Déclaration des élu·es CGT au CTM Travail-Emploi du 11 mai 2021

Madame la ministre,

en ouverture de ce CTM nous entendons en premier lieu vous interpeller au sujet des problèmes générés par la mise en place de la nouvelle organisation territoriale de nos services.

Nous ne reviendrons pas sur notre opposition de fond à cette réforme qui a pour seul objet la réduction des coûts, sans égard pour la qualité du service rendu aux usager·es ou pour nos conditions de travail. Nous n’avons eu de cesse de vous alerter sur l’ineptie que représente l’engagement d’une telle réforme dans le contexte actuel et la réalité dépasse malheureusement nos craintes : la désorganisation des services a atteint un niveau inédit. Nous pourrions faire une liste longue comme le bras des dysfonctionnements que subissent nos collègues dans tous les départements ! La plupart de nos nouveaux interlocuteurs ne savent tout simplement pas ce que nous faisons. Et il ne s’agit pas seulement d’une méconnaissance de nos principes de fonctionnement. Côté emploi, les missions sont éclatées et illisibles ; côté travail, les difficultés sont tellement nombreuses que la paralysie n’est pas loin. Les conditions d’accueil des usager·es dans nos services sont très dégradées, les collègues n’en peuvent plus, mais surtout… attendez-vous un drame pour comprendre qu’on ne peut pas continuer ainsi ?

Et que dire du dialogue social ? A chaque département sa réalité, plus ou moins éloignée du cadre légal, mais avec manifestement un objectif commun : nous compliquer la tâche et donner aux représentants des agent·es le moins d’audience et de visibilité possible. Vos services ne sont même pas en mesure de constituer des listes de diffusion à jour ! Même le problème des adresses électroniques n’est pas réglé. Bref, une réforme « ni faite, ni à faire » et vous en portez l’entière responsabilité.

Vous soumettez à notre avis deux plans : un plan « de transformation RH et managérial » et un « projet système d’inspection du travail 2021-2022 ». La seule question qui vaille pour nous est de savoir si ces plans répondent aux attentes, aux inquiétudes et aux revendications du personnel telles qu’elles peuvent s’exprimer dans les services ou à travers l’activité de leurs organisations syndicales. Notre réponse est négative.

C’est peu de dire que le « plan de transformation RH et managérial » nous est apparu aussi creux qu’une calebasse.

Un point de méthode tout d’abord. Vous indiquez que ce chantier sera en constante évolution chemin faisant au fil des concertations, dans une logique d’amélioration continue. Mais vous ne dites rien sur la méthode qui sera utilisée. Bilatérales avec les syndicats ? Consultations récurrentes du CTM ? Négociation sur des projets précis correspondant aux différents « piliers » identifiés ? Sur ce point le projet manque de clarté et nous vous demandons d’apporter les précisions nécessaires.

Un point de vocabulaire ensuite. Nous vous invitons à offrir au personnel un dictionnaire de novlangue managériale permettant de décrypter les multiples phrases obscures et incompréhensibles pour le commun des mortel-les. Il n’est plus question de reconnaissance des qualifications par les grilles salariales, de formation ou de déroulement de carrière égal, d’amélioration des conditions de travail, de lutte contre les inégalités et les discriminations, d’amélioration du service public au bénéfice de ses usager·es…, mais de développement et de validation des compétences, de positionnement sur des métiers, d’optimisation des recrutements, de rénovation des talents, de développement de la « marque employeur », d’individualisation des rémunérations, d’ouverture vers l’extérieur (pas vers la société ou les usager·es pour la satisfaction de leurs besoins évidemment, mais en dehors de la fonction publique), d’intensifier l’égalité (comme si elle était acquise), d’accélérer les performances (comme on accélère des particules), de fluidifier les carrières ou, notre expression favorite, de « constitution de viviers animés ». Rappelons que la Larousse donne du vivier cette définition : « enclos où sont introduits les poissons et les crustacés après leur capture ou leur récolte en attente de leur destination définitive. » C’est-à-dire le plus souvent à la casserole. Cela pourrait prêter à rire si la situation n’était pas aussi dramatique pour les collègues qui n’ont aujourd’hui aucune garantie d’être reclassés sur un poste au ministère du travail après avoir refusé de rejoindre les préfectures.

Sur le fond enfin, ce plan ne consiste qu’à mettre en place des groupes de travail supposés proposer des actions à horizon… 2022. Mais combien de fois faudra-t-il le dire ? C’est aujourd’hui, maintenant, tout de suite qu’il y a urgence !

