne dactylographieraient plus les courriers des agents de contrôle qui devraient s’en charger eux-mêmes, alors que jusqu’à présent, ces derniers, dans leur grande majorité, ne tapaient pas leurs courriers.

Cela a fortement déstabilisé les secrétaires/assistantes de contrôle, dans un contexte de réduction / suppression des postes de catégorie C. Cela a également déstabilisé les agents de contrôle.

Il est également utile de noter le caractère hétérogène des pratiques des agents en matière de dactylographie des courriers et d’utilisation de l’outil CAP SITERE. Cette composante n’a pas été prise en compte dans le déploiement de l’outil WIKI’T puisque tous les agents, quelles que soient leurs pratiques et expériences antérieures, ont été considérés de la même manière. Il apparaît que les agents disposant d’une expérience de CAP SITERE ont une capacité plus grande à s’approprier WIKI’T mais ne sont pas toujours les moins critiques. Les anciens utilisateurs de Rédac estiment que les nouvelles modalités de mise en œuvre rendent moins aisée l’utilisation du nouvel applicatif. Il appartient ainsi aux agents de s’adapter à l’outil, alors que la règle est que l’outil soit adapté aux besoins, pratiques et aptitudes des agents.

Une majorité des agents des deux sites, y compris la hiérarchie, appellent de leurs vœux une stabilisation de l’organisation du travail et l’arrêt des réformes, en vue de réduire le sentiment d’insatisfaction et de découragement pointé par tous, et d’enrayer la baisse de l’activité de contrôle, notamment en réduisant les taches annexes sans lien direct avec le contrôle.

L’outil WIKI’T

La conception de l’outil

Selon la DGT, les besoins des utilisateurs ont été définis avant 2011.

Durant toute la phase d’expérimentation, les besoins des agents n’ont jamais été questionnés : les agents ignoraient l’existence d’un groupe utilisateurs et a fortiori le résultat de leurs travaux. Par conséquent, l’outil ne prend pas en compte les besoins des agents, ni leurs expériences et activités quotidiennes.

Les agents s’interrogent sur les suites données à leurs remontées sur WIKI’T et leurs demandes d’évolution de l’outil.

On note également l’absence de notice d’utilisation.

Son utilité au regard des besoins des utilisateurs

Pour une majorité d’agents de Chartres, l’inspection du travail a besoin d’un outil informatique d’aide au contrôle, un outil qui permettrait de mieux préparer en amont les contrôles, d’avoir des informations utiles pour cibler ces contrôles (par exemple, information sur le taux d’accident dans telle entreprise, identification des entreprises jamais contrôlées). À Avignon les agents insistent plus particulièrement sur la nécessité de connaître les entreprises par section, ce qui n’est pas possible aujourd’hui, du fait de la transformation sous SIENE du code section en code UC.

L’outil WIKI’T apparaît davantage comme un outil de rendu compte quantitatif de l’activité et de formalisation des suites au contrôle. De par sa conception, WIKI’T impose d’abord de rentrer ses états d’activité avant de pouvoir rédiger son courrier de suite à visite (« on doit rendre compte de son activité, avant même de pouvoir exercer son métier d’agent de contrôle »).

Plusieurs agents de contrôle ont dénoncé qu’ils étaient transformés en « agent de saisie », et que WIKI’T présentait un frein à leur activité de contrôle. L’outil est vu comme une contrainte pesant sur leur activité d’agent de contrôle qui doit être sur le terrain.

D’autres agents ont souligné que WIKI’T présentait des fonctionnalités utiles au contrôle, à la condition de le renseigner au-delà des champs obligatoires, de manière assez poussée ; or le temps passé à ces saisies est incompatible avec le temps nécessaire aux contrôles (« si on veut faire des recherches pour préparer des contrôles ciblés, il faut remplir WIKI’T au-delà de que ce qui est préconisé, mais ça prend trop de temps, si on saisit tout, on ne sort plus »).

À ce jour, les agents perçoivent difficilement la plus-value par rapport à CAP SITERE, et plus particulièrement les utilisateurs assidus de cette application.

Des agents ont jugé positivement la capacité de communiquer de manière « fluide » au sein de l’UC, par le biais des transmissions. À Avignon, l’organisation des secrétariats ne permet pas cette fluidité. Par ailleurs des agents craignent que WIKI’T devienne un outil supplémentaire de prescription.

