Combattre les conclusions du rapport Lecocq sur la santé au travail : un rapport qui propose de faire exploser la réglementation, dépénaliser les infractions, refonder l’organisation des acteurs de la prévention dont l’inspection du travail

Un rapport à analyser dans un contexte global

Il est impossible d’analyser le rapport, commandé par le premier ministre, et donc rédigé en fonction d’une commande politique, sans repartir des différentes attaques du gouvernement et du patronat contre la santé des travailleurs et travailleuses ces dernières années.

La commande du rapport intervient juste après la décision de suppression des CHSCT comme instance spécifique sur la santé au travail, les attaques contre la médecine du travail, la baisse des budgets des services de prévention CARSAT et INRS et pour les services de l’inspection de travail, la mise en œuvre de la réforme dite Ministère Fort en 2014/2015 a eu pour effet une diminution de 10% du nombre d’agents de contrôle intervenant notamment sur le champ santé et sécurité [1].

Au-delà des attaques contre les « préventeurs », les gouvernements passés ont pris d’autres mesures pour affaiblir les droits des salariés. Ainsi l’obligation de traçabilité pour les expositions aux CMR et autres produits chimiques a été supprimée rendant plus difficile la prévention et la réparation ; et plusieurs dispositions de protection des jeunes travailleurs ont été abrogés.

Une politique gouvernementale et patronale qui vise en premier lieu à tenter de rendre invisibles les risques du travail

Nous ne devons pas être naïfs concernant les objectifs réels que poursuivent le gouvernement et le patronat concernant la santé au travail. Il s’agit avant tout d’affaiblir le réseau de tous les acteurs (CHSCT, médecin du travail et consultation en pathologie professionnelle, contrôleur de sécurité, inspecteur et contrôleur du travail…) qui peuvent observer, faire le lien entre l’évolution des conditions de travail et la santé des travailleurs. Personne n’est dupe des réelles priorités axées sur la profitabilité des entreprises et la baisse des dépenses publiques.

Bien évidemment, cela se cache derrière de nombreuses formules sur le fait de faire de la prévention une priorité mais il nous semble qu’il s’agit d’un affichage politique plutôt que d’une réelle volonté.

Deux ans et demi après l’adoption du plan national santé-travail III (PNST III) qui fait de la prévention primaire la priorité, nous devons s’interroger sur son efficacité ! Quelles sont les actions mises en œuvre ayant un effet direct sur l’amélioration des conditions de travail des salariés ???? Nous n’en connaissons aucune.

Derrière un affichage sur la prévention primaire, ce plan comprend de nombreuses actions de « simplification » des règles relatives à la santé-sécurité. C’est notamment le cas concernant les plans de prévention pour les interventions des entreprises extérieures, alors que l’inspection préalable commune et la rédaction d’un plan de prévention précis sur les mesures de prévention constituent la clef de voûte de la prévention. On retrouve le même type de proposition dans le rapport LECOCQ.

On observe les mêmes problématiques au niveau local avec les CROCT (Comités régionaux d’orientation des conditions de travail) qui sont censés participer à l’élaboration des orientations de la politique de santé et de sécurité au travail et d’amélioration des conditions de travail au plan régional (article R.4641-15 du code du travail). Nos constats, c’est une grande difficulté à obtenir la mise en œuvre de campagnes de prévention qui ont un impact sur les conditions réelles de travail des salariés, les actions étant très majoritairement limitées à l’information et à du conseil aux entreprises sans contrainte, et les acteurs de terrains présents (DIRECCTE, CARSAT, MSA, Services de santé au travail…) indiquent tous qu’ils manquent de moyens humains pour la mise en œuvre des actions.

Au-delà du manque de moyens des acteurs de la prévention, le souci est que l’ensemble des décisions doivent être prises par consensus, et comme les intérêts sont contradictoires entre les représentants syndicaux qui souhaitent protéger la santé des travailleurs et les représentants patronaux qui protègent d’abord les profits des entreprises, les plans nationaux santé-travail comme leur déclinaison régionale n’ont aucune ambition réelle.

L’inspection du travail en 2018

Cette année, même si le ministère du travail refuse de communiquer sur un chiffre national, nous savons, documents à l’appui, que 15 sections d’inspection du travail ont été supprimées en Nouvelle-Aquitaine, 24 en Grand-Est, 18 en Auvergne-Rhône-Alpes, 10 dans les Hauts-de-France, et 45 en Ile-de-France. Plus concrètement, on approche les ratios d’un agent en moyenne pour 1 000 entreprises et 10 000 salariés.

Par ailleurs, nous constatons un nombre important de postes vacants de médecins inspecteurs régionaux du travail (MIRTMO) dont les effectifs étaient déjà insuffisants.

La réforme de 2014 constitue la suite d’une volonté gouvernementale de « reprendre en main » une inspection du travail considérée comme trop proche des salariés et des représentants du personnel. Concrètement, les agents sont de plus en plus limités dans leur capacité d’intervention et leur liberté d’initiative compte tenu d’un pilotage par objectifs centré sur les propriétés nationales et régionales. Il faut avant tout faire du chiffre au détriment de la qualité et de l’efficacité de l’intervention. Cela décourage les contrôles approfondis qui sont pourtant nécessaires dans de nombreux domaines liés à la santé au travail (TMS, RPS, exposition CMR….). Ces dernières années, la priorité n°1 concerne le travail illégal et le détachement mais sous un angle assez éloigné de la protection des travailleurs et plutôt centré sur la question du déséquilibre de la concurrence entre entreprise.

Un rapport qui ne repose sur aucune observation des situations réelles

Pour un rapport qui entend proposer une « solution consistant en une refonte radicale du cadre juridique et institutionnel », il faut souligner que les 3 rapporteurs n’ont pas pris la peine de venir observer les situations réelles et d’auditionner les acteurs de terrains de la santé au travail.

La liste des auditions (p167 à 169) est assez édifiante :

  • aucun inspecteur ou contrôleur du travail en section d’inspection
  • aucun ingénieur de prévention des DIRECCTE
  • aucun Médecin Inspecteur du Travail (MIT) en DIRECCTE
  • aucun Médecin du travail en activité (la seule audition d’un STTIE concerne le directeur du service…)
  • aucun IPRP ou infirmière des STTIE
  • aucun membre d’une commission de contrôle des STTIE
  • aucun contrôleur de sécurité ou ingénieur de prévention des CARSAT
  • aucun enquêteur CPAM ou médecin conseil
  • aucun représentant des OS au sein des CTR ou des CTN
  • aucun représentant des OS dans les CROCT
  • aucune association de victimes AT/MP, ni avocat spécialisé dans la défense des victimes
  • aucun membre de CHSCT
  • aucun expert auprès des CHSCT
  • et la liste est loin d’être fini…

Par conséquent, il s’agit d’un rapport qui ne peut pas être qualifié de sérieux et ne peut servir de base à une concertation ou négociation sur l’organisation du système de santé au travail.

Le rapport construit deux axes de réflexion qui impactent directement les missions de l’inspection du travail

En premier lieu, il propose de séparer conseil en prévention et contrôle (c’est-à-dire obligation de l’employeur en santé au travail et sanction).

Une structure ad-hoc regrouperait les organismes chargés de la prévention en matière de santé et sécurité. Cette structure comprendrait un établissement national d’ordre public, et des établissements régionaux d’ordre privé. Au sein des structures régionales seraient rassemblés : agents de prévention des CARSAT, services de médecine du travail, ARACT, OPPBTP.

