« Ils pourront couper les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps » (Pablo Neruda)

« Ni fait, ni à faire »

Le journal Le Monde (cf. ci-dessous) révèle samedi la démission du Directeur général du travail, Yves Struillou, désavoué publiquement par la ministre du travail Élisabeth Borne, pour sa conduite calamiteuse de la procédure disciplinaire « ni fait, ni à faire » engagée contre notre collègue Anthony Smith, dont il fut, avec la ministre Pénicaud, l’un des artisans et l’un des partisans les plus acharnés.

Quelques jours plus tôt, il avait subi un premier désaveu de sa gestion du dossier avec le recul de la ministre, contrainte, sous la pression, de concéder un aménagement de la sanction inique de mutation d’office prise contre Anthony. Nous rappelons encore une fois qu’il n’a commis aucune faute et n’a fait que son travail.

Ce séisme est à la mesure de la mobilisation exceptionnelle, depuis cinq mois, des agent·es du ministère du travail, dans l’unité avec l’intersyndicale CGT, SUD, FSU, FO et CNT, et du comité de soutien à Anthony. Il montre d’abord que ça vaut le coup de se battre et que la lutte produit toujours des résultats. L’heure des bilans commence à sonner et la mobilisation va se poursuivre pour obtenir le retrait pur et simple de la sanction !

 Une victoire pour l’indépendance de l’inspection du travail

Le DGT ne pouvait, dans cette affaire, s’attaquer à l’indépendance de l’inspection du travail en exécutant les ordres du président du Conseil départemental de la Marne, ni couvrir les collusions locales entre la RUD, la DIRECCTE et l’employeur sans en subir lui-même les conséquences. En effet, lorsqu’il était encore en poste, l’ancien DGT n’avait pas donné suite à deux courriels de saisine d’Anthony Smith qui alertait, éléments de preuve à l’appui et avant même l’engagement de la procédure disciplinaire, sur les pressions subies et l’atteinte à l’indépendance dans l’exercice de ses missions.

Le·la futur·e DGT y regardera sûrement à deux fois à l’avenir de peur de s’y brûler les doigts … C’est un soulagement pour nous tous-toutes et l’espoir d’obtenir enfin un peu de sérénité dans l’exercice de nos missions.

Cependant, en sacrifiant le DGT, la ministre ne résout pas la contradiction intenable dans laquelle elle s’est embourbée : sanctionner un inspecteur du travail qui avait demandé des masques (et d’autres moyens de protection) pour des aides à domicile au moment où elle les rend obligatoires dans les entreprises.

Les raisons qui ont conduit à cette situation, et à d’autres qui font l’objet de saisine de tribunaux et/ou du Conseil national de l’inspection du travail, perdurent. Elles prennent leur source dans la soumission de plus en plus assumée, et jusqu’à la nausée, d’une bonne partie de l’encadrement du ministère du travail – DGT en tête – aux intérêts patronaux, martyrisant l’inspection du travail dans ses moyens et son indépendance et creusant irrémédiablement le fossé avec des agent-es. La RUD de la Marne et la DIRECCTE Grand-Est, à l’origine de la procédure disciplinaire, doivent maintenant, elles aussi, rendre des comptes – comme celles et ceux qui, dans la hiérarchie pendant la crise sanitaire, ont été à l’initiative ou ont relayé les pressions envers les agent·es de contrôle, donnant lieu à notre saisine au mois d’avril de l’Organisation internationale du travail.

 Une nouvelle avancée : continuons pour le retrait de la sanction et pour nos revendications !

La démission du DGT contribue à hausser encore d’un cran la crise au sein du ministère du travail en la portant au niveau de sa direction, dont le discrédit est total. « Tourner la page », comme le demande la ministre lors d’un récent déplacement à Reims (voir ci-dessous l’article de France Bleu), ne se fera pas tant que sera maintenue la sanction à l’encontre de notre collègue et que sera poursuivie la politique mortifère de destruction des droits des salarié·ees dont elle est l’expression.

Nos syndicats appellent les agent·es à se rassembler en assemblée générale pour continuer à exiger le retrait définitif de la sanction frappant Anthony et sa réintégration dans son service d’origine ; ainsi que la satisfaction des revendications du personnel, notamment pour l’indépendance pleine et entière de l’inspection du travail du pouvoir politique et du patronat, pour une réglementation du travail protectrice de la dignité et de la santé des salarié·es, pour l’arrêt des suppressions de postes, pour un plan de recrutement, pour l’arrêt des objectifs chiffrés et pour l’abandon des réorganisations.


Critiqué par Elisabeth Borne, un des piliers de l’administration du ministère du travail démissionne

Bertrand Bissuel – Le Monde 12/09/2020

La ministre a critiqué la gestion de « l’affaire Anthony Smith », du nom d’un inspecteur du travail, membre de la CGT, sanctionné pour ses décisions prises durant l’épidémie.

Les services de la ministre du travail, Elisabeth Borne, traversent une zone de très fortes turbulences. Vendredi 11 septembre, l’un des piliers de cette administration a présenté sa démission : il s’agit d’Yves Struillou, le chef de la Direction générale du travail (DGT). L’intéressé a pris cette décision très peu de temps après avoir subi un désaveu de la part de Mme Borne. A l’origine de la rupture, il y a « l’affaire Anthony Smith » – un inspecteur du travail, membre de la CGT, récemment sanctionné par sa hiérarchie, qui bénéficie du soutien d’une large partie de ses collègues et d’une campagne de mobilisation orchestrée par plusieurs syndicats, des élus de gauche ainsi que des personnalités d’horizons divers. Le dossier est suivi de très près, à l’Elysée comme à Matignon.