Par contre, la capacité de mutualiser des informations sur les entreprises, et de les échanger entre agents d’UT différentes, n’est pas encore opérationnelle et ne peut donc pas encore être évaluée.

De même, concernant les outils de pilotage mis en place par WIKI’T (plans d’actions, portraits de services), la hiérarchie souligne que ces outils présentent un potentiel intéressant mais à défaut d’avoir été développés, ils ne peuvent être évalués à ce stade.

Il convient à cet égard de noter que concernant les CREMA, bien que la DGT pose le principe que seul l’agent concerné y a accès, il s’avère que des données relatives à l’activité peuvent toutefois être consultées via les recherches avancées.

L’utilisabilité de l’outil : son ergonomie et sa facilité d’utilisation

Certaines capacités et/ou fonctionnalités développées au sein de WIKI’T sont jugées positives et intéressantes par des agents :

  • Le temps d’affichage entre chaque page et le temps d’enregistrement des interventions (après saisie),
  • Le dossier d’affaires,
  • La possibilité de réaliser des transmissions de dossiers entre agents,
  • Les signalements AT (transmission à la DGT).

Cependant, les critiques quant à l’ergonomie de l’outil sont nombreuses et majoritaires :

  • Les agents, y compris ceux qui le maîtrisent bien, critiquent unanimement le fait que l’outil ne soit pas intuitif : « la logique de l’outil est difficilement compréhensible ».
  • L’absence d’assistance informatique intégrée à l’outil ainsi qu’une notice ne permet pas de pallier les difficultés d’utilisation de l’outil.
  • L’absence d’administrateur local est regardée par les agents comme une rigidité en ce qu’elle entrave la possibilité d’adapter l’outil et ses fonctions à des nécessités, qu’elles soient ponctuelles (intérim ou correction d’erreur…) ou pérennes (création de courriers modèles personnalisés).

Ils relèvent également que certaines fonctionnalités sont inadaptées et/ou chronophages :

  • L’utilisation de WIKI’T requiert de nombreux clics et l’ouverture d’un nombre important de fenêtres qui restent ouvertes,
  • La nomenclature pour la saisie des articles du code du travail dans les courriers, est inadaptée ; elle ne correspond pas à celle habituellement utilisée (COD’IT ou architecture du code du travail),
  • La liste des modèles mise à disposition est incomplète, le chemin d’accès à ces modèles est compliqué,
  • Il y a une impossibilité de créer des modèles personnels ; uniquement des paragraphes avec un nombre limité de caractères peuvent être insérés dans la bible locale,
  • Des champs de fusion pour la rédaction des courriers continuent de dysfonctionner : mauvaises adresses des destinataires, numéros de téléphone et email de nos services erronés, dates se mettant à jour à chaque utilisation y compris pour les documents terminés voire transmis (cependant, la dernière version de WIK’IT aurait corrigé ce problème),
  • La recherche d’établissements dont on ne connait pas le SIRET est inefficiente ; celle des chantiers semble aussi compliquée,
  • La saisie relative aux LSP est jugée trop longue et contraignante (un IT relate que la saisie de 22 transferts a nécessité 8h30),
  • A défaut d’interface réalisée avec certains logiciels de saisie existant dans les services (par exemple ACCORD NG ou SI PSE), il en découle soit une exigence de double saisie par des agents, soit une perte d’informations qui pourraient être utiles aux agents.
  • Certains agents ont rencontré des problèmes d’affichage à l’écran,

La formation

Les agents ont un ressenti positif de la formation mais l’analysent davantage comme une information générale (notamment pas le temps de voir tous les modules) et une présentation de l’outil, que comme une mise en capacité d’utiliser l’outil de manière opérationnelle.

Ils regrettent également que la formation ait été dispensée trop en amont de l’utilisation.

Au départ, l’absence de support papier a conduit les formatrices à établir leur propre support (cela a été ensuite corrigé).

L’intervention des formatrices est appréciée tant sur le volet formation que pour leur assistance. Néanmoins, de leur propre avis, elles sont elles-mêmes en phase d’appropriation de l’outil et s’approprient ses fonctions au fur et à mesure de son utilisation.

Le bon usage de l’outil requiert un apprentissage long et persévérant. Il requiert également :

  • une formation initiale plus approfondie,
  • un nombre de formés de maximum 6 personnes,
  • des formations spécifiques aux métiers et aux fonctions (agents de contrôle, secrétaires/assistante de contrôle, RUC, agent de SCT),
  • des séances régulières de formation après utilisation et des échanges de pratiques.

