Intervention du SNTEFP-CGT à Nuit Debout Paris le 30 avril 2016

Le SNTEFP-CGT est intervenu à Nuit Debout à Paris le 30 avril 2016 dans le cadre d’un atelier « Debout sur les lieux de travail ». Voici le texte de l’intervention.

Les attaques contre le droit du travail ne visent pas seulement à abaisser les protections légales dont bénéficient les salariés.

Elles ont également pour objet d’affaiblir les institutions auxquels ils peuvent avoir recours pour se défendre, faire valoir leurs droits, s’organiser et agir, ou celles qui peuvent avoir un rôle de sanction des cas de violation de la loi par les patrons.

Ce faisant, les classes dominantes cherchent à mieux contrôler et encadrer les instruments légaux dont disposent les travailleurs dans la lutte contre leur exploitation. Elles cherchent à modifier les conditions juridiques dans lesquelles cette lutte peut se dérouler et ainsi la rendre plus difficile.

C’est ainsi que le gouvernement s’est attaqué depuis 2012 :

  • aux conseils de prud’hommes, en supprimant l’élection des conseillers prud’homaux ou en multipliant les cas de recours à un juge professionnel – sans revenir sur la suppression d’un quart des conseils de prud’hommes en 2008
  • il s’est attaqué aux représentants du personnel, par exemple en réduisant les moyens dont ils disposent pour l’exercice de leurs mandats ou en allégeant les obligations d’information et de consultation du comité d’entreprise
  • et il s’attaque enfin à l’inspection du travail, chargée du contrôle de l’application du droit du travail.

Il faut bien comprendre pourquoi l’inspection du travail est prise pour une cible.

Elle est une cible parce que, même si elle dispose de moyens très limités, même si les patrons risquent peu lorsqu’ils enfreignent la loi (3 750 euros d’amende pour une chute de hauteur), elle possède encore de prérogatives et d’une organisation qui restent insupportables pour le patronat.

Les agents de contrôle possèdent en effet un droit d’entrée inopiné jour et nuit dans les entreprises

Ils disposent d’un droit d’audition des salariés.

Ils peuvent mettre en demeure les employeurs de se conformer à la réglementation santé-sécurité ou procéder à des arrêts de travaux.

Ils peuvent relever les infractions constatées par procès-verbal, pouvant déboucher sur la condamnation pénale de l’employeur.

Il faut demander leur autorisation avant de licencier un représentant du personnel.

Enfin, ils bénéficient d’une indépendance d’action garantie par une convention internationale, les protégeant des pressions patronales et politiques.

Quant à l’organisation de l’inspection du travail, elle en fait un service public de proximité :

  • l’inspection du travail est territoriale et généraliste : les agents de contrôle sont affectés à un secteur géographique et contrôlent les entreprises de toutes les branches sur tout le code du travail
  • dans les départements, l’inspection du travail dispose souvent de bureaux dans des sites détachés des villes-préfectures
  • et surtout, elle possède un lien direct avec les salariés, les représentants du personnel et les syndicats, qui peuvent solliciter leur intervention ou de simples conseils lors de permanences gratuites.

L’affaire Tefal, société qui a obtenu la condamnation en correctionnelle de son inspectrice du travail en décembre 2015 parce qu’elle faisait simplement son travail, illustre bien la détermination du patronat à exercer sa pression sur l’institution.

 Trois principaux leviers sont utilisés pour entraver les missions de contrôle et en modifier le sens.

Premier levier : l ‘austérité, les suppressions de postes, la baisse des moyens

Le ministère du travail affiche un des meilleurs taux de non-remplacement d’agents partants à la retraite. Les effectifs n’ont jamais été très élevés, mais ils sont désormais en baisse constante

L’inspection du travail en 2013, c’est 2100 agents de contrôle pour 1,8 millions d’entreprises et 18 millions de salariés du secteur privé, soit moins d’un agent pour 8000 travailleurs

C’était 2211 agents de contrôle en 2012, et 2246 en 2010.

Le nombre de postes de secrétaires, essentiels à l’activité d’accueil du public et aux tâches administratives, est également en chute libre.