La fonction de contrôle des CARSAT (aspect assuranciel – tarification et réparation) demeurerait dans les caisses de sécurité sociale.

L’inspection du travail conserverait uniquement un rôle de contrôle de l’ordre public (ordre public dont le contenu changerait considérablement – cf. ci-après).

Il n’est cependant, à ce stade, rien dit dans le rapport sur les conséquences de cette partition sur nos missions.

Une tromperie, le déficit de mesures de prévention dans les entreprises n’est pas lié à un déficit de conseil

Toute la base idéologique qui porte le rapport LECOCQ part des considérants suivants :

  • les entreprises sont vertueuses et mettront en œuvre l’ensemble des mesures de prévention dès lors que les conseils reçus les convaincront de la rentabilité économique d’investir dans la prévention ;
  • pour que le conseil soit efficace, il faut instaurer une relation de confiance, ce qui est pour les rapporteurs incompatible avec le fait que certains préventeurs, CARSAT et inspection du travail, sont aussi en charge d’une mission de contrôle.

Sur le déficit de conseil aux entreprises

Existe-il aujourd’hui un déficit de conseil aux entreprises en termes de prévention des risques professionnels ou une absence de volonté des employeurs à mettre en œuvre des mesures simples de prévention ? Il suffit de prendre quelques exemples concrets pour se rendre compte qu’il ne s’agit nullement d’un problème de conseil.

Prenons l’exemple du risque de chute de hauteur, notamment le travail à l’échelle, sur escabeau qui a occasionné de nombreux morts et pas simplement dans le secteur du bâtiment. Si les échafaudages existent depuis plusieurs milliers d’années, la nacelle élévatrice a vu le jour dans les années 70. Malgré la multitude de produits sur le marché, les entreprises ont continué à faire travailler les salariés sur échelles et escabeaux, un choix uniquement opéré pour des questions de coûts économiques. Ainsi le Ministère du travail a, par un décret de 2004, renforcé la législation par l’article R. 4323-63 du code du travail qui indique « Il est interdit d’utiliser les échelles, escabeaux et marchepieds comme poste de travail » tout en prévoyant cependant un régime dérogatoire.

Certaines grandes entreprises, à commencer par France Télécom ont tenté de contourner cette « contrainte réglementaire » en concevant un produit mi-échelle mi échafaudage qui s’est avéré extrêmement dangereux d’utilisation. Il aura fallu un mort, plusieurs blessés et les procédures de plusieurs inspecteurs ou contrôleurs du travail et de CHSCT de France Télécom pour que l’entreprise recule.

Face aux difficultés d’imposer le respect des nouvelles dispositions interdisant le travail à l’échelle et à l‘escabeau, malgré l’existence d’infraction pénale, atténuée il est vrai par la politique clémente des parquets, le ministère du travail a décidé au 1er juillet 2016 d’élargir le pouvoir d’arrêt de travaux des inspecteurs et contrôleurs du travail, limité auparavant aux travaux du bâtiment, à tous les secteurs d’activités (industrie, tertiaire, maintenance….)

C’est la démonstration récente que les employeurs, quelle que soit la taille des entreprises, ne comprennent qu’une chose qui peut les faire bouger : la peur de la sanction quelle que soit la forme (condamnation pénale, civile, injonction, arrêt d’activité…)

Prenons un autre exemple où la CGT a été en pointe, l’alerte concernant les risques de poly-exposition concernant les interventions dans les conteneurs maritimes avec des risques immédiats (intoxications aiguës pouvant être mortelles) et différés (cancers… là aussi mortels). 8 ans après l’alerte des dockers et douaniers du Havre, les conditions réelles d’intervention n’ont pas été modifiées et les expositions perdurent. Si l’INRS et le Ministère du travail se sont emparés du dossier avec des études, des circulaires et des plaquettes d’information, nous ne voyons pas fleurir les installations de dégazage avec aspiration forcée, alors que les solutions techniques existent et qu’elles sont disponibles à la commande. Ce n’est pas un problème de conseil des employeurs mais de concurrences (entre les ports européens en premier lieu, entre les plateformes logistiques ensuite…) et aucun employeur ou presque ne mettra en œuvre ce type de procédés sans que l’ensemble des employeurs n’y soit contraint par décret.

On peut multiplier les exemples sur les problèmes actuels et concrets que subissent les salariés, on aboutira très souvent à la même conclusion, il ne s’agit pas d’un problème de conseil, de savoir-faire, de solutions techniques innovantes mais d’une absence de volonté des dirigeants d’entreprises. Même sur les questions considérées comme difficiles d’approche comme les TMS et les RPS, les préventeurs que sont médecins du travail, contrôleurs Carsat, inspecteurs et contrôleurs du travail ont des propositions simples en matière de prévention primaire.

La difficulté est que ces solutions ne vont pas toujours de pair avec les objectifs immédiats de rentabilité économique ou avec les réorganisations à venir prévues par les dirigeants.

La légitimité de l’intervention de l’inspection du travail dans les entreprises se fonde sur la capacité à faire des observations

La légitimité de l’intervention de l’inspection du travail dans les entreprises sur les questions de santé et sécurité se fonde sur la capacité à faire des observations et des demandes de mise en œuvre de mesures de prévention. Ainsi, une partition entre prévention et contrôle aura forcément des conséquences sur les modalités d’intervention des services.

On peut alors s’interroger sur :

  • le devenir des équipes des pôles Travail des DIRECCTE et particulièrement sur le devenir des ingénieurs de prévention qui apporte une aide technique aux agents de contrôle, soit pour caractériser des risques ou une infraction technique, soit pour aider à définir les mesures de prévention à mettre en œuvre. Pour les médecins inspecteurs du travail, le rapport préconise leur rattachement à l’ARS et leur détachement auprès des DIRECCTE ainsi que le rétablissement de leur rôle en matière de contestation de l’inaptitude médicale.
  • les conséquences sur le contenu des missions :
    • le devenir des moyens juridique des agents de contrôles. Que deviennent les instruments juridiques tels que la mise en demeure, les arrêts temporaires de travaux, les prélèvements et mesures, les demandes de vérification ? S’ils permettent de fonder des constats (prélèvements et mesures, demandes de vérification) ou de préparer des procès-verbaux (mise en demeure préalable), ils se situent en amont de l’action de contrôle et relèvent autant du contrôle que de la prévention :
    • le rapport indique que le recentrage de l’inspection du travail sur le contrôle n’obère pas la fonction de conseil : « à ce titre, les agents… pourront orienter l’employeur sur la structure régionale afin de bénéficier d’un accompagnement pratique en prévention pour donner suite à leur requêtes. »

Il faut donc comprendre que le rôle de l’agent de contrôle en matière de conseil de prévention consisterait à mettre en relation l’employeur et la structure régionale…

Le risque est grand que s’organise ainsi une remise en cause de l’inspection du travail généraliste.

En effet, en séparant contrôle et prévention, en distinguant les intervenants en matière de prévention des risques des intervenants sur les questions de durée du travail, du droit de la représentation du personnel ou salaires, etc., on modifie en profondeur la façon d’appréhender la prévention et de penser la place du travailleur dans l’entreprise. On modifie donc également la manière dont on exerce la mission d’inspection du travail.