Urgence pour les effectifs d’abord. Le plan de 300 recrutements d’inspecteur·trices du travail annoncé à grand renfort médiatique masque en réalité une perte nette et ne compensera ni les postes actuellement vacants, ni les départs à la retraite prévus sur la même période. Ce ne sont pas 300 d’inspecteur·trices du travail qu’il faudrait recruter, mais 1000 pour seulement maintenir les effectifs à flot, tous services confondus. Et que dire des autres corps pour lesquels vous ne donnez aucun chiffre alors que la charge de travail s’intensifie au fur et à mesure des suppressions d’emplois, au détriment des conditions de travail et de la qualité du service rendu aux usager·es ? S’agissant des emplois de catégorie C notamment, il est inacceptable de faire subir aux agent·es toujours en poste les conséquences de votre décision de supprimer définitivement ces emplois à terme, au fil des départs. Une chose est certaine : la charge de travail qui pèse sur nos collègues ne suit pas la logique de vos décisions. Cette charge devient tout simplement insurmontable et conduit évidemment à de très fortes tensions dans les services.

Urgence pour les salaires ensuite. Nous sommes consternés de constater que le plan « de transformation RH » se réduit à des propositions – non chiffrées par ailleurs – de revalorisation de la seule grille du corps de l’inspection du travail, celui qui accueille les chef-fes. N’y a-t-il pas d’autre priorité que de revaloriser les grades sommitaux des DA, DT, DT hors classe ? Nous réaffirmons nos revendications d’augmentations salariales permettant à la fois de compenser le décrochage du point d’indice par rapport au taux d’inflation, de réduire les inégalités entre catégories, d’éviter l’écrasement des débuts de grille qui tendent vers le SMIC, et de redistribuer les richesses en prenant sur le profits : dégel du point d’indice et rattrapage des pertes subies, suppression de l’individualisation des primes et intégration dans le traitement, augmentation de 300 euros en priorité pour les bas indices.

Enfin, urgence sur les carrières, promises à l’allongement du fait des réformes des retraites successives qui poussent les collègues à retarder leur départ pour éviter une pension minorée. Vous annoncez votre intention de demander au guichet unique l’augmentation du taux de promotion pour l’accès au corps de SA, sans chiffrer la mesure. Et c’est tout, et encore sans garantie de succès ! Notre organisation syndicale alerte pourtant depuis des années sur l’indigence des carrières des catégories C et des B, notamment de la filière administrative, dont les sommets de grade constituent de véritables goulots d’étranglement. Nous revendiquons la promotion immédiate et sans condition des agent·es en sommet de grade des corps d’adjoints, de SA et d’attachés pour leur permettre la reprise de leur carrière (ce qui correspondrait par exemple à un taux de promotion de 30% pour les 900 collègues qui plafonnent dans les derniers échelons d’AAP2 2eme classe). Nous demandons également un véritable plan de transformation d’emplois de C en B et de B en A sur le seul critère de l’ancienneté pour la reconnaissance des qualifications. Nous constatons également, avec une certaine irritation, que vos plan laisse une nouvelle fois de côté les contrôleur·euses du travail, invité·es à déposer des dossier de VAE ou de passer des concours pour espérer être promu·es. Nous réclamons leur passage immédiat, pour celles et ceux qui le souhaitent, dans le corps de l’inspection du travail. Faut-il rappeler que cette solution serait peu coûteuse et que votre prédécesseuse s’était engagée à la porter devant le guichet unique ? Ce serait, de votre part, un geste fort que de satisfaire cette promesse oubliée. Nous soutenons également la revendication des ITS actuels d’être titularisé·es d’office sans oral de fin de formation, compte tenu des conditions dégradées de formation.

Concernant maintenant votre « projet système d’inspection du travail 2021-2022 ».

Tout d’abord, nous sommes en désaccord sur le diagnostic. Les services de l’inspection du travail ont été déstructurés par l’empilement des réformes des quinze dernières années. Ils continuent de subir les effets du plan Ministère fort impulsé par Michel Sapin à partir de 2012. Or, manifestement, vous choisissez de vous inscrire dans la continuité de ces réformes dont vous louez les effets positifs (comme s’il s’agissait d’un tout cohérent) tout en soulignant « les difficultés qui subsistent ».

Pourtant, le bilan des réformes successives n’a jamais été réellement fait. Des « progrès collectifs » auraient été accomplis sans qu’on sache lesquels et surtout, au bénéfice de qui. Le bilan de notre côté est au contraire très négatif : ces quinze années se sont traduites par une perte de sens dans l’exercice des missions, par un isolement de plus en plus grand des agent·es et par une perte de qualité de nos interventions.