Selon nos informations, M. Struillou a choisi de démissionner à la suite d’un épisode, pénible pour lui, qui s’est produit jeudi après-midi. Le patron de la DGT participait à une réunion avec Mme Borne et des responsables de directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. D’après une des personnes présentes, la ministre a émis, lors de la rencontre, des observations critiques, notamment sur le rapport disciplinaire ayant conduit à la sanction prononcée contre M. Smith. « Elle trouvait que ce n’était ni fait ni à faire », résume une autre source. Le document en question, d’une trentaine de pages, est signé par le directeur des ressources humaines du ministère, Pascal Bernard, mais M. Struillou a joué un rôle déterminant dans sa rédaction.

Dans l’entourage de Mme Borne, on reconnaît l’existence de « divergences » sur le rapport disciplinaire et « la manière dont le dossier a été conduit ». Le différend avait pris une « ampleur assez importante » qui alimentait un mauvais climat dans les services, ajoute-t-on.

Les remontrances de Mme Borne résultent d’un conflit social qui a éclaté il y a près de cinq mois, à une époque où elle ne s’était pas encore installée rue de Grenelle – puisque sa prédécecesseure, Muriel Pénicaud, occupait encore les lieux. Le 15 avril, M. Smith avait été suspendu de ses fonctions, pour avoir – aux yeux de sa hiérarchie – « méconnu, de manière délibérée, grave et répétée, les instructions » données à l’ensemble des agents, durant l’épidémie de Covid-19. L’un des griefs portait sur des interventions que l’inspecteur du travail aurait conduites sans le « moindre discernement » à l’égard d’une grosse association d’aide à la personne : celle-ci avait, par exemple, été sommée par M. Smith de fournir à ses salariés des masques de type FFP2 ou FFP3, alors que la doctrine sanitaire nationale réservait de tels accessoires aux soignants.

Mutation d’office

Cinq organisations représentant les fonctionnaires du ministère (CGT, CNT, FO, FSU, Sud) s’étaient dressées contre cette « action folle de répression » : « Anthony Smith n’a fait que son devoir », avaient-elles plaidé. Le 21 juillet, plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, s’étaient rassemblées à Paris pour apporter leur soutien à M. Smith, au moment même où celui-ci passait en conseil de discipline.

Un peu plus de trois semaines plus tard, le verdict tombait : le fonctionnaire, jusqu’alors en poste dans la Marne, faisait l’objet d’une mutation d’office en Seine-et-Marne. Une sentence que l’intéressé et tous ceux qui l’épaulent ont qualifiée d’injuste et très pénalisante puisqu’elle le contraignait à aller travailler à « 200 kilomètres de son domicile ».

Finalement, dans un geste d’apaisement, le ministère du travail a annoncé, mercredi, que la sanction avait été « aménagée » – autrement dit, allégée : M. Smith sera transféré dans la Meuse, un département limitrophe de celui où il réside ; le fonctionnaire s’est dit « content » en apprenant la nouvelle tandis que son syndicat y a vu un premier « recul ». Sous le sceau de l’anonymat, l’un des acteurs de ce feuilleton, partisan de la « punition » initiale, considère que la CGT a gagné son « bras de fer » et qu’il va être ardu de piloter l’inspection du travail. L’entourage de Mme Borne, de son côté, insiste sur le fait que la ministre est restée « en soutien » de la solution trouvée au départ, à savoir une mutation d’office.


Affaire Anthony Smith : la ministre du Travail veut « tourner la page » après une sanction « légitime »

Stéphane Maggiolini – France Bleu Champagne-Ardenne 11/09/2020

L’inspecteur du travail marnais avait été mis à pied lors du confinement pour avoir dénoncé le manque de masques mis à disposition des salariés d’une société rémoise d’aide à domicile. Il a été sanctionné et muté à Bar-le-Duc, décision « légitime » selon Élisabeth Borne qui veut passer à autre chose.

La ministre du Travail, Élisabeth Borne était en visite à Reims (Marne) ce vendredi pour vendre les mérites de l’apprentissage dans les locaux de l’Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie. La ministre est revenue, face aux journalistes, sur le sort réservé à Anthony Smith, cet inspecteur du travail marnais mis à pied pendant le confinement pour avoir alerté sur le manque de masque mis à disposition des salariés de l’ARADOPA, société d’aide à domicile.

« Je trouve ça surréaliste qu’on parle d’un cas individuel »

Anthony Smith a été muté d’office à Bar-le-Duc (Meuse), sanction dénoncée par la CGT de la Marne mais assumée par la ministre du Travail. « Il y a eu une sanction, une mutation d’office, je considère qu’elle est légitime. Je pense que maintenant il faut tourner la page, je pense que les millions de français qui se demandent si l’on va venir à bout de ce virus, je pense que ce sujet personnel ne les intéresse pas », explique Élisabeth Borne.

Pourtant, des centaines de marnais se sont offusqués de la mise à pied de cet inspecteur du travail, « je dis à ces marnais que ça n’est absolument pas pour ce motif là que cet inspecteur a été sanctionné. Il est sanctionné pour des motifs de non-respect des principes fondamentaux du service public, de continuité, de neutralité, de loyauté. Je trouve que ça a un côté un peu surréaliste qu’on parle d’un cas individuel », conclut la ministre.