Dans le cadre de la réforme des institutions représentatives du personnel qui a vu la suppression des CHSCT, on avait déjà observé que l’inspecteur ou le contrôleurs du travail n’était plus invité de façon permanente aux réunions des CSE sur la santé et sécurité dans les entreprises de moins de 300 salariés. C’est donc bien à un véritable retrait de la mission d’intervention en prévention et protection de la santé et la sécurité que l’on assiste. On soulignera au passage que c’est autour de cette mission qu’a été fondée l’inspection du travail et que ces orientations sont donc excessivement graves pour devenir des services de l’inspection et d’une inspection du travail au service des travailleurs.

La structure régionale devrait être le service de proximité entre les salariés et les employeurs en capacité de prendre en charge de façon personnalisée toutes les questions relative à la santé et à la qualité de vie au travail (recommandation 11). On peut alors craindre un transfert de la demande des salariés qui arrive habituellement dans les services de l’inspection du travail vers cette structure. On peut même craindre que ce transfert soit organisé par le ministère (c’est la logique qui est en œuvre dans la réforme des services de renseignement [2] et des services d’inspection [3]).

La structure régionale aurait pour rôle de fournir des conseils et des interventions au gré des demandes des entreprises et la structure régionale s’appuierait sur un réseau de prestataires privés.

Les liens entre la structure régionale et l’action de contrôle de l’inspection du travail ne sont pas définis par le rapport (seule est évoquée la possibilité d’orienter vers dans le cadre de la prévention). Par contre, l’articulation entre prévention et contrôle/sanctions – inspection du travail ou CARSAT – apparait sous-tendue par les préconisations en matière de logique d’application d’un plan santé travail assorties de sanctions administratives.

Sur la volonté de dépénaliser les infractions et d’éviter toute contrainte juridique

Si on analyse ce qui a amené le patronat, puis les gouvernements, à souhaiter la mise à mort des CHSCT, on s’aperçoit que ce n’est pas d’abord l’action de terrain des membres du CHSCT qui les dérange (visite des services, enquêtes AT, droit d’alerte), ces droits étant globalement repris pour le CSE, avec ou sans commission Santé-Sécurité, mais bien la capacité juridique du CHSCT à agir en justice en tant que personne morale. La multiplication des affaires judiciaires, notamment en référé civil, pour stopper ou freiner les réorganisations a été considérée comme quelque chose d’insupportable pour le patronat, les CHSCT devenant leur « bête noire ». Moins de dix ans après l’arrêt SNECMA du 5 mai 2008 où la Cour de cassation affirmait le droit du TGI de suspendre une réorganisation pathogène, après les arrêts Mornay, FNAC ou Caisse d’Epargne Rhône-Alpes, le patronat a réussi à faire supprimer les CHSCT. Il faut dire que l’absence de budget de l’instance obligeait les employeurs à prendre en charge les frais d’avocats du CHSCT, ce qui facilitait ses actions. Si le CSE peut agir en justice, il devra financer les frais d’avocats sur son budget de fonctionnement.

Le rapport veut aller plus loin en dépénalisant de fait les infractions au non-respect des textes dits techniques de la partie 4 du code du travail. Cette analyse ressort clairement des propos du rapport. Outre le fait d’un « contrôle bienveillant de la part de l’inspection du travail », le rapport parle uniquement du « recours à des sanctions administratives fléchées sur des thèmes prioritaires » (p. 91). Ainsi, il ne s’agit pas seulement de dépénaliser les infractions en matière de santé-sécurité mais aussi de limiter les sanctions administratives aux « thèmes prioritaires » décidé par le Ministère en lien avec les « partenaires sociaux », c’est-à-dire in-fine avec le patronat.

Les sanctions administratives existent déjà pour certaines infractions en matière de santé-sécurité sous forme de sanction financière. Notre syndicat est opposé à ce type de mesures car si les inspecteurs et contrôleurs du travail garde encore leur indépendance en vertu de la convention 81 de l’OIT, cela n’est pas le cas des DIRECCTE qui décident du montant des sanctions et qui sont en pratique sous la tutelle des préfets de région notamment via les politiques de l’emploi. La récente loi ESSOC vient d’autoriser ces mêmes DIRECCTE à prononcer un avertissement en lieu et place d’une amende administrative alors même que, la plupart du temps, les agent·e·s de contrôle ont déjà effectué un ou plusieurs rappel à la loi avant de décider de transmettre un rapport au DIRECCTE. Etendre le champ des sanctions administratives n’est pas la solution aux difficultés réelles rencontrées au niveau des procédures pénales.

Concernant la bienveillance de l’inspection, on notera tout d’abord que les rapporteurs ont une piètre connaissance de l’inspection du travail pensant sans doute qu’elle verbalise à tout va les employeurs au moindre écart. La réalité est toute autre. Selon le rapport du Ministère du travail (rapport au BIT 2015 [4]), les inspecteurs et contrôleurs du travail ont fait 318 200 observations en matière de santé au travail en 2015, c’est-à-dire le constat d’une situation d’infraction dont l’inspection demande la régularisation. Cette même année, seules 4 690 situations d’infraction étaient relevées par voie de procès-verbal soit moins de 1,5% des infractions constatées. Par ailleurs, seules deux procédures de référé civil ont été engagées pour tenter d’obtenir du juge des référés la mise en œuvre de mesures de prévention sous astreinte financière. On est donc très loin d’une inspection du travail qui dresse PV à tout va !

Par ailleurs, il faut noter que près des deux tiers des procédures pénales dressées par l’inspection par l’inspection du travail sont classés sans suite par les parquets, c’est-à-dire l’absence de poursuite contre les employeurs délinquants. Outre les problèmes de moyens humains du ministère de la justice, on constate qu’il s’agit surtout de la mise en œuvre d’une politique pénale très conciliante avec les employeurs, avec la délinquance en col blanc. Y compris en cas d’accident grave ou mortel où la faute de l’employeur est démontrée, les condamnations sont dérisoires et donc non dissuasives. A titre d’exemple récent, le groupe Bolloré vient d’être condamné à 5000 € d’amende pour un accident mortel du travail (chute d’un salarié d’un portique de manutention) alors que sa faute est établie (absence de plan de prévention).

Ces constats de terrain confirment tout ce que la CGT a déjà écrit sur le scandale de l’absence de procès pénal de l’amiante, absence de procès qui ne résulte pas d’un problème juridique mais bien d’une volonté politique de protéger les tueurs.

Le fondement du rapport Lecocq repose sur l’idée que le risque de sanction nuit à la confiance et par conséquent à l’adoption de mesures de prévention. Bien évidemment, les rapporteurs ne justifient aucunement les bases de leur analyse qui est à l’opposé de la politique du gouvernement en matière de sécurité routière. Force est de constater que l’augmentation des moyens de contrôle, couplée à l’augmentation des sanctions (retrait de points et amende), a eu des effets importants sur la vitesse. Ainsi l’observatoire de la sécurité routière enregistre une baisse de la vitesse sur autoroute de 127 km/h en moyenne en 2000 à 113km/h pour 2011, une tendance identique est observée pour les routes nationales et les agglomérations.

Nous sommes convaincus que l’augmentation des moyens humains de l’inspection du travail, associée à la poursuite systématiques des procédures par les parquets et à l’augmentation des peines pénales en cas d’infraction, aurait des résultats significatifs.

L’absence de sanction pénale sur le non-respect des principes généraux de prévention constitue un problème majeur notamment en termes de risques psychosociaux, où la seule sanction mobilisable est l’insuffisance d’évaluation des risques, soit une amende de 4ème classe d’un montant maximum de 750 €.

