Loi et ordonnance Travailleurs des plateformes numériques :le gouvernement protège les délinquants en col blanc !

Le 21 avril 2021, une ordonnance est venue proposer des modalités de « représentation » et de « dialogue social » pour les travailleurs des plateformes. Un projet de loi, présenté au Conseil des Ministres le 13 juillet et discuté en séance publique de l’assemblée nationale les 28 et 29 septembre prépare la ratification de cette ordonnance mais aussi son amplification dans des textes à venir. Le syndicat CGT TEFP, attaché à la protection du statut des salarié.es, dénonce un ensemble d’opérations dont le but n’est ni plus ni moins que de légaliser un statut de tâcheron, donnant lieu régulièrement à des requalifications devant les tribunaux. Ce projet de loi apparait ainsi en totale contradiction avec le renvoi en mars 2022, devant le tribunal correctionnel, de Deliveroo et trois de ses anciens dirigeants pour travail dissimulé.

Selon le second article du projet de loi en discussion, le gouvernement sera autorisé à légiférer par voie d’ordonnance sur les modalités du « dialogue social » au sein des plateformes, de l’application « d’accords de plateformes » et « d’accords de secteur », les « modalités de représentation » des travailleur.ses des plateformes… Et il pourra également « compléter les obligations incombant aux plateformes […] à l’égard des travailleur.ses indépendant.es qui y recourent, afin de renforcer l’autonomie de ces dernier.es dans l’exercice de leur activité ». L’étude d’impact qui l’accompagne est plus claire : il s’agit bien de « limiter les risques de requalification de leur contrat commercial en contrat de travail, en tirant les conséquences des arrêts de la Cour de cassation ».

Le gouvernement construit donc des dispositions sur mesure pour garantir la tranquillité des dirigeant.es de plateforme et décourager tout recours à la justice de travailleur.ses dont la situation de subordination salariale est d’ores et déjà fréquemment reconnue. Celle-ci constitue la règle sur les plateformes et non l’exception : de quelle indépendance parle-t-on ? Celles de chauffeur.ses qui sont régulièrement amenés à travailler la nuit, le week-end, sans congés pour espérer gagner un SMIC ? Qui voient leur notation baisser s’iels ne tiennent pas la cadence ?

Lois Fillon I et II, loi de rénovation de la démocratie sociale, Loi Travail, ordonnances Macron : depuis au moins les années 2000, les gouvernements s’appliquent à détruire les garanties juridiques offertes par le code du travail aux salarié.es, pour tenter d’imposer des statuts alternatifs sous prétexte de « modernisation ». Le statut d’autoentrepreneur.se a ainsi largement contribué à favoriser le développement de situations de salariat déguisé, les soi-disant « indépendant.es » se trouvant fréquemment lié.es de fait par une relation de dépendance et de subordination à leur(s) donneur(s) d’ordres (unique ou peu nombreux, imposant bien souvent les tarifs et conditions de travail). Ces situations tirent les prix à la baisse et poussent les salarié.es à brader leur force de travail en recourant à ces statuts au rabais. En multipliant les entités, elles atomisent les collectifs de travail et font perdre à ces soi-disant indépendant.es les avantages en matière de rémunération, d’indemnisation des frais, de durée du travail, de complémentaire santé, de retraite, de chômage… autant d’acquis des luttes sociales auxquels iels auraient droit s’iels étaient salarié.es.

Avec les plateformes numériques, l’atomisation du droit du travail a franchi un cran supplémentaire : l’autoentreprise est devenue la règle, et le.la donneur.se d’ordres s’exonère de toute responsabilité à leur égard – et du paiement de toute cotisation sociale. Face à cette déconstruction en règle du droit du travail, les travailleur.ses se sont organisé.es elleux-mêmes pour défendre leurs droits et obtenir des requalifications en tant que salarié.es. Et la justice leur a donné raison plus d’une fois : arrêts “Take Eat Easy” du 28 novembre 2018, arrêt “Uber” du 4 mars 2020, renvoi de Deliveroo devant le tribunal correctionnel suite à l’action de fond de l’inspection du travail… sur le champ du  travail illégal, constitué comme priorité nationale depuis des années… Travail illégal qui, selon les mots mêmes du Ministère, « contribue à la désorganisation de la société, favorise l’exclusion et la précarité, l’évasion fiscale et sociale, et l’enrichissement frauduleux des délinquants » (https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/lutte-contre-le-travail-illegal-10802/article/qu-est-ce-que-le-travail-illegal).

Mais il faut croire que les délinquant.es ont décidément la bonne oreille de nos gouvernant.es. Car une fois de plus, celleux-ci organisent, avec le projet de loi actuellement en discussion, la légalisation de pratiques de délinquance en col blanc en créant un statut ad hoc. Pire encore, l’émergence de ce statut, qui singe le droit salarial en recréant des modalités de négociation et de représentation collective, constitue un dangereux précédent : il annonce la massification d’un droit du travail à deux vitesses, séparant d’un côté les salarié.es disposant encore d’un CDI, du bénéfice du code du travail et des conventions collectives et de l’autre des salarié.es précaires qui n’auront même plus de CDD, mais seulement une autoentreprise et un simulacre de représentation sociale. C’est le principe même du droit du travail qui est attaqué – et à travers lui, la pertinence des missions du Ministère du Travail pour garantir sa bonne application et protéger les salarié.es. Ceci alors qu’à l’international, on suit le chemin inverse : en mars 2021, l’Espagne a ainsi adopté une loi accordant automatiquement une présomption de statut salarié.e aux livreur.ses des plateformes numériques, devançant le Parlement européen, qui pour sa part, a adopté une résolution le 16 septembre 2021 visant à établir une présomption de salariat et une inversion de la charge de la preuve pour les travailleur.ses des plateformes. Plusieurs propositions de loi allant dans ce sens avaient été déposées en France en 2020, dans le sillage de la loi Mobilités, mais toutes avaient été rejetées par les parlementaires.

Ainsi, à rebours de  la Cour de Cassation et de ses voisins européens, le gouvernement protège les plateformes qui  maintiennent la précarité des salariés. La CGT TEFP, solidaire de tous les travailleur.ses des plateformes, dénonce avec vigueur ce projet de loi dangereux et hypocrite qui va à l’encontre des principes de lutte contre le travail illégal et de protection des salarié.es affichés par le Ministère du Travail. Nous refusons que les délinquant.es en col blanc soient blanchis par le gouvernement, brisant tous les efforts accomplis par l’administration et la justice pour faire reconnaître des situations de salariat déguisés. Nous revendiquons le droit de tou.tes à un salaire et une protection sociale dans leur travail et la généralisation du CDI. Plus que jamais, exigeons la fin des contrats et statuts précaires et le CDI pour tou.tes!

Loi et Ordonnance Travailleur.ses détaché.es