Suicides et tentatives de suicide au ministère du travail : il est urgent de réagir, d’agir

Lettre ouverte des membres CGT, SUD-TAS et SNUTEFE-FSU du CHSCT ministériel concernant les suicides et tentatives au sein du ministère du travail.

Madame la ministre,
Monsieur le directeur des ressources humaines,
Monsieur le président du CHSCT ministériel,

Lors de la réunion du CHSCT Ministériel Travail du 21 juin 2018, très inquiet·e·s de l’état de santé des agent·e·s, nous vous alertions dans une déclaration préalable intersyndicale intitulée « Suicides et tentatives de suicide : il est urgent d’enquêter dans les services », sur une augmentation très sensible des tentatives de suicide et suicides au sein du Ministère du travail.

Nous ne pouvions en effet que constater qu’en moins d’un an, onze collègues, dont six au cours des trois mois précédents, avaient mis fin ou tenté de mettre fin à leurs jours au sein des services.

Dans les Hauts-de-France, deux collègues s’étaient suicidés et deux avaient attenté à leurs jours.

En région Auvergne-Rhône Alpes, quatre collègues s’étaient suicidés, dont deux dans la même Unité départementale la même semaine. En Occitanie, en Normandie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, un agent de chacune de ses régions avait tenté de se suicider.

Localement, des enquêtes ont été votées et mises en œuvre, parfois non sans difficultés, par les CHSCT régionaux.

Au niveau national, face à l’insuffisance des mesures de prévention définies par le Ministère, nous avons adopté, lors du CHSCT Ministériel extraordinaire du 19 juillet 2018, à la majorité de membres du CHSCT Ministériel (quatre voix pour : CGT- SUD- FO- FSU / une abstention : CFDT), la motion suivante :

« Au regard des échanges intervenus ce jour en CHSCT Ministériel et au regard de l’insuffisance des éléments de diagnostic transmis par l’administration, ne permettant pas de porter une analyse globale des situations, et par voie de conséquence de définir un plan de prévention national approprié contre les suicides et les tentatives de suicide :

  • nous ne nous prononcerons pas sur le plan d’action de mobilisation contre le suicide mis à l’ordre du jour pour avis du CHSCTM et demandons que ce plan ne soit pas soumis au vote, 
  • nous demandons la mise en place d’un groupe de travail du CHSCTM, ouvert à d’autres représentant.es des organisations syndicales, sans la présence des Direccte, avec la participation des ISST.

Ce groupe de travail aura pour objet d’analyser les causes convergentes et transversales aux suicides et tentatives de suicide survenus au sein des services et de proposer un plan de prévention.

Le groupe de travail se réserve le droit de faire appel, pour l’éclairer et l’aider, à des partenaires extérieurs, avec une prise en charge financière de l’administration.

Le groupe de travail devra être réuni avant la fin du mois d’octobre 2018.

Les frais de déplacement des membres du groupe de travail seront pris en charge par l’Administration.

Nous demandons à l’administration de préparer et transmettre au groupe de travail, en amont, et au moins 15 jours avant la 1ère réunion :

  • des données précises sur les suicides et sur les tentatives de suicide, sur les infarctus et les burn-out survenus depuis 2006 (notamment, âge, sexe, grade des victimes, service, poste/métier occupé, statut de travailleur handicapé, existence ou non d’arrêt de travail avant les faits, réorganisation touchant le service et /ou le poste, existence de problématiques d’ordre professionnel, …),
  • une compilation des préconisations déjà faites dans les différents rapports ou enquêtes et ce qui a été réalisé,
  • une compilation des comptes-rendus d’enquête des CHSCT.

Nous demandons la mise en œuvre, sans attendre, de la décision du CHSCTM d’avril 2011 concernant la mise en place d’une expérimentation avec les collectifs de travail sur le travail réel (cf décision actée en CHSCTM d’avril 2011, renouvelée en février 2012, reprise dans le rapport d’expertise du cabinet Alternatives ergonomiques sur le ministère fort de 2013) ».

Un groupe de travail du CHSCT Ministériel Travail a été effectivement réuni le 16 octobre 2018.

Cependant, aucun travail d’analyse sérieux des causes convergentes et transversales aux suicides et tentatives de suicide n’a pu être réalisé lors de cette réunion :

  • aucun document (expertises, rapports d’enquête CHSCT, procès-verbaux de CHSCT…) ne nous a été communiqué, les services de la DRH se cachant derrière un défaut de remontées de la part des DIRECCTE,
  • il s’est avéré impossible de discuter et d’échanger sur autre chose que la gestion de crise en cas de suicides et de tentatives de suicides, et du protocole à suivre en ces cas.

Un engagement avait été pris par la DRH de réunir de nouveau le groupe de travail au mois de décembre 2018, sur la base des objectifs fixés dans la motion adoptée le 19 juillet.

Aucune nouvelle réunion ne s’est pourtant tenue.

Aucune suite n’a été non plus donnée à la demande de mise en œuvre de la décision du CHSCT Ministériel concernant la mise en place d’une expérimentation avec les collectifs de travail sur le travail réel – décision qui avait été reprise, doit-on vous le rappeler, dans le  rapport d’enquête paritaire sur le suicide de Luc Béal-Rainaldy.

Or jeudi 28 février 2019 nous avons été informé·es de la tentative de suicide d’un élève inspecteur du travail la veille au soir à l’INTEFP. Une semaine auparavant, nous apprenions la tentative de suicide sur le lieu de travail d’une assistante en section d’inspection du travail en Centre-Val de Loire.