L’un des arguments à opposer aux conclusions de la mission Lecocq concerne l’état des conditions de travail dans la fonction publique. En effet, la quasi-totalité de la partie 4 du code du travail s’applique aux agents des trois fonctions publiques et notamment les principes généraux de prévention et l’ensemble des textes techniques (locaux de travail, machine, risques électriques, chimiques, intervention entreprise extérieures…). Les différences de réglementation concernent principalement les CHSCT et le système de médecine de prévention. Or à la différence du secteur privé, il n’existe pas l’équivalent d’une inspection du travail pouvant relever les infractions à l’encontre des chefs de services. Ainsi les Inspecteurs Santé Sécurité au Travail (article 5 du décret 82-453 pour la fonction publique d’Etat) et leurs équivalents pour la fonction publique territoriale n’ont aucun pouvoir contraignant vis-à-vis des administrations. Cependant, force de constater que leurs observations et conseils ne sont pas plus suivis par les administrations. C’est une nouvelle démonstration qu’une instance de conseil sans pouvoir coercitif n’obtient pas de meilleurs résultats en matière de prévention.

Les médecins du travail, qui n’ont pas les moyens de contraindre les employeurs sur quoi que ce soit pourront utilement témoigner que leurs conseils ne sont que très rarement mis en œuvre….

Remplacer les obligations du code du travail par des politiques concertées au niveau national et régional et des règles définies entreprise par entreprise

En l’état actuel du droit, les dispositions techniques du code du travail en matière de santé et de sécurité sont des dispositions dites d’ordre public, c’est-à-dire qu’il est impossible d’y déroger que cela soit par décision unilatérale de l’employeur, par accord avec les organisations syndicales ou par accord direct avec un ou plusieurs salariés.

Si certains textes techniques du code du travail méritent d’être renforcés, sur la protection contre le contre l’amiante ou les agents chimiques dangereux, sur les postures de travail pathogènes, sur la nécessité d’interdire la sous-traitance et l’intérim pour certains travaux dangereux notamment, nous considérons que si les dispositions actuelles du code étaient appliquées, un pas immense serait fait en terme de prévention avec une baisse importante des AT-MP et des situations de souffrance au travail.

Mais la politique des différents gouvernements passés comme présents n’est pas de tenter de faire appliquer le code du travail dans toutes ces dispositions mais de se concerter avec les « partenaires sociaux » afin de dégager un consensus sur les priorités, c’est-à-dire en pratique un accord avec les représentants du patronat. La CGT ne peut pas se satisfaire de cette pseudo-gouvernance tripartite qui débouche au niveau national sur le plan national santé travail. Dans un monde capitaliste de plus en plus violent, où la répartition des richesses produites se fait de plus en plus au profit des plus riches, où tout est fait pour en finir avec les systèmes de protection collective des travailleurs issus de 1945, il est illusoire de considérer que nous pourrions trouver un accord avec le patronat et le gouvernement en matière de politique de prévention des risques professionnels.

La CGT continuera à être présente à tous les niveaux (COCT, CROCT, CAT MP, CTN – CTR, SSTIE….) pour témoigner des situations réelles subies au quotidien par les travailleurs, pour laisser des traces écrites et porter des revendications concrètes en terme de mesures de prévention à mettre en œuvre.

Au-delà, nous devons nous interroger sur le fait de savoir si le champ de la santé au travail est un champ de négociation comme un autre ! Nous devons étudier notre histoire commune, voir comment le patronat a utilisé la négociation d’entreprise pour indemniser les risques du travail (prime de nuit, de douche, de sous-sol, de salissures, de travail en hauteur…) plutôt que de mettre en place des mesures de prévention du risque !

Les quelques accords de branche sur la santé au travail existants peinent à démontrer une efficacité réelle sur les réalités du travail des salariés. Les accords conclus en matière de lutte contre les RPS sont la plupart du temps des déclarations d’intention ou des engagements formels. Les accords sur la pénibilité au travail sont portés non par la volonté de faire disparaître la pénibilité mais par l’aménagement des conditions de départ des salariés les plus âgés. Il existe encore certains accords d’entreprise ou de branche de vieille souche qui assortissent l’exposition aux risques à la perception de primes ou d’avantages. D’autres accords construisent dans l’entreprise des réseaux parallèles aux instances de représentation de délégués d’ateliers chargés de la sécurité. Aucun de ces dispositifs ne permet d’améliorer la santé et la sécurité des travailleurs et de supprimer (ou même) réduire les risques à la source. Tous cependant aujourd’hui ne peuvent qu’améliorer les dispositions légales et réglementaires existantes.

Si, dans le cadre d’un cadre règlementaire contraint protecteur, les accords n’ont pas pu mettre en place des dispositions permettant de combattre les risques à la source et d’améliorer les conditions de vie et de santé au travail des travailleurs, qu’en sera-t-il lorsque les obligations de l’employeur seront allégées ou reposeront sur les seules logiques de performance interne, et que l’inversion de la hiérarchie des normes sera élargie au champ de la santé sécurité ?

Au sens du rapport Lecocq, la performance globale est d’abord une logique de santé publique. L’entreprise en adoptant une logique de performance globale contribue à la veille sur la santé publique. Or, si la santé au travail contribue à la santé publique, elle n’est pas réductible à la logique de santé publique ou plus précisément, certaines orientations en matière de santé publique peuvent cacher de graves manquements en matière de prise en compte de la santé au travail (exemple : production dans un délai court de vaccins et recours intensifs aux heures supplémentaires et aux charges mentales créées par le juste à temps) [5].

Vers la suppression de l’obligation de sécurité de résultat

Le rapport propose une nouvelle définition de l’obligation de sécurité de l’employeur. Il s’agit de promouvoir une obligation de prévention. On ne parle plus d’obligation de sécurité de résultat dont le rapport indique qu’elle « décourage la prévention » – p.65. Il s’agit d’en finir avec la jurisprudence de 2002, favorable à l’indemnisation des salariés en matière de faute inexcusable, initialement pour les maladies professionnelles liées à l’amiante et élargie depuis.

C’est toute la construction philosophique autour de la prévention des risques qui est mise en cause.

Il s’agit d’articuler politique de santé au travail et politique de santé publique, d’adapter les contraintes réglementaires et de contractualiser la prévention.

L’ensemble de la règlementation en matière de santé et sécurité pourrait alors connaître des modifications importantes :

  • comme pour les textes en matière de durée du travail, les règles de prévention prévues par les décrets seraient supplétives lorsque l’entreprise a adopté des dispositions de prévention qui répondent au même objectif que la réglementation sans en suivre les modalités concrètes.
  • le rapport préconise de simplifier, d’abandonner un certain nombre d’obligations formelles (recommandation 14), d’adapter les contraintes réglementaires aux entreprises en fonction de leurs spécificités et des risques effectivement rencontrés par les salariés.
  • le rapport préconise de supprimer la contrainte du formalisme du document unique d’évaluation des risques au profit d’un plan d’action de branche ou par entreprise ciblé sur les populations les plus exposées aux principaux risques de leur profession, assorti d’indicateurs de progrès.