Il convient de souligner que ces formations ont généré une surcharge de travail importante pour les formatrices relais. Depuis le mois de mai dernier, entre les formations assurées, les réunions de travail avec la DGT, l’assistance quotidienne des agents, les formatrices n’ont pratiquement pas occupé leur poste d’agent de contrôle.

L’organisation du travail

Une majorité des agents déplorent une conception de l’outil sans réflexion préalable sur l’organisation du travail. Cette grave lacune dans la conduite du projet a contribué, lors du déploiement de WIKI’T dans les UT, à déstabiliser les pratiques professionnelles des agents et a généré des inquiétudes importantes quant à l’avenir de leur métier, et/ou des services, ce qui est source de souffrance au travail.

Les principaux aspects impactés dans l’organisation du travail :

  • La temporalité du travail est fortement impactée : avant on rédigeait d’abord le courrier puis on l’enregistrait et on renseignait certaines informations. Maintenant on ne peut écrire son courrier qu’après avoir saisi son intervention et renseigné certaines informations obligatoires. Le courrier ne pouvant être rédigé sans saisie préalable des articles dans WIKI’T, on ne peut plus comme auparavant planifier sa saisie par exemple sur un jour par mois.
  • Les suites au contrôle sont avant tout orientées vers le rendu compte d’activité, plus que vers l’intervention en direction de l’entreprise. Le temps de saisie est chronophage. Ceci conduit les agents à développer des stratégies de contournement. Un agent indique ainsi que « pour être tranquille », il saisit dans WIKI’T uniquement les articles qu’il va viser dans son courrier qui est ensuite rédigé de manière manuscrite, dactylographié par la secrétaire puis classé dans le réseau local (J). D’autres agents indiquent qu’ils ne saisissent que quelques-uns des articles visés dans leurs courriers.
  • Les secrétaires / assistantes de contrôle sont globalement très perturbées par l’outil ; beaucoup des secrétaires pour lesquelles l’introduction de WIK’IT s’est traduite par la perte des tâches de dactylographie le regrettent. Certaines estiment perdre ainsi beaucoup en connaissance des dossiers et des entreprises. Beaucoup disent ne pas savoir où elles vont concernant leur emploi. Certaines acceptent de continuer à assurer les tâches de secrétariats (dactylographie, mise sous pli du courrier, …) et d’autres s’y refusent. Les agents de contrôle sont eux-mêmes partagés sur les tâches qui doivent être confiées aux secrétaires/assistantes.
  • La plupart des contrôleur-es du travail ont beaucoup de mal à se positionner,
  • La plupart des inspecteur-rices du travail ont un sentiment de déclassement en n’étant plus chef de service et en faisant le travail de dactylographie, voire de mise sous pli des courriers, tâches jusqu’alors réalisées par les secrétaires,
  • L’absence de décision partagée concernant la répartition des tâches de saisie dans WIKI’T entre les agents de contrôle et les secrétaires / assistants de contrôle constitue une difficulté,
  • Les RUC rencontrent de grandes difficultés à homogénéiser le fonctionnement alors que le principe de réalité leur impose de prendre en compte les réalités locales concernant les aptitudes et appétences des agents très déstabilisés. Concernant le pilotage de l’inspection du travail, la hiérarchie locale est davantage préoccupée par le fonctionnement quotidien des services que les réformes successives ont mis à mal.
  • La mise en œuvre de WIKIT double certaines tâches existantes qui sont pour l’instant maintenues telles que la tenue du dossier papier, la tenue des chronos pour les courriers, les tableaux de remontées…

Enfin, les agents nourrissent de grandes inquiétudes quant aux évolutions des organisations du travail au sein de Ministère du travail. Ils notent que les collectifs de travail ont été mis à mal par le plan « ministère fort », que le travail est de moins en moins collectif depuis.

Le déploiement de WIKI’T, dans un temps extrêmement contraint, de manière précipitée, contribue à accentuer ces inquiétudes.

En effet, des agents pensent que WIKI’T a pour finalité, ou à tout le moins, va permettre d’organiser la disparition des catégories C et des secrétariats et d’évoluer vers une organisation du travail de l’inspection du travail sans secrétariat, avec des agents de contrôle équipés d’ordinateurs portables qui géreront les tâches du début à la fin, sans bureau.

 

Lire et télécharger le rapport d’enquête