Lubrizol : pointer les vraies responsabilités, pas question de faire porter le chapeau à l’inspection du travail

L’incendie de Lubrizol à Rouen est à peine éteint que déjà le gouvernement manœuvre pour dégager sa responsabilité de ce crime industriel et environnemental provoqué par la course au profit des industriels.

Ainsi la Direction générale du travail vient de demander que lui soit remontée une liste de tous les contrôles effectués sur des installations classées pour la protection de l’environnement. Quelle utilisation sera faite de ces remontées ?

Il a besoin, certes, de se justifier, tant aux yeux du gouvernement que de l’opinion publique, mais pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que le ministère les utilisera aussi pour pointer l’insuffisance de l’activité de l’inspection envers ces entreprises, voire carrément mettre individuellement en cause les agent-e-s. Un pas que le RUD par intérim de la Somme a franchi allègrement il y a Seveso mois, écrivant aux agent-e-s qu’ils seraient responsables en cas d’incident grave dans une entreprise Seveso n’ayant pas été contrôlée, quand bien même la section de l’entreprise en questions serait vacante (« La question de « l’injustice » d’un tel traitement alors que l’on fait l’intérim, n’est pas en soi opératoire » selon ce RUD) !

Ces mises en causes scandaleuses doivent cesser ! Les accidents comme ceux de Lubrizol ne surviennent pas à cause de la fainéantise des agent-e-s des corps de contrôle. Ils se produisent parce que les grands groupes capitalistes courent après les profits au mépris de la sécurité de leurs salarié-e-s et des populations, notamment en externalisant nombre d’opérations délicates. et les risques induits Ils se produisent parce que l’Etat a fait le choix politique de la défense des intérêts de ces grands groupes et a organisé sciemment sa propre impuissance, et ce au mépris des engagements pris après l’explosion d’AZF.

Nos organisations syndicales mettent en garde la DGT et le ministère : la solution à ces problèmes n’est pas la création d’énièmes sections ou unités de contrôle spécialisées qui équivaut à déshabiller certain-e-s salarié-e-s pour en couvrir d’autres !

Ainsi, en Seine-Maritime, le DIRECCTE et le RUD 76 passent en force, contre l’avis des agent-e-s, des organisations syndicales de la DIRECCTE et des organisations interprofessionnelles, pour mettre en place 3 sections spécialisées Seveso dans la même optique : couvrir la hiérarchie et renvoyer la responsabilité aux agent-e-s. C’est d’ailleurs sans respecter ses propres obligations réglementaires de consultation des instances que le DIRECCTE déroule son projet, alors même que le CHSCT a demandé une expertise, demande à laquelle le DIRECCTE n’a même pas daigné répondre.

En quoi des sections spécialisées Seveso pourraient pallier le manque global de moyens humains, à une réglementation insuffisante, voire à une véritable dérèglementation au détriment des salarié-e-s, et à l’absence de volonté politique du ministère de la justice de poursuivre la délinquance en col blanc ?

Quid en effet des pans entiers de secteurs qui seront de fait abandonnés au profit de cette politique d’affichage de sections spécialisées Seveso ? L’inspection du travail doit être au service de tou-te-s les travailleur-euse-s quel que soit leur secteur d’activité et on ne peut accepter de « sacrifier » certain-e-s travailleur-euse-s pour pouvoir satisfaire à la politique de com’ du ministère du Travail.

La solution n’est pas non plus dans une nouvelle injonction à multiplier les interventions avant la prochaine conférence de presse de la ministre, ce qui n’aboutirait qu’à gonfler des statistiques bidon, comme l’a récemment pointé un rapport du Sénat. La solution est au contraire dans le renforcement d’une inspection du travail réellement indépendante des pressions patronales et des lubies passagères du gouvernement et des préfectures.

Malheureusement le rapport Lecoq rendu en août 2018 et sur lequel le gouvernement doit s’appuyer pour une nouvelle réforme de la prise en charge des questions de santé au travail, va encore et toujours dans le sens d’une dérégulation de la santé au travail : promotion d’un contrôle « bienveillant » centré sur le conseil et non sur la sanction, disparition du DUER pour tout ou partie des entreprises, proposition de moduler les obligations en matière de santé et sécurité en fonction de la négociation et des effectifs de l’entreprise, etc.

Si l’Etat veut réellement prévenir les accidents industriels, au lieu de n’en parler qu’après chaque catastrophe, qu’il en donne les moyens à ses services, seule preuve d’une réelle priorité politique, par :

  • une réglementation à la hauteur des enjeux : stop à l’auto-évaluation des risques par les employeurs et les fabricants, exclusive de toute intervention régalienne, qui conduit à l’absence de contrôle systématique de la DREAL lors des demandes d’agrandissements ou d’adjonction d’activité des Installation classée pour la protection de l’environnement, ces autorisations étant laissées actuellement à la seule main des préfet-e-s ;
  • une interdiction de la sous-traitance incontrôlée qui augmente considérablement les risques sur les sites dangereux, comme le rapport de l’inspection du travail sur l’explosion AZF l’a mis en évidence ;
  • l’arrêt de l’augmentation des seuils pour les procédures ICPE. La création de réels pouvoirs d’analyses, des mesures conservatoires et des arrêts d’activité pour à la main des agent-e-s de contrôle en cas de doute sur la dangerosité d’un procédé, de plan de prévention insuffisant ou inexistant, un droit pour les agent-e-s de contrôle de contraindre à une expertise indépendante par un cabinet agréé ;
  • un plan massif de recrutement à l’inspection du travail ! A peine 1800 agent-e-s de contrôle sur le terrain en 2018, contre 2250 en 2010, alors même que la population salariée augmente et atteint près de 20 millions de salarié-e-s et que l’éclatement des entreprises en réseaux, filiales, sous-traitants,… continue ! Des effectifs qui fondent comme neige au soleil avec le projet d’un-e agent-e pour 10 000 salarié-e-s ! Et le ministère prévoit de supprimer encore 200 postes d’ici 2022 ;
  • une augmentation des effectifs de l’inspection des installations classées, qui continuent de baisser sur le moyen terme et le respect de son expertise, remise en cause par la préfectoralisation en cours (comme peut-être aussi demain au Travail). Pour 500 000 installations classées en France dont 1300 Seveso, seulement 1200 inspecteur-ice-s de la DREAL sont en charge de la protection de l’environnement;
  • une augmentation des moyens techniques et d’appuis aux agent-e-s : qu’on en juge, actuellement un seul ingénieur chimiste pour toute la région Normandie qui compte des centaines d’entreprises Seveso ; pas d’agents « appui ressources méthodes », mais des « responsables d’unité de contrôle » chargé-e-s uniquement d’encadrer et « piloter » les agents de terrain !
  • le rétablissement des CHSCT c’est-à-dire d’une instance de proximité entièrement dédiée aux questions de santé et de sécurité au sein des entreprises ;
  • la tolérance zéro pour la délinquance patronale en matière de santé et de sécurité au travail et d’environnement, et la poursuite systématique des procès-verbaux par les parquets ! Il y en a assez d’attendre qu’un-e salarié-e soit mort-e ou blessé-e pour que les employeurs aient à répondre de leurs décisions.

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