Plateformes : le gouvernement institutionnalise le travail dissimulé !

Malgré plusieurs décisions de justice depuis 2016 qui vont toutes dans le sens de la reconnaissance du statut de salarié pour les travailleur.euses des plateformes, le gouvernement français s’obstine à refuser de reconnaitre l’évidence : le statut de travailleur indépendant est un statut fictif et son maintien ne vise qu’à fragiliser un peu plus le salariat en s’attaquant aux plus précaires d’entre nous.

En effet, dans deux arrêts “Take Eat Easy” du 28 novembre 2018, et “Uber” du 4 mars 2020, la Cour de Cassation, en partant de la définition de la relation salariée, avait requalifié des contrats commerciaux de livreurs et chauffeurs en contrats de travail, selon la théorie des « faux indépendants » ouvrant la voie à une possible régularisation globale dans le secteur!

Le jugement du tribunal correctionnel de Paris sur DELIVEROO intervenu le 19 avril 2022 est la suite logique de ces arrêts: lorsque l’on constate de multiples situations de liens de subordination, on peut considérer que la société a eu l’intention de « dissimuler des salariés » pour éviter l’application des règles du Code du travail et de la sécurité sociale! C’est ce qui a été retenu en l’espèce, suite notamment à une enquête de l’Inspection du travail, en considération de la tarification à l’heure, du port de la marque sur les tenues, du pouvoir de direction sur les zones à livrer, du pouvoir de surveillance et de contrôle des durées de travail et des prestations, des primes sur performance et des sanctions sur les horaires de travail attribués etc… Une amende de 370 000€ (maximum) a été prononcée et deux dirigeants ont été condamnés à 12 mois de prison avec sursis. L’URSSAF a pu demander un redressement de 6 431 276€ et les salariés ont pu être dédommagés. « Le tribunal observe que la question n’est pas celle de savoir si le statut de travailleur indépendant est, ou pas, un statut juridique satisfaisant, mais de constater qu’en l’espèce il s’est agi pour Deliveroo d’un habillage juridique fictif ne correspondant pas à la réalité de l’exercice professionnel des livreurs », a expliqué la présidente du tribunal en rendant sa décision.

 Mais notre ministère se garde bien de communiquer sur le sujet car il n’a eu de cesse, depuis l’essor de ces activités, de tout faire pour éviter les requalifications des contrats de travail en vue  de protéger les délinquants en col blanc, brisant tous les efforts accomplis par l’administration et la justice pour faire reconnaître des situations de salariat déguisés.

La CGT TEFP, solidaire de tous les travailleur.euses des plateformes, dénonce avec vigueur cette pseudo réglementation à la française (création d’une « responsabilité sociale des plateformes » avec la loi Travail en 2016 complétée par la création d’un semblant de dialogue social en 2021-2022) adoptée sous la pression du patronat pour « limiter les risques de requalification ».  Au cours du procès, les dirigeants de DELIVEROO n’ont d’ailleurs eu de cesse de se vanter de leur participation, aux côtés du gouvernement, à l’élaboration de ces législations particulières ! Ces textes vont à l’encontre des principes de lutte contre le travail illégal pourtant affichés comme priorités par le ministère du travail car le gouvernement et le patronat tiennent à tout prix à institutionnaliser un STATUT TIERS, entre indépendant et salarié.

Les élections des représentants des plateformes qui ont eu lieu au mois de mai sont à ce sujet d’une ironie particulière : il n’y a même pas eu 3000 votants pour plus de 120 000 inscrits, ces élections sont un fiasco total et une hypocrisie. Intéressant aussi de voir qu’une fausse protection de salarié protégé est créée mais que c’est le directeur général de l’ARPE, un énarque ancien DRH des ministères sociaux, qui devra mener les enquêtes contradictoires et prendre les décisions d’autorisation de rupture des contrats commerciaux ! Le gouvernement fait vraiment tout pour ne pas leur donner les mêmes droits que les autres travailleurs…

Il est aujourd’hui urgent de prendre le chemin inverse en termes de règlementation! C’est pourquoi la CGT TEFP propose d’instituer une obligation de salariat dans le secteur des plateformes !

A l’international, on suit déjà le chemin inverse : le Portugal et l’Espagne ont déjà créé une obligation de salariat, le Portugal au moment de l’embauche, pour l’Espagne, l’obligation existe au bout de 3 mois de relations entre le travailleur et la plateforme ! En Allemagne, pays libéral s’il en est, une présomption de salariat existe désormais, les travailleurs restent indépendants, mais au moins, en cas de procédure de justice pour requalification, il y a une présomption de salariat et c’est à l’employeur de prouver le contraire. Même le Parlement Européen et le ministre du travail allemand ont engagé la Commission a adopté une directive européenne pour établir cette présomption de salariat (inversion de la charge de la preuve) pour les travailleur.euses des plateformes. Plusieurs propositions de loi allant dans ce sens avaient déjà été déposées en 2020 en France mais toutes avaient été rejetées. Seule, la France persiste dans la logique d’une présomption de travail indépendant…

Or, les travailleurs des plateformes ne sont pas des jeunes auto-entrepreneurs dynamiques qui ont traversé la rue pour créer leur business et réussir. Ce sont la plupart du temps des salariés exploités et sans droits, souvent sans-papiers, sous la subordination totale de plateformes qui pratiquent du travail dissimulé.

Il s’agit du secteur où les employeurs peuvent le plus facilement recruter des salariés corvéables à merci, vis-à-vis desquels ils n’engageront jamais leur responsabilité, pour lesquels ils ne paieront pas de cotisations sociales, pour lesquels aucune règle protectrice du Code du travail ne s’applique.

Perte des avantages liés au chômage, à la retraite et à la complémentaire santé. Durées du travail à rallonge, accidents mortels du travail sur la route, travail de nuit, salaires de misère, violences externes multiples de la part des clients, attente, absence de missions et de rémunération… Nécessité donc d’être dans une disponibilité la plus totale ! Voilà la réalité…

Livreurs ou taxis, un schéma se répète, révélateur d’un racisme systémique profond : des salarié.e.s majoritairement racisé.e.s travaillent dans des conditions exécrables. Pour les salariés sans papiers, le parcours du combattant est semé de plus d’obstacles encore. Ils souffrent d’intermédiaires qui sous-louent leurs comptes sur les plateformes, ils survivent en faisant donc davantage d’heures. Et pour autant, aucune obligation pour l’employeur de demander des autorisations de travail. Les salariés n’ont pas de bulletins de salaire et ne peuvent donc se faire régulariser en préfecture, restant bloqués dans la précarité.

En parallèle, les bénéfices sont records pour les employeurs, les marges impressionnantes avec des coûts de production réduits au minimum, comme ces 3 Millions d’euros saisis sur un compte de DELIVEROO FRANCE pendant l’enquête pénale, correspondant uniquement à ces commissions de 30% que prenait la plateforme sur les transactions clients.

Nous revendiquons le droit de tous à un salaire et une protection sociale dans leur travail, et la généralisation du CDI. La pandémie de COVID-19 a rappelé la fragilité des statuts précaires, qu’ils soient auto-entrepreneurs, saisonniers, intérimaires, qui ont largement été mobilisés et ont largement payé les pots cassés de la crise.

tract plateformes juin 2022 vdef