Réponse à la lettre du DGT du 4 mars 2019 : un fossé devenu infranchissable entre les agent·es de l’inspection du travail et la DGT

C’est ce que révèle le courrier de 12 pages adressé le 4 mars 2019 par le DGT, Yves Struillou, à chacun·e des agent·es de l’inspection du travail.

La conception du sens de l’intervention de l’inspection du travail, au service des salarié·es, défendue par les agent·es est à mille années-lumière de la vision du management par objectifs prédéterminés et chiffrés portée par l’administration

Ces divergences ne sont pas, contrairement à ce que laisse entendre la DGT, des divergences affichées dans le but de permettre que chaque agent·e protège son pré carré et fasse fi de toutes contraintes ; ce sont des divergences profondes sur le sens des missions et de l’intervention des agent·es au service des droits individuels et collectifs des travailleurs·euses.

Depuis plus de 10 ans, les réorganisations des services de l’inspection du travail s’enchaînent : suppression des sections territoriales, création d’unités de contrôle dont le but affiché est le renforcement du management par objectif et la perte d’autonomie d’action, création d’équipes régionales d’intervention, spécialisation sur des champs d’intervention, plan de transformation d’emploi qui dissimule des suppressions de postes tant d’agent·es de contrôle que d’agent·es de secrétariat, numéro national unique d’appel des services renseignement mettant à mal le service de proximité, etc.

Ces réorganisations sont en lien direct avec les réformes du code du travail et participent de l’allégement des contraintes exercées sur le patronat au détriment des droits des travailleurs·euses. Ces réforme visent à contraindre l’inspection du travail à devenir un service participant à la construction de l’Etat libéral et accompagnant la restructuration des entreprises. En interne, en effet, ces réorganisations ont essentiellement pour objectif de couper les agent·es de l’inspection du travail du contact direct avec les travailleurs·euses et de limiter les contrôles inopinés à l’initiative de l’agent·e de contrôle, contrôles qui prennent en considération le tissu économique et social du territoire, pour faire place à des actions concertées, ciblées et déterminées par le pouvoir politique.

Comme nous l’avions déjà écrit et dénoncé, la « politique travail » chère à notre DGT constitue un des axes d’intervention en faveur de la compétitivité et du développement des entreprises et, en son sein, le contrôle est conçu comme un instrument au service du respect des règles de concurrence entre les entreprises, mais qui ne doit pas entraver leur développement économique.

Il s’agit là d’un déplacement du sens de l’intervention de l’inspection du travail, au service de la protection des travailleurs·euses et de la promotion des droits individuels et collectifs dans l’entreprise, vers une négociation de la norme sociale dans l’entreprise pour assurer sa compétitivité.

C’est cette politique et les décisions qui lui sont associées que les agent·es rejettent.  

La réduction des effectifs

Un rapport de la cour des comptes paru en 2016 pointait qu’en 2010, avant les réformes dites Plan Sapin, le nombre de salarié·es par agent·e de contrôle était de 6563. Aujourd’hui, on nous annonce que les effectifs seront calés sur un ratio d’un agent·e pour 10 000 salarié·es (situation identique à la situation de 2006), ce qui laisse présager la suppression de 15 % de postes d’agent·es de contrôle.

Or, même la précédente ministre du travail avait souligné que le chiffre préconisé par l’OIT d’un agent·e pour 10 000 salarié n’était pas cohérent compte tenu de la complexité des situations et de la construction du marché unique, et particulièrement pour la France, l’inspection du travail française étant l’inspection du travail la plus « généraliste » au monde – c’est-à-dire intervenant sur le champ le plus large en matière de conditions de travail et de respect des droits (rapport cour des comptes p.388).

Qu’est ce qui justifie qu’aujourd’hui le ratio de 1 agent·e pour 10 000 salarié·es soit retenu par le gouvernement et par la DGT ?

Rien ! Bien au contraire, les agent·es sont déjà très majoritairement en burnout puisqu’ils ont été contraints de faire face, en plus de leur travail quotidien, aux premières suppressions de postes, aux réorganisations internes – assorties de leurs lots de gestion des intérims et des redécoupages constants des périmètres des sections, et ont dû s’approprier les nombreuses et importantes modifications du droit du travail récentes.

Rien, vraiment rien ! Puisque, pour continuer à réorganiser les services au service du patronat, les arguments brandis rappellent en permanence la complexification du droit du travail et de ses formes d’organisation.

Rien, sauf peut-être la volonté de lasser les agent·es, de les épuiser afin qu’ils renoncent à résister.

La programmation des actions de contrôle et les objectifs chiffrés qui en découlent

Notre gouvernement et la DGT font un calcul de « productivité » en comparant l’évolution des effectifs et celle du nombre de contrôles, comme si l’évaluation de l’activité de l’inspection du travail était réductible à une analyse mathématique. Dans le même temps, ils justifient les réorganisations en s’appuyant sur la complexification croissante du droit du travail et sur l’évolution des formes complexes d’exploitation. On reconnait bien là la logique absconse d’une administration déconnectée des réalités de travail…

Le véritable objectif de la programmation des actions de contrôle, comme celui de la fixation d’un objectif de 50 % de la part des actions prioritaires dans le volume global des interventions, est de contraindre l’agent·e à travailler autrement et à appréhender le monde du travail, non sur le terrain de la réalité objectivée en prise directe avec le vécu des salarié·es, mais par grand schéma de pensée.