Les orientations sont clairement néo-libérales. En positionnant la prévention en santé-sécurité dans un scénario de performance globale de l’entreprise couplé à des exigences de santé publique, on déplace la logique de construction de la prévention au service de la protection des travailleurs vers l’obligation de participer à la construction du bien-être pour tous (sociétal et environnement). Il s’agit de faire comme si chercher à produire mieux en rejetant moins de polluants par exemple permettait de protéger la santé des travailleurs. Sans entrer dans les conséquences macro-économiques de cette logique (par exemple l’externalisation du traitement des déchets dans les pays en voie de développement), on soulignera qu’au niveau de l’entreprise être performant, c’est d’abord produire plus vite et avec moins de charges (salariales notamment) – ce qui à priori ne constitue pas un axe de progrès pour la santé au travail. Dans cette approche, le travailleur constitue une variable d’ajustement – le facteur travail, comme les autres facteurs, doit être adapté à l’objectif de performance globale [6].

Par ailleurs, dans cette logique, le travailleur n’est plus considéré comme étant placé en situation de subordination mais acteur de la prévention (p. 44) et dont potentiellement responsable des situations accidentogènes et de sa propre santé (le rapport parle ainsi de comportements individuels à risques (p. 76).

Lors des assises de l’inspection du travail de novembre 2012, notre syndicat écrivait que « l’instruction DGT du 12 mars 2010 sur l’exercice des fonctions hiérarchiques au sein du système d’inspection du travail souligne : « l’ambition que porte la DIRECCTE d’un service global aux entreprises et à l’économie régionale valorisant la complémentarité et l’interaction des missions de chacun des pôles et imposant la politique travail (…) comme un des axes d’intervention en faveur de la compétitivité et du développement des entreprises ».

Et concluait que : « Le contrôle devient alors un instrument au service du respect des règles de concurrence entre les entreprises mais qui ne doit pas entraver le développement économique. Il y a donc un déplacement du sens de l’intervention de l’inspection du travail au service de la protection des salariés et de la promotion des droits individuels et collectifs dans l’entreprise, vers une négociation de la norme sociale dans l’entreprise pour assurer sa compétitivité. »

C’est exactement cette logique qui est en œuvre dans les propositions du rapport Lecocq.

Une volonté d’assouplir la réglementation

Sans surprise, le rapport propose de « revisiter, en coopération avec les partenaires sociaux, la réglementation pour la faire évoluer vers une simplification » (Recommandation 14, p. 140).

Cette même recommandation inclut le fait de « rendre les décrets applicables à titre supplétif lorsque l’entreprise adopte des dispositions de prévention qui répondent au même objectif que la réglementation sans en suivre les modalités d’application concrètes ».

Il ne s’agit pas de propositions qui pourraient apparaître comme simplement d’ordre technique mais ni plus ni moins que d’étendre la logique d’inversion de la hiérarchie des normes de la loi El Khomri et des ordonnances Macron au champ de la santé au travail, c’est-à-dire de faire primer les dispositions prises par les employeurs sur les décrets. En pratique, le rapport ne détaille pas la forme que prendrait ce dispositif mais tout laisse à penser qu’on parle ici de décisions unilatérales de l’employeur éventuellement soumises pour avis non contraignant au CSE.

Le dispositif dépénalise de fait les manquements de l’employeur à ses propres engagements compte tenu de l’impossibilité de verbaliser pénalement sur les non respects des accords collectif ou engagements unilatéraux. Au-delà, les employeurs vont mettre des pressions terribles sur les membres du CSE pour que ceux-ci acceptent des procédures de travail moins protectrices avec les éternels chantages à l’emploi (sous- traitance, externalisation…) de la même manière que ce qui se passe actuellement en matière de durée du travail.

Le rapport recommande aussi d’assouplir la réglementation concernant l’évaluation des risques. S’il faut rester critique sur le décret de 2001 instaurant le document unique (en ce qu’il été accompagné d’un discours politique sur le fait que l’important était d’évaluer et non plus de supprimer les risques à la source, affaiblissant d’une certaine manière les principes généraux de prévention), il faut comprendre pourquoi les employeurs souhaitent le supprimer ! Il ressort de nombreuses décisions judiciaires au pénal comme au TASS que le DUER est à double tranchant, les juges reprochant aux employeurs soit d’avoir omis d’évaluer un risque qui a été source d’un accident ou alors de n’avoir pas pris les mesures de prévention suffisantes alors que le risque était parfaitement identifié. Bref, les employeurs sont perdants à tous les coups.

Le rapport propose « dans un souci d’efficacité et d’effectivité, de desserrer la contrainte du formalisme du document unique exhaustif d’évaluation des risques au profit d’un plan d’action de branche ou par entreprise ciblé sur les populations les plus exposées aux principaux risques de leur profession, assorti d’indicateurs de progrès aisément vérifiables. »

Dès lors qu’on passe d’une obligation reposant actuellement sur l’employeur à un plan d’action de branche, cela va rendre plus difficile la mise en cause de l’employeur en cas d’accident ou de maladie professionnelle. Même dans le cas d’un plan d’action par entreprise, l’employeur pourrait être tenté de défendre sa non-responsabilité arguant du fait que le plan d’action a été co-construit avec la structure régionale santé travail en tant qu’instance unique de conseil.

Dans la même logique, le rapport propose de « supprimer la fiche d’entreprise du médecin du travail », qui constitue le seul document, hormis le courrier d’alerte, dans lequel le médecin du travail peut laisser des traces sur les risques et ses préconisations pour les éviter.

Par ailleurs, en proposant de « revisiter, en coopération avec les partenaires sociaux, la réglementation pour la faire évoluer vers une simplification », on peut s’attendre à de nombreux mauvais coups dont il est impossible de faire la liste à ce jour.

Le rapport donne quand même quelques exemples de simplification comme le « nombre important des obligations spécifiques de formation qui grèvent le budget potentiellement consenti par l’entreprise en matière de prévention sans que le caractère approprié de la juxtaposition de ces formations et leur adaptation aux risques effectivement encourus soit toujours avéré » (p. 35).

Pour notre part, nous constatons que les intérimaires ne bénéficient pratiquement jamais de la formation renforcée à la sécurité lorsqu’ils sont affectés sur des postes à risques et que les « formations » au poste se limitent souvent à de l’information sur la manière de travailler non centrée sur les risques. Au contraire d’une simplification, il faudrait que le code exige la formalisation obligatoire des formations sécurité au poste de travail comprenant un programme de formation, une durée, les compétences du formateur, une validation des compétences acquises et la remise d’une attestation.

Autre exemple, pointé par la commission, la question de la co-activité, reprenant là une des marottes du patronat qui souhaite mettre fin aux dispositions du décret de 1992 sur les interventions des entreprises extérieures en ce qu’il engage la responsabilité des donneurs d’ordres en cas d’accident parmi les salariés des entreprises sous-traitantes. Ainsi derrière la simplification, il faut principalement entendre la protection des intérêts des donneurs d’ordre. Notons que l’idée de simplifier la réglementation sur les plans de prévention était déjà présente dans le plan national santé travail III (action 3.9).

Enfin le rapport fait état d’autres possibilités telles qu’une réglementation différente selon la taille de l’entreprise. Un tel scénario avec des règles plus souples pour les petites entreprises aurait pour effet de multiplier la sous-traitance ou les scissions-filialisations d’entreprises existantes afin de faire réaliser les travaux par des entreprises sous le seuil d’effectif. L’autre piste concerne une réglementation par secteur. Nous avons suffisamment d’exemples d’accident du travail des salariés de la branche du nettoyage dans des entreprises du pétrole ou du nucléaire pour argumenter sur la débilité de cette option.

