Demandes d’intervention dans le cadre des CLIR : nouveau dévoiement des missions de l’inspection du travail

Des agents de contrôle de l’inspection du travail ont été récemment sollicités pour participer à des actions coordonnées dans le cadre des Cellules de Lutte contre l’Islamisme et le Repli communautaire (CLIR). Une note du pôle T d’IDF – dont nous citons ici des extraits, précise le cadre de ces demandes d’intervention.

Il ressort notamment de cette note que les CLIR ont été mises en place au mois de janvier 2020 « afin de mettre en œuvre une réponse adaptée aux menaces de radicalisation religieuse et de repli communautaire ». Ces instances ont pour objet « de mettre en commun les informations et de faire agir en concertation les services de l’État dans le département, et prioritairement ceux ayant des missions de contrôle de la réglementation ». Dans ce cadre, des listes d’établissements ayant fait l’objet d’un signalement par l’un des services participants à la CLIR et « suspectés de ne pas respecter les règles auxquelles ils sont soumis » (sic) ont été établies. Sur le fondement de ce recensement, il a été demandé à certains agents de contrôle de participer à des actions de contrôle coordonnées « dans le cadre de leurs prérogatives » (re-sic).

Un détournement de finalité des missions de l’inspection du travail

S’il relève bien des missions des inspecteurs du travail de contrôler le respect des dispositions légales, réglementaires et conventionnelles applicables, les objectifs poursuivis sont constitutifs d’un détournement éhonté des missions de l’inspection du travail. Car si les demandes d’intervention adressées aux agents concernés prennent le soin, pour contrer toute velléité de contestation, de préciser que les contrôles se feront « dans le cadre réglementaire habituel », cette précaution langagière masque difficilement le détournement patent de finalité à l’œuvre.

En effet, ces demandes d’intervention ne sont justifiées par aucune saisine ni alerte préalables susceptibles de laisser suspecter des infractions au code du travail. Et les motivations alléguées à l’appui des injonctions faites aux agents de contrôler ces établissements reposent exclusivement sur des motifs exogènes (prétendues « menaces de radicalisation religieuse et de repli communautaire ») et sur la suspicion alléguée que ces établissements ne respecteraient pas les lois, suspicion elle-même fondée sur ce raccourci que « le rejet des valeurs de la République s’accompagne bien souvent en outre d’un refus d’en respecter ses lois » (re-re-sic).

On le voit : l’objectif affiché n’est aucunement de veiller à l’application de la législation sociale dans le cadre des missions et prérogatives dévolues à l’inspection du travail, mais bien d’utiliser ces missions et prérogatives à d’autres fins qu’elles-mêmes, à savoir la lutte contre la radicalisation religieuse. On est ici bien loin des missions traditionnelles et historiques de l’inspection du travail « chargée d’assurer l’application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l’exercice de leur profession » (article 3 de la Convention (n° 81) sur l’inspection du travail de 1947).

Une nouvelle atteinte au principe d’indépendance

Ces demandes d’intervention constituent une nouvelle atteinte au principe d’indépendance de l’inspection du travail énoncé à l’article 6 de la Convention (n° 81) sur l’inspection du travail de 1947 en ce qu’elles contreviennent notamment à son article 3.2 qui dispose que « si d’autres fonctions sont confiées aux inspecteurs du travail, elles ne doivent donc pas faire obstacle à l’exercice de ces missions principales ni porter préjudice d’une manière quelconque à l’autorité ou à l’impartialité nécessaires aux inspecteurs dans leurs relations avec les employeurs et les travailleurs ».

Certes, cette tentative d’instrumentalisation n’est pas nouvelle. Au mois d’octobre dernier, des agents de contrôle de la Drôme avaient été enjoints par le Préfet de participer au contrôle conjoint (inspection du travail, Urssaf, DDFIP, DDSP) d’une école hors contrat qualifiée d’école « coranique ».

Face à des dérives antérieures comparables concernant la lutte contre l’immigration clandestine dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) de l’OIT avait déjà considéré, dans un avis rendu en 2009 et confirmé en 2011, que l’implication de l’inspection du travail dans les opérations conjointes de lutte contre les travailleurs étrangers en situation irrégulière au regard du droit de séjour était constitutive d’un détournement de leurs prérogatives à des fins contraires à leurs fonction.

Pareillement, nous considérons que la participation, sur ordre des préfets, des agents de l’inspection du travail à des contrôles sous l’égide des CLIR est de nature à constituer un détournement de leurs pouvoirs à l’effet de l’exercice de missions qui ne sont pas les leurs.

Des dérives qui risquent de se multiplier avec la mise en place des DDI

Si la logique à l’œuvre n’est pas nouvelle, un nouveau cap est cependant franchi avec les demandes d’intervention dans le cadre des CLIR. Surtout, ces pressions exercées sur les agents de contrôle de l’inspection du travail préfigurent celles qui risquent de peser sur eux dans le cadre des nouvelles DDI qui consacrent le resserrement des liens entre les préfets de département et les services d’inspection du travail.

En effet, les demandes de contrôle dans le cadre des CLIR émanent directement des directeurs de cabinet des préfectures et des services du Ministère de l’intérieur. Or, le préfet n’a pas compétence pour enjoindre aux services de l’inspection du travail d’effectuer un contrôle. C’est pour contrecarrer ce risque d’ingérence que, dès la réforme administrative de 1964 confiant des pouvoirs étendus aux préfets, l’article 4 du décret du 14 mars 1964 excluait de ces pouvoirs « l’inspection de la législation du travail ». Ce principe d’exclusion a d’ailleurs été réaffirmé depuis dans les dispositions de l’article 33 du Décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’Etat dans les régions et les départements. Cette exclusion de rattachement de l’inspection du travail à l’autorité des préfets a encore été rappelée récemment à l’article 1 du décret du 9 décembre 2020 relatif à l’organisation et aux missions des DRETS, des DDETS et des DDETSPP qui précise que « dans chaque région métropolitaine, (…) la DRETS (…)  est placée sous l’autorité du préfet de région et, pour les missions relatives au système d’inspection du travail, sous celle de la direction générale du travail » et, à son article 12, que les directions départementales interministérielles sont des services déconcentrés de l’Etat relevant du ministre de l’intérieur (…) placées sous l’autorité des préfets de département « à l’exception des services relevant du système d’inspection et de législation du travail ».

Cette règle trouve à s’appliquer quand bien même le Préfet userait d’un subterfuge consistant à enjoindre les RUD ou les DIRECCTE à commanditer une action de contrôle aux agents de l’inspection du travail. Il appartient donc à la DGT d’intervenir, en sa qualité d’autorité centrale de l’inspection du travail, pour faire cesser ces agissements et garantir l’indépendance effective de l’inspection du travail.

Rappelons que le principe d’indépendance n’est pas seulement un droit des agents concernés, mais bien une garantie pour les citoyens de pouvoir bénéficier d’un service public qui n’est soumis à aucune influence extérieure indue.

La CGT-TEFP dénonce l’instrumentalisation des missions de l’inspection du travail dans le cadre des CLIR.

Elle demande à la DGT d’intervenir pour protéger l’inspection du travail des influences extérieures indues relayées en son sein et garantir son indépendance effective

Elle invite tous les agents qui seraient enjoints à participer à ces opérations de contrôle sans rapport avec les missions de l’inspection du travail à saisir le SNTEFP-CGT.

Télécharger le tract