Il s’agit, et nous le dénonçons depuis longtemps, sur la base d’une liste prédéterminée d’entreprises, de mobiliser en même temps tous les agent·es de contrôle pour qu’ils contrôlent un point particulier du droit du travail quelle que soit la situation réelle de l’entreprise et des travailleurs·euses, et produisent ensuite une lettre type et une statistique.

Cette logique d’intervention programme la fin de la relation des agent·es de l’inspection du travail avec les salarié·es, avec leurs représentants ainsi que la fin des sections territoriales et généralistes.

Cette logique d’intervention produit du mauvais travail : la statistique et l’affichage des résultats chiffrés sont plus importants que le rétablissement des droits des salarié·es et leur protection.

On nous demande même de faire semblant : de vérifier le contenu d’une déclaration de détachement, d’envoyer une lettre type … et de noter une intervention sur l’outil statistique, sans s’être confronté à la réalité du terrain.

Les agent·es de contrôle refusent de rentrer dans cette logique comptable qui ne donne pas de sens à l’intervention.

La lettre du DGT culpabilise les agent·es : si les agent·es n’effectuent pas les actions prioritaires et ne remplissent pas les objectifs, c’est l’organisation territoriale en section qui va disparaître

Or, le rapport de la cour des comptes cité plus haut indique noir sur blanc que l’organisation en section est obsolète et que la nouvelle organisation territoriale créant les unités de contrôle implique de fait la suppression des sections d’inspection (p.379). Une note annexe figurant en bas de page précise : « les sections ont été formellement maintenues comme cadre juridique d’exercice de certaines compétences prévues par le code du travail (…) il faut espérer, dans un souci de clarté, qu’elles disparaissent formellement dans le cadre de la réforme ».

Lorsque le DGT menace les agent·es de contrôle de supprimer les sections s’ils ne rentrent pas dans le rang, il nous raconte des mensonges. En réalité, la disparition des sections est programmée ; elles doivent disparaître de fait : par l’organisation de l’activité en brigade d’intervention ciblée sur un point particulier et une liste d’entreprises à contrôler, par la constitution d’équipes régionale de contrôle dans des domaines variés et élargis (bâtiment, travail illégal, installations classées….).

Dans cette logique, on s’interroge notamment sur ce que va devenir l’autorisation de licenciement des salarié·es protégé·es.

Les agent·es de contrôle et leurs représentants continueront à défendre l’organisation des services en sections territoriales, seul cadre permettant de construire des liens privilégiés avec les salarié·es et les représentants du personnel, seul cadre pour garantir l’indépendance vis-à-vis du patronat.

Cerise sur le gâteau, le DGT menace les agent·es de sanctions et caricature les analyses des organisations syndicales

On notera que le fameux rapport de la cour des comptes de 2016 appelait également de ses vœux le renforcement de la discipline à l’encontre des agent·es qui refuseraient de remplir leurs obligations de service comme celles de rendre compte de leurs activités ou de participer à l’entretien annuel d’évaluation.

Et le DGT, loin de protéger les agent·es, annonce les sanctions disciplinaires pour demain si ces derniers n’effectuent pas les actions prioritaires, ne participent pas à l’entretien d’évaluation et ne remplissent pas l’outil statistique comme si l’activité d’un agent·e était toute entière contenue dans le respect de ces obligations.

La prétendue a-hiérarchie des agent·es de l’inspection du travail et le reproche qui leur est fait de ne pas inscrire leur action dans les enjeux de société, pour le respect des droits fondamentaux des travailleurs·euses, est un camouflet pour chaque agent·e dont l’investissement sur le terrain aux côtés des travailleurs·euses n’est plus à démontrer.

Pourtant, les enquêtes de satisfaction auprès du public, menées par le gouvernement lui-même, louent l’action des services de contrôle de l’inspection du travail, la qualité des décisions rendues et des actions menées. Cela est reconnu par l’IGAS, par le DGT et souligné par la cour des comptes dans son rapport de 2016.

Quel est donc alors le sens de cette mise en cause des agent·es ? Plus précisément, qu’est-ce qui motive l’affirmation selon laquelle la conception de l’action des services au bénéfice des travailleurs·euses (devenue réponse à la « demande sociale » dans les propos de la DGT) « viole les termes de la Convention 81 de l’OIT » !!?

La violence des propos du DGT et la juxtaposition, dans un même paragraphe, des exigences du respect de la Convention 81 de l’OIT et de la prétendue violence et discourtoisie des agent·es entre eux et à l’égard de leur encadrement de proximité a manifestement pour objectif d’empêcher toute réflexion approfondie sur le sens et le contenu de l’orientation de l’action des services.