En 2014, la réorganisation de l’inspection du travail s’est traduite par la diminution de 10 % des effectifs de contrôle présents dans les entreprises. Cette baisse a permis de financer la création de postes de chefs chargés de surveiller les agents de contrôle et d’orienter leur activité vers les priorités décidées par le ministère du travail.

C’est le deuxième levier de l’offensive : le gouvernement cherche à transformer profondément les missions de l’inspection du travail à travers ce qu’il appelle la « politique travail ».

De quoi s’agit-il ? Selon le ministère du travail lui-même, la « politique travail doit être un des axes intervention en faveur de la compétitivité et du développement des entreprises ».

L’objectif est d’en finir avec une inspection du travail placée au service de la protection et de la promotion des droits individuels et collectifs.

Il faut au contraire déplacer l’intervention des services vers la négociation de la norme sociale dans les entreprises pour maintenir leur compétitivité, faire de l’inspection du travail un régulateur de la concurrence et la transformer en un organisme de lutte contre la fraude tourné vers le conseil et l’audit.

Le ministère du travail est ainsi aujourd’hui obsédé par les fraudes aux travailleurs détachés de pays étrangers, accusés de saper le noyau dur de notre « modèle social » – comme si celui-ci n’était pas durement remis en cause par les politiques menées ces dernières années pour satisfaire le patronat.

L’ambition, à terme, est d’abandonner le contrôle des parties du code du travail qui ne rentrent pas dans le champ des objectifs définis ou les contrôles qui prennent du temps (durée du travail, discriminations…), et surtout d’abandonner le traitement des plaintes des salariés ou des représentants du personnel et de briser ce lien fondamental.

Dernier aspect de l’offensive : le ministère du travail agit également sur le terrain idéologique en délégitimant constamment les missions.

Il dénigre le code du travail, supposé être obèse et trop complexe – comme s’il n’y contribuait pas lui-même en le truffant de dérogations pour les patrons.

Il ne dénonce jamais publiquement les obstacles, agressions ou pressions subis par les agents de contrôle.

Il ne s’exprime jamais sur les accidents du travail graves dont sont victimes les travailleurs.

Il intervient directement en soutien au patronat – par exemple en autorisant le licenciement de représentants du personnel, comme ceux de Goodyear il y a quelques années…

Ce faisant, le ministère fragilise notre action et nous expose aux obstacles et agressions au lieu de nous en préserver. Mais surtout il accrédite l’idée que l’État n’est pas légitime pour réglementer les relations de travail et que l’exploitation des salariés ne doit pas être limitée par d’autres règles que la loi du profit.

Pour conclure… Et la loi Travail dans tout ça ?

La loi Travail va poursuivre l’œuvre de démantèlement de l’inspection du travail.

Le code du travail, c’est un ensemble de règles qui s’appliquent à tous les salariés sur tout le territoire, avec un système de contrôle et de sanction en cas de violation de la loi.

En donnant la priorité aux accords d’entreprise, en donnant moins de place aux droits issus de la loi et en les affaiblissant, la loi Travail va rendre encore plus difficile notre travail puisqu’il faudra disposer de tous les accords pour pouvoir renseigner correctement, analyser une situation ou intervenir.

Surtout, elle va faire des patrons une catégorie de justiciables bien à part, protégés des sanctions. Contrairement aux articles du code du travail, les accords ne font pas l’objet d’amendes pénales et il ne nous sera pas possible de dresser procès-verbal. La loi Travail organise donc l’impunité pour les patrons.

L’article 28 de la loi est de ce point de vue peut-être le plus cynique : il créé un droit pour les patrons à obtenir de l’État un renseignement personnalisé en droit du travail… alors que les services de renseignement des salariés sont asphyxiés par le sous-effectif et doivent parfois fermer, comme c’est le cas à Sète – ou même à Paris le jeudi après-midi.

C’est pourquoi le retrait de la loi Travail est, aujourd’hui et maintenant, indispensable à la préservation d’une inspection du travail au service des salariés.