Vers un processus d’auto-certification remplaçant le contrôle par l’inspection du travail

Dans la logique développée par le rapport Lecocq, à terme, l’employeur qui aurait été certifié ISO 45 001 ou autre référentiel élaboré majoritairement par les employeurs, bénéficierait d’une présomption de respect les obligations légales et règlementaires.

Comme pour les normes en matière d’équipement de travail, l’auto-certification pourrait remplacer le contrôle de l’Etat.

Le rapport cite encore l’ancien Directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle : « L’Etat ne doit pas assurer les tâches opérationnelles de déploiement et de gestion des risques dont il n’a ni la vocation ni les moyens d’assurer directement la mise en œuvre. » (p. 88)

On note que dans la circulaire d’organisation des services de l’Etat du 24 juillet 2018, les contrôles dits « standardisés » pourraient être sous-traités au privé. Il y a vraisemblablement dans les intentions du gouvernement tous les contrôles du type « vérifications des obligations liées à la négociation collective tel l’égalité homme-femmes » mais dans l’hypothèse où la norme équivaut à l’obligation réglementaire, le contrôle peut comprendre une étape formelle assortie le cas échéant, d’amendes administratives (de régularisation).

Vers un « recentrage » de l’inspection du travail sur les seules missions contrôle en santé sécurité ?

Le scénario développé pour l’inspection du travail est le recentrage sur le respect de l’ordre public par la mise en place d’objectifs prioritaires déclinés par le plan santé travail [7].

Plan (R) Santé Travail (élément du plan de santé publique) –> objectifs prioritaires –> entreprises ciblées –> sanctions administratives assorties à l’obligation de mises en œuvre d’un plan d’action (et accompagnement des entreprises par des experts externes)

Mais surtout ce scénario décline une autre logique d’intervention pour les services de l’inspection du travail qui mine l’indépendance des agents mais aussi leur intervention au service des travailleurs, de leur protection et de la promotion des droits individuels et collectifs. Ce scénario nous le dénonçons depuis plusieurs années, il s’appuie sur les logiques développées par le plan Sapin de réforme des services et d’orientation de l’activité au service d’intérêts économiques. Sur ce point, nous reproduisons en annexe ce que notre syndicat écrivait lors des assises de l’inspection du travail de novembre 2012.

Les rapporteurs indiquent que l’inspection du travail « pourrait resserrer son champ d’intervention sur le respect de l’ordre public, en particulier dans le domaine de la santé au travail, à l’instar des systèmes d’inspection des pays d’Europe du Nord », « compte tenu d’effectifs limités » et du fait que « les règles sociales sont de plus en plus déterminées par la négociation. »

Recentrer l’inspection du travail sur le champ santé-sécurité n’est pas une idée nouvelle mais c’est surtout une mauvaise idée. L’histoire récente des gros accidents du travail ou des incidents ayant pu avoir des effets dévastateurs sur la santé au travail démontre que dans la quasi-totalité des cas, il ne s’agit pas de problèmes exclusivement techniques mais que les accidents trouvent leurs causes dans les choix d’organisation du travail par l’employeur.

Ce n’est pas un hasard si les salariés de la sous-traitance et parmi eux les travailleurs précaires sont plus victimes d’accidents puisque le recours à la sous-traitance des activités à risques s’est intensifié ces dernières années en retenant les offres commerciales les moins-disantes.

De la même manière, il y a un lien entre accidents du travail et durée du travail, et entre risques professionnels et organisation du travail. C’est la raison pour laquelle nous défendons le maintien d’une inspection du travail généraliste qui intègre les questions de santé au travail en lien avec la question des droits collectifs et individuels.

Vouloir recentrer l’inspection du travail sur les seules missions de contrôle vise aussi à participer à couper le lien fort entre les agents de l’inspection du travail, les représentants du personnel et les salariés, lien qui se fonde notamment sur les activités de conseil aux salariés et aux représentants du personnel.

Les différentes réformes subies par l’inspection du travail ces dernières années vont dans ce sens avec un renforcement du pilotage par objectif de l’activité des agents. Cependant il est clair que pour la Ministre du travail et le Directeur général du travail (DGT), les services de l’inspection fonctionnent de manière trop indépendante sans être le doigt sur la couture du pantalon et que le projet d’une inspection du travail transformée en une « police du travail aux ordres » peut plaire.

Sur ce point, il est utile de noter que les dispositions de la convention 81 de l’OIT prévoient dans son article 3 que « le système d’inspection du travail » sera chargé :

a) d’assurer l’application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l’exercice de leur profession, telles que les dispositions relatives à la durée du travail, aux salaires, à la sécurité, à l’hygiène et au bien-être, à l’emploi des enfants et des adolescents, et à d’autres matières connexes, dans la mesure où les inspecteurs du travail sont chargés d’assurer l’application desdites dispositions

b) de fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d’observer les dispositions légales »

On voit donc que l’économie même du sens de l’intervention des agents de l’inspection du travail au service des travailleurs est en cause dans le projet défendu par le rapport Lecocq, mais également l’organisation elle-même des services de l’inspection du travail. On rappellera enfin que les effectifs du ministère du travail et des agents de contrôle affectés dans des sections d’inspection du travail généraliste et géographique sont constamment revus à la baisse depuis plusieurs années.

Sans analyser les conséquences dramatiques pour les autres services intervenant sur les questions de la prévention en santé au travail, notre syndicat pense que le projet soutenu par le rapport Lecocq, qui ne contient en fait qu’une déclinaison des orientations européennes en matière de santé et sécurité au travail [8], comporte des orientations graves :

  • pour la prévention de la santé au travail de tous les travailleurs sans distinction de branche, d’entreprise ou de statut
  • pour la prise en charge par l’employeur de ses responsabilités en matière de protection de la santé [9] et particulièrement en matière de réparation et de mutualisation du risque [10]
  • pour une inspection du travail généraliste et indépendante au service de la promotion des droits individuels et collectifs des travailleurs.

Quelle gouvernance pour la santé au travail ?

Pour motiver son projet de refonte globale de l’organisation des services intervenant en matière de santé au travail en région (inspection du travail – service prévention CARSAT – ARACT – OPPBTP – SSTIE), le rapport considère que le temps de coordination entre les différents acteurs est chronophage (conventions, CPOM, agréments, projet de service…)

Il nous semble que les difficultés éventuelles d’articulation ne sont pas suffisantes pour justifier d’une réforme qui s’avère être un véritable big-bang dont les objectifs réels sont moins d’améliorer la prévention primaire que de distendre les liens au niveau local et de renforcer la mainmise du patronat sur le système, appuyé par le gouvernement.

Sans défendre l’actuel système paritaire existant dans les CARSAT, ARACT et SSTIE qui s’apparente plus à des instances en pratique dirigées par le patronat, la mise en place d’une structure régionale unique tripartite, Etat via les DIRECCTE, patronat et OS va de fait renforcer la prédominance des patrons, l’Etat n’étant pas neutre dans son rôle de pilote.

Au-delà, il apparait que le rapport fait le choix de ne pas aborder la pertinence de certains dispositifs tel que les ARACT dont le retour des interventions en entreprises sont très critiqués par les représentants du personnel et dont les projets sont principalement axés sur un objectif de bonne santé financière des entreprises.