En effet, une logique comptable s’est substituée à l’approche qualitative des situations. La logique court-termiste du management par objectif s’est substituée à l’approche réfléchie des dossiers qui doit nécessairement, pour être efficace, intelligente et durable dans ses effets, s’inscrire dans le temps long. Au prétexte qu’il fallait « animer » la politique travail, les collectifs de travail existant ont été dilués dans un « système d’inspection du travail » dont la principale fonction est en réalité le contrôle social d’un corps réputé rétif à l’autorité. Les conséquences de ces choix sont littéralement désastreuses.

Parallèlement, les vacances structurelles de postes à l’inspection du travail font obstacle à la prise en charge satisfaisante de la demande sociale et mettent les agent·es concernés dans un porte-à-faux générateur de souffrance éthique : comment bien faire son travail quand on ne nous en donne pas les moyens humains et matériel ? Alors que le manque d’effectif est criant, la création des postes de RUC a conduit à réduire d’autant le nombre d’agent·es de contrôle présents sur le terrain. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la réforme Sapin.

La défiance affichée par le ministère du travail à l’encontre de ses propres agent·es – dont les exemples se multiplient ces dernières années – a contribué à jeter le discrédit sur l’action de l’inspection du travail et à la fragiliser en contribuant à créer un climat délétère qui se diffuse dans l’opinion. Les employeurs ne s’y trompent pas et s’engouffrent régulièrement dans la brèche pour mettre en cause, de manière directe ou indirecte, la neutralité des agent·es de contrôle et leur professionnalisme.

Enfin, du point de vie de l’exercice des missions, nous constatons ces dernières années des reculs très forts ainsi qu’une dérive répressive : parallèlement à la création de nouveaux pouvoirs, on a assisté, ces derniers mois, à l’inflation d’un droit souple (fiches conseils, questions/réponses, protocoles…) qui vient affaiblir les outils coercitifs existant en les concurrençant. Par ailleurs, les réticences de l’autorité centrale à voir appliquer, pendant la crise sanitaire, les dispositions réglementaires protectrices des travailleur·euses, notamment s’agissant du risque biologique et de la question des masques de protection respiratoire, de même que les multiples entraves portées, au printemps dernier, à l’exercice des missions des agent·es de contrôle et à leur indépendance (sur le détail desquels nous ne reviendrons pas ici) ont accentué la fracture entre les agent·es de contrôle et la DGT, d’une part, et entre l’inspection du travail et les travailleur·euses, d’autre part.

Votre plan n’est donc évidemment pas à la hauteur des enjeux et de la situation ; en lieu et place, nous revendiquons :

  • abandon de Wiki’t et de sa nouvelle mouture, des objectifs chiffrés et retour à un légitime rendu compte qualitatif semestriel respectueux de la demande sociale ;
  • fin de la politique travail qui prend le pas sur l’application du code du travail, pour un échelon central ayant un rôle exclusif d’appui aux collègues, auto-organisation dans les départements des opérations de contrôles collectifs décidés par les agent·es en fonction des réalités du terrain ;
  • arrêt des pressions et des influences des autorités administratives dans le cadre de nos missions, respect des prérogatives et de l’indépendance des IT/CT, défense de la convention n°81 de l’OIT, suppression du code de déontologie code honteux qui porte atteinte à l’exercice des missions ; suppression de la déclaration d’intérêts liberticide ; aucun empiètement des préfet·es sur l’action de l’inspection ;
  • principe d’une formation initiale et continue réalisée par les pair·es, renforcement des effectifs et des moyens de l’INTEFP et de CIF, réforme des jurys, primo affectation de tous les IET en section d’inspection du travail ;
  • fin des brimades, des sanctions disciplinaires de la répression à l’encontre des agent·es de l’Inspection par la hiérarchie et soutien public des agent·es mis en cause dans leurs missions. Abrogation des notes liberticide DGT des 11 décembre 2014 et 24 septembre 2018 comme de la circulaire DAGEMO/BCG du 5 janvier 1999 ;
  • départementalisation des pôles T et suppression des postes de chef·fes de pôle T, revalorisation des postes d’Ingénieur·es de prévention et développement des postes en charge du traitement des recours et amendes et d’appui aux sections dans les départements ;
  • suppression des UC et des postes de RUC et de façon transitoire affectation à chaque RUC d’une section d’inspection ; maintien de la section d’Inspection comme structure de base territoriale de l’Inspection du travail ;
  • non à toute tentative d’externalisation des renseignements en droit du travail, fin du numéro unique, des agent·es de renseignement en droit du travail formé·es et en nombre suffisant au plus près des sections d’inspection ;
  • doublement immédiat des sections d’inspection généraliste et territoriale, et poursuite des recrutements pour atteindre au moins 5 000  agent·es de contrôle ;
  • remplacement de tous les départs à la retraite et plan de recrutement pour garantir un·e secrétaire pour trois sections a minima.