Concernant la tentative de suicide à l’INTEFP, à défaut de rattachement des inspecteur/rices du travail à un CHSCT, du fait de votre refus persistant de trancher cette question, nous vous avons demandé, avec les représentants de l’UNSA, de convoquer, dans les plus brefs délais, une réunion extraordinaire de l’instance, sur l’ordre du jour suivant :

  • couverture des IET par un CHSCT,
  • vote d’une enquête sur la tentative de suicide d’un inspecteur élève du travail.

Aucune réponse ne nous a été adressée quant à notre demande de réunion extraordinaire. En revanche vous nous avez fait part de votre refus d’une enquête du CHSCT Ministériel, renvoyant à la seule compétence et responsabilité du Directeur de l’INTEFP en sa qualité de chef de service en matière de santé et sécurité. Alors qu’il est directement mis en cause dans les tensions à l’INTEFP !

Cette position est inacceptable. Sauf à considérer que les inspecteur/rices élèves du travail n’auraient pas de droits à la santé et à la sécurité garantis par le Ministère du travail ?

L’état de santé des inspecteur/rices élèves du travail est aujourd’hui des plus préoccupants.

Vous n’êtes pas sans ignorer, pour en avoir été pleinement informé·es, les graves dysfonctionnements en matière de santé et de sécurité au sein de l’INTEFP. Des alertes ont été portées à votre connaissance par les précédentes promotions d’IET, concernant les risques psychosociaux élevés auxquels elles/ils étaient exposés au sein de l’institut et durant leurs stages ainsi que sur l’absence de toute évaluation de ces risques. Le refus du Directeur de l’INTEFP de signer les signalements d’accidents bénins de douze inspecteur/rices élève du travail, à la suite de la tentative de suicide de l’un de leurs collègues, n’en est que la plus récente illustration.

Nous vous demandons par conséquent de reconsidérer votre refus d’enquête du CHSCT ministériel sur la tentative de suicide survenue à l’INTEFP, ou à tout le moins, de prendre les dispositions nécessaires afin qu’une enquête paritaire soit mise en place sans tarder, avec la participation pour la partie syndicale, de représentant·es du CHSCT ministériel .

A cette fin, nous vous demandons de donner suite urgemment à la demande de CHSCT ministériel extraordinaire.

Concernant la situation dans l‘ensemble du ministère du travail, sans préjuger des conclusions des enquêtes qui ont été/sont réalisées par les CHSCT régionaux, les premiers éléments recueillis ainsi que les rapports d’enquête déjà restitués permettent d’établir, pour plusieurs tentatives de suicide, un lien direct avec le travail.

Au cours de ces dernières années et de ces derniers mois, au gré des réorganisations, des suppressions de postes et de missions, nous n’avons eu de cesse de vous alerter sur l’état de santé des agent·e·s du Ministère du travail, sur la fragilité de collectifs de travail et de leur dégradation. Les acteur/rices de prévention et les expert·e·s désigné·e·s par le CHSCT Ministériel ou les CHSCT régionaux ou locaux, ont également fait part de leurs inquiétudes.

Nous refusons de rester spectateur/rices de ces situations dramatiques et de continuer de vous alerter, en vain. D’autant que de nouvelles réorganisations et suppressions de postes sont déjà (encore) annoncées, et qu’elles devraient aggraver, encore un peu plus, la situation au sein des services.

Alors que le Président du CHSCT ministériel et la DRH regrettaient le 25 octobre dernier, le manque d’enquête AT/MP ainsi que le peu de visites de sites par les CHSCT régionaux, vous refusiez cependant d’imposer la mise en place de CHSCT spéciaux dans les régions fusionnées alors que le nombre de représentants du personnel dans les CHSCT régionaux est divisé par deux ou par trois. Ce n’est pas en diminuant le nombre de membres de CHSCT que les choses s’arrangeront dans les services. La DRH Ministérielle doit sortir de son discours récurrent sur son impuissance à mettre en œuvre des mesures de prévention primaires par manque d’effectif au sein du bureau des conditions de travail ou par manque de budget pour des actions concrètes. A défaut d’actions, la DRH sera complice des suicides et tentatives de suicide à intervenir.

Aussi nous vous demandons de donner suite immédiatement à toutes les demandes que nous formulions dans la motion votée le 19 juillet 2018, et de réunir au plus vite le CHSCT ministériel pour nous présenter les mesures de prévention que vous prendrez, au regard notamment des préconisations formulées dans les enquêtes menées par les CHSCT régionaux, ainsi que dans les rapports des acteur/rices de prévention et des expert·es agréé·es.

Nous vous demandons, comme première mesure de prévention, de suspendre et d’arrêter les réorganisations incessantes et destructives des emplois et des missions des agent·e·s, en œuvre au sein du Ministère du travail, et de stabiliser les organisations de travail afin de renforcer les collectifs de travail.

Nous vous demandons la mise en œuvre de CHSCT spéciaux permettant l’existence de CHSCT de proximité.

Nous demandons à ce que ces mesures soient portées à la connaissance de l’ensemble des agent·e.s du Ministère du travail par le biais d’une communication spécifique.

Veuillez croire, Madame la ministre, Monsieur le directeur des ressources humaines, Monsieur le président du CHSCT ministériel, en l’assurance de notre détermination.

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