Nous défendons le fait que la gouvernance des différents organismes repose exclusivement par les représentants des travailleurs au motif que ce sont exclusivement les travailleurs qui sont victimes des mauvaises conditions de travail, ou le retour à la gestion ouvrière d’avant 1967.

En conclusion

Le rapport Lecocq va bien au-delà de la question de la structuration des organismes de prévention et comporte de nombreux dangers. Le SNTEFP CGT revendique :

  • abrogation des lois Rebsamen, EL Khomri et des ordonnances Macron
  • maintien des CHSCT avec un renforcement de leurs moyens en temps, en formation et de leurs prérogatives avec notamment un droit de veto sur les réorganisations pathogènes en l’absence d’analyse des risques par un professionnel qualifié et un droit d’arrêter les activités en cas de danger grave et imminent
  • interdiction de recourir à la sous-traitance pour les opérations exposant à un risque grave.
  • interdiction de licencier les salariés pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, avec maintien du salaire jusqu’au reclassement interne ou externe effectif.
  • poursuite systématique des procès-verbaux de l’inspection du travail en matière de santé et de sécurité au travail et l’instruction pénale de l’ensemble des plaintes des victimes
  • extension de la possibilité pour les agents de contrôle de l’inspection du travail d’arrêter tous  les travaux exposant des salariés à un risque grave
  • doublement des effectifs de contrôle de l’inspection du travail en maintenant des sections généralistes, le renforcement des moyens humains des services de prévention des CARSAT et de l’INRS
  • renforcement des effectifs et de l’indépendance des médecins du travail
  • formation et recrutement de médecins du travail afin de rétablir les visites périodiques annuelles pour les postes de travail exposés à maladies professionnelles – Formation obligatoire des médecins généralistes sur le lien travail / santé, sur les tableaux de maladies professionnelles
  • rétablissement des fiches et attestations individuels d’exposition et extension à tous les facteurs de risques
  • rétablissement des fiches et des attestations d’exposition aux agents CMR et aux agents chimiques dangereux
  • réparation intégrale des accidents du travail
  • mise en place de tableaux pour les pathologies liées aux risques psychosociaux et aux poly-expositions à des agents chimiques dangereux – CMR
  • renversement de la charge de la preuve pour les procédures de reconnaissance hors tableau devant le CRRMP car le salarié victime n’a souvent aucun moyen de rapporter la preuve des expositions lorsque l’employeur n’a pas respecté ses obligations de traçabilité ou d’inscription des risques précisément dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER)
  • remplacement des valeurs-limites d’exposition par une obligation pour l’employeur de démontrer qu’il met en œuvre les moyens techniques et organisationnels permettant d’atteindre le niveau d’exposition le plus bas possible
  • suppression de la possibilité pour l’employeur de ne pas appliquer la totalité des mesures de prévention du risque chimique par auto-évaluation, ce qui passe par la suppression des articles R.4412-12 et R.4412-13 du code du travail
  • modification de la réglementation pour les chantiers amiante afin d’imposer la mise en œuvre des mesures de protection les plus protectrices, la comptabilisation des fibres fines et courtes d’amiante sur les chantiers et, en cas de suspicion d’exposition passive, la reconnaissance dans la réglementation du test « lingettes » comme mesure de détection de la présence de fibres amiantées.
  • rétablissement effectif de l’obligation pour les employeurs de déclarer périodiquement les procédés et postes de travail exposant au risque de maladies professionnelles prévue à l’article L461-4 du code de la sécurité sociale, accompagnée de sanctions dissuasives telles que le doublement des cotisations AT/MP en cas de non-respect
  • extension de l’obligation de rédaction de notices de poste prévue à l’article R.4412-39 du code du travail à l’ensemble des situations de travail exposant à un risque de maladies professionnelles.
  • formalisation obligatoire des formations sécurité au poste de travail comprenant un programme de formation, une durée, les compétences du formateur, une validation des compétences acquises et la remise d’une attestation.
  • obligation précise d’analyse des risques de poly-expositions aux agents chimiques dangereux et aux agents CMR reposant sur des études ergo-toxicologiques
  • obligation précise d’analyse des risques organisationnels du travail (risques psychosociaux) par l’intégration des 6 facteurs de risques du rapport Gollac
  • adoption d’un texte de sanction répressive sur le non-respect des principes généraux de prévention.
  • suppression de la compétence disciplinaire du conseil de l’ordre des médecins pour les médecins du travail.

[1] Pour plus de détail sur notre analyse des attaques gouvernementales en matière de santé au travail, on peut se référer à la contribution de notre syndicat pour la commission d’enquête parlementaire sur les maladies professionnelles.

[2] Pour les services renseignements, les circulaires d’organisation indiquent très clairement le transfert de certaines demandes vers des partenaires extérieurs – on image facilement une boite téléphonique qui indique « pour une question en santé sécurité appelez la structure régionale ad-hoc ».

[3] La primo-demande n’arrive plus directement à l’agent de contrôle mais dans l’UC qui réoriente.

[4] https://travail-emploi.gouv.fr/ministere/documentation-et-publications-officielles/rapports/article/rapports-l-inspection-du-travail-en-france

[5] En pages 69-70 du rapport, une illustration de cette analyse. En effet, le rapport vante les mérites du rapport de la DARES sur les risques psychosociaux qui fait état d’une stabilisation des contraintes de rythme de travail, d’une baisse des contraintes psychosociales et un recul des comportements hostiles. Les constats des agents de contrôle de l’inspection du travail souligneraient au contraire l’aggravation de ces points. Le rapport indique : « En approchant pour la première fois la notion de bien-être psychologique, elle (l’enquête) s’intéresse non plus seulement aux déterminant pouvant être associés à une dégradation des conditions de travail mais aussi à ceux qui font manifestement ressource et produisent de la satisfaction. ».   En 2018, le programme d’action de la DARES prévoit la description du lien entre prévention et performance des entreprises.

[6] Le lean management qui fait des ravages dans les entreprises en matière de santé au travail est d’ailleurs construit sur ces principes

[7] On note que la DGT s’engage déjà dans des actions de cette nature (sans que pour l’instant) ces orientations soient reprises et partagées par les agents de contrôle.  A l’échelon européen, le « Comité des hauts responsables de l’inspection du travail » a lancé le 20 septembre 2017 une campagne sur la santé et la sécurité des salariés intérimaires et des travailleurs transfrontaliers. A ce titre, la DGT a demandé aux DIRECCTE de se mobiliser afin de veiller au respect des obligations en matière de santé et de sécurité des salariés intérimaires. Sur la base d’une grille de contrôle, élaborée par la DGT, pour l’ensemble des inspections du travail, des opérations de contrôles auraient dû être menées, jusqu’en octobre 2018, dans les agences d’emploi et dans les EU relevant notamment des secteurs suivants : construction, agriculture, formation générale en santé/sécurité, notamment la formation sur les risques particuliers sur le lieu de travail.

[8] Se reporter aux communications de la Commission au parlement européen, au conseil économique et social européen et au comité des régions relatives à un cadre stratégique de l’Union européenne en matière de santé et de sécurité au travail (2014-2020) des 6 juin 2014 et 10 janvier 2017.

[9] Rappelons que le lien entre politique pénale et protection de la santé n’est plus à démontrer. C’est la mise en cause pénale des employeurs qui a permis d’élever la lutte contre les RPS à un véritable enjeu de santé au travail ; ce sont les poursuites judiciaires qui ont permis de soulever le scandale de l’amiante.