Le refus des agent·es de contrôle de répondre aux sollicitations de l’administration en matière d’actions prioritaires obligatoires et chiffrés ne prendrait par racine, selon le DGT, dans une analyse constructive de ce qu’il faut entreprendre pour défendre les intérêts des travailleurs·euses, mais dans un « simple désaccord sur les pratiques professionnelles ou sur des sensibilités syndicales ou politiques ».

Ce refus, lorsqu’il est exprimé par les organisations syndicales, ne serait pas une dénonciation de la politique du gouvernement au service du patronat, mais « un comportement collectif fondé sur le ressort de l’intimidation et de l’ostracisme ».

Nous avons récemment dénoncé que le DGT avait entamé, avec le code de déontologie et l’obligation de déclaration d’intérêt faite aux agent·es de contrôle, une chasse aux sorcières et aux syndicalistes de l’inspection du travail inscrits dans la vie publique.

Les propos qu’il tient dans ce courrier sont bien la preuve que la revendication et l’analyse syndicale doivent être éradiquées de l’inspection du travail. La dernière réponse de la DRH à la lettre ouverte CGT-SUD concernant la formation des IET en est une illustration supplémentaire : désormais tout discours syndical public est considéré comme « une atteinte à l’image et au bon fonctionnement du système d’inspection », et passible de sanctions !

La CGT le dit et le redit : l’intervention des agent·es de l’inspection du travail, au service des travailleurs·euses, est une question éminemment politique. Des modes d’organisation des services découlent les orientations politiques qui déterminent les actions sur le terrain : au service du patronat pour la DGT ; au service des travailleurs·euses pour les agent·es et leurs organisations syndicales.

Enfin, la lettre du DGT est porteuse de souffrance au travail

Les agent·es de contrôle sont épuisé·es par les demandes incessantes de la hiérarchie intermédiaire concernant le rendu-compte, les saisies informatiques et statistiques, l’évaluation des actions, les réunions de services… Les tracasseries administratives et formelles nuisent à la qualité du travail. Là où leur action faisait sens, là où le traitement de la demande sociale satisfaisait le sens du travail bien fait, l’administration ne voit qu’une tentative de s’exonérer des obligations qu’elle veut imposer.

La remise en cause de leur investissement au travail couplée aux réorganisations incessantes, aux suppressions de poste et aux menaces qui continuent à peser sur l’avenir de leurs fonctions et de leurs missions dégradent profondément la santé des agent·es et les collectifs de travail. Depuis quelques mois, les arrêts maladie et les déclarations d’accidents de services se multiplient ; mais c’est aussi le cas des malaises cardiaques et des suicides et tentatives de suicide, y compris à l’INTEFP où le malaise des inspecteurs élèves du travail est fort.

Le gouvernement et le DGT restent sourds aux alertes des agent·es et de leurs représentants. Malgré les enquêtes et les rapports d’expertise, ils n’accordent pas de crédit aux risques liés à la perte d’autonomie des agent·es, à l’absence de confiance dans la nouvelle organisation et à l’absence de soutien, au sentiment de déqualification, à la perte de sens et de sens partagé. Ils voient dans les tensions entre les personnes des manifestations d’hostilité susceptibles d’être sanctionnées alors que les experts soulignent que « le risque encouru dans une organisation qui n’a plus les bases communes du travail est que l’accusation personnelle s’installe comme un mode de fonctionnement » (rapport du cabinet d’expertise Alternatives ergonomiques présenté au CHSCTM en avril 2014.

Le gouvernement porte une lourde responsabilité en matière de la dégradation de la santé des agent·es de l’inspection du travail. Le rapport d’Alternatives ergonomiques et celui établi après le suicide de Luc Béal Rainaldy, de même que les conclusions des CHSCTM après les suicides de Luc et de Romain et les différents rapports établis dans les CHSCTR convergent dans leurs analyses. Ces documents contiennent des propositions, notamment en matière de mise en débat du travail et du sens du travail.

Après les suicides de Luc et Romain, le ministère avait renoncé aux objectifs individuels chiffrés et aux pressions statistiques. Faudra-t-il que la situation devienne encore plus dramatique pour qu’enfin le respect dû au travail fourni par les agent·es de l’inspection s’accompagne d’une véritable reconnaissance de leurs compétences et de leur investissement – celle-ci étant sans rapport avec la production de données statistiques dont l’exigence doit être abandonnée ?

C’est pourquoi nous continuerons à nous opposer aux actions prioritaires, aux objectifs chiffrés, à la constitution de brigades d’intervention et d’unités spécialisées de contrôle.

C’est pourquoi nous continuerons à défendre une organisation en section territoriale et une inspection du travail généraliste.

C’est pourquoi nous continuerons à défendre l’autonomie d’action des agent·es sur leur territoire.

C’est pourquoi nous continuerons à revendiquer plus de postes et plus de moyens.

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