[10] On pourrait évoquer ici toutes les stratégies patronales déjà en œuvre pour dissimuler les accidents du travail et en diminuer le coût.


Annexe : extrait de la contribution du SNTEFP-CGT aux assises de l’inspection du travail de novembre 2012

II – Cette logique d’intervention de l’inspection du travail au service des salariés, de leur protection et de la promotion des droits individuels et collectifs des salariés dans les entreprises est profondément menacée et mise en cause par la politique d’organisation des services menée par le gouvernement et son bras séculier la DGT :

  • déterritorialisation et spécialisation : la redéfinition du périmètre des sections d’inspection, la création de sections spécialisées ou dites « à dominante » [grande distribution, sièges sociaux, bâtiment, chimie, travail illégal…..] remet en cause à la fois le caractère généraliste de l’Inspection du Travail [alors que nous considérons que seule une intervention sur l’ensemble des champs du droit du travail permet d’assurer la protection des salariés : les liens entre sécurité, précarité et durée du travail par exemple ne sont plus à démontrer] mais également l’indépendance de l’inspection : on note par exemple, que dans le secteur chimie, l’inspecteur devrait participer aux commissions locales de sécurité [organismes regroupant l’administration, les partenaires sociaux, les élus locaux…] ; on note également que ces organisations favorisent le développement des actions conjointes avec d’autres services de l’état qui ne partagent pas les mêmes objectifs [concurrence, URSSAFF, ASN…] ainsi que l’exécution de plans d’action prioritaires.Comme pour les sections dites travail illégal, il y a un effet d’instrumentalisation de l’inspection du travail à des fins politiques qui ne vont pas toujours dans le sens de la protection des travailleurs et de la promotion de leurs droits ;
  • caporalisation : dans le même temps, la définition et la mise en application d’orientations de l’action des services travail en relation avec des orientations de politique générale organisent la mise au pas de l’inspection du travail ;
  • mise en place de plans d’action des services ;
  • mise en place de contrôles programmés dans des champs dits prioritaires définis nationalement et déclinés régionalement et localement ;
  • fixation d’objectifs chiffrés par agent en nombre de contrôles et d’interventions ;
  • fixation de contrainte d’organisation (3 jours par semaine en extérieur pour un contrôleur) ;
  • exigence accrue de rendu statistique de l’activité [un contrôle, une barre quelle que soit la complexité de la situation contrôlée ; mais aussi, mise en place de lettre type, de canevas de lecture d’analyse des contrôles….].

Cette politique contient en germe les conséquences suivantes :

  • des champs entiers du droit du travail pourraient être abandonnés – tout ce qui n’entre pas dans les objectifs politiquement définis – tout ce qui est compliqué ou consommateur de temps [discrimination, précarité, harcèlement, sous-traitance en cascade, marchandage…]. A terme, ce sont également les connaissances professionnelles des agents qui s’étioleront ainsi que leur regard critique sur le monde du travail et donc leurs capacités à intervenir pour faire progresser les droits des salariés ;
  • seules les petites et toutes petites entreprises seraient poursuivies : celles qui par leurs pratiques anticoncurrentielles auxquelles les contraignent les donneurs d’ordre seront visées par les orientations politiques ; plus vulnérables car ne disposant pas de service juridique ; plus aisément contrôlables (moins de salariés, moins de vérifications et de recherches) ;
  • cela entraine de fait le maintien d’un statut quo entre entreprises donneuses d’ordre [exploiteur] et sous traitantes [exploités], sans faire progresser les droits des salariés des entreprises sous traitantes ;
  • abandon du traitement des demandes des salariés et celles des représentants du personnel qui ne rentrent pas dans le cadre des objectifs définis ;
  • il s’agit de « normaliser » l’action (qui aura été préalablement négociée dans le cadre du Plan Santé Travail, des chartes signées avec les organismes patronaux, des comités régionaux de prévention, des opérations de coordination… et fait l’objet d’actions de communication) afin que l’inspection ne soit plus qu’un régulateur de la concurrence ;
  • enfin la prime en fonction des résultats (PFR) met en concurrence les agents, renforçant la mise en œuvre de cette politique et créé des ruptures d’égalités entre agents (pour un même poste, la cotation de calcul des primes peut être différente).
  • coupure du lien avec l’usager :l’organisation des actions collectives de contrôle par la hiérarchie, l’obligation d’effectuer des contrôles dits prioritaires apparaît comme l’expression d’une volonté que l’action collective organisée et encadrée dans son contenu et dans le temps de l’action prenne le pas sur les autres modes d’intervention.

Cette stratégie d’organisation de l’action des services nie la réalité du terrain même. Procéder par action collective, préorientée et présensée, ciblée sur un point particulier, c’est en effet agir comme si toutes les entreprises et les situations étaient toutes identiques entres elles, indépendamment des conditions socio-économiques qu’elles connaissent et de leur histoire ; c’est surtout aux yeux des agents faire du contrôle pour du contrôle (ou des statistiques) et peut-être passer à côté de la bonne question. Nombre d’agents considère qu’il ne s’agit pas de travail bien fait.

Enfin, cette organisation de l’activité a comme conséquence de techniciser (au sens de l’usage de la technique coupé de l’humain) l’intervention des services et d’éloigner les agents des salariés usagers. Ceci apparaît d’ailleurs aux yeux des organisations syndicales comme le véritable enjeu des réorganisations.

Il ressort en effet de plusieurs textes encadrant les orientations stratégiques des services que la section d’inspection doit se désengager du traitement direct de la demande individuelle qui doit être transférée à d’autres acteurs (rapport Chaze 2001, ligne hiérarchique de l’inspection du travail 2010, avis commission affaires sociales sur le projet de loi de finances 2012 rapport VERCAMER ).

Or, le traitement de la demande des salariés est un élément fort de cohérence de l’activité des agents de contrôle et du sentiment de leur utilité sociale.

De fait, si les agents de contrôle de l’inspection du travail ne reçoivent plus les salariés, ils n’investiront plus le champ du réel des entreprises et le contenu de leur action en sera modifié en profondeur. C’est d’ailleurs tout le système d’inspection actuel centré sur la protection des salariés qui serait remis en cause.

L’inspection du travail française est, en effet, l’une des seules inspection du travail en Europe a avoir un contact direct avec les salariés. Cette relation est d’autant plus à privilégier qu’elle constitue une source inépuisable de renseignements sur le monde du travail, qu’elle permet d’éviter à tout moment de tomber dans le juridisme ou la technicisme, qu’elle permet de savoir ce qui est caché, de connaître et de parler autrement que dans la relation policée avec le DRH ou la relation de référent avec les IRP. L’Inspection doit demeurer, comme elle l’est parfois, le dernier recours pour le salarié contre l’arbitraire patronal. Combien de contentieux prud’homaux évités, combien de salariés réintégrés, combien de paroles entendues qui ont pu générer des actions, faire progresser les conditions de travail et la connaissance du monde du travail ? L’abandon du traitement individuel des plaintes, c’est la fin de l’émergence de questions comme le harcèlement moral ou la discrimination parce que se perdront des lieux de parole « autorisés ».

On notera que la remise en cause des services de renseignement de proximité (physique et téléphonique), comme la suppression des accueils et des effectifs de secrétariat, participent exactement de la même logique d’éloignement des services de l’inspection du travail par rapport aux usagers. »