Rapport annuel de la Cour des comptes : haro sur l’inspection du travail

Déclaration du SNTEFP-CGT

« Une inspection du travail pléthorique et mal contrôlée » titrait le 11 février 2016 Le Figaro, tandis qu’un éditorialiste des Échos appelait à « désarmer les shérifs du droit social ». Le rapport annuel 2016 de la Cour des Comptes a donné le signal d’une énième offensive contre l’inspection du travail et ses agents. Pour ces médias proches des milieux patronaux, qu’importe si l’institution sort largement de son rôle d’évaluateur en promouvant une orientation politique ultralibérale avec pour obsession le démantèlement de ce qui reste des services publics.

Qu’importent aussi la rigueur et l’honnêteté intellectuelle, qui auraient pu amener ces journalistes à vérifier les données utilisées par la Cour à l’appui de ses affirmations. L’auteur de l’article du Figaro se serait ainsi rendu compte que le ratio d’un agent de contrôle pour 6563 salariés, dont il déduit que « les recrutements ont été trop généreux » à l’inspection, est basé sur des chiffres de 2010. En 2013, selon le rapport « L’inspection du travail en France » établi chaque année par la Direction Générale du Travail, il y avait 2101 agents de contrôle. 2101 agents de contrôle pour environ 18 millions de salariés du secteur privé, soit moins d’un agent pour 8000 travailleurs, et cela sans compter les salariés des établissements publics hospitaliers au sein desquels l’inspection du travail est chargée du contrôle des règles relatives à la santé et à la sécurité au travail. 2101 agents de contrôles en 2013 contre 2211 en 2012 et 2246 en 2010. La tendance n’est donc pas à la hausse, mais bien à la baisse, du fait de la diminution des dépenses publiques que n’a cessé de prôner la Cour ces dernières années.

Qu’importe également que la Cour, qui déplore qu’un trop grand nombre d’inspecteurs soient affectés sur des missions autres que le contrôle des entreprises, encense dans le même temps la réforme dite « Ministère Fort » qui a retiré plusieurs dizaines d’agents du terrain pour en faire de purs managers.

Qu’importe enfin que l’inspection du travail soit en réalité l’un des corps de contrôle qui offre le plus aux délinquants la possibilité de se mettre en conformité avec la loi sans frais : seulement 6300 procédures pénales ont été engagées en 2013 pour plus de 180 000 constats d’infraction au droit du travail. S’il s’agissait d’entorses à la réglementation sur les stupéfiants, les mêmes journalistes dénonceraient le laxisme de l’État !

Car ce qui compte pour la presse patronale, quitte à accumuler les approximations et les contre-vérités, c’est d’obtenir la mise à mort de l’une des rares protections que les salariés peuvent encore mobiliser pour défendre leurs conditions de travail, leur santé, leur emploi. Les pouvoirs « exorbitants » que fustige l’éditorialiste des Échos sont à mettre en relation avec le nombre et la gravité des infractions au code du travail que les agents de contrôle constatent chaque jour. Pourquoi les inspecteurs et contrôleurs peuvent-ils arrêter sur le champ les travaux sur un chantier du BTP ? Parce que chaque année 145 salariés de ce secteur meurent à la suite d’un accident du travail, soit plus d’un quart des décès accidentels. En faut-il plus ? Pourquoi le licenciement d’un représentant du personnel est-il soumis à l’autorisation préalable de l’inspection du travail ? Parce que près de trois fois sur quatre lorsqu’ils ont à juger de la légalité d’un licenciement, les tribunaux donnent raison au salarié. Faut-il donc que les représentants choisis par les salariés puissent être mis à la porte du jour au lendemain ?

Force est de constater que, dans sa croisade contre l’inspection du travail, la presse patronale trouve une alliée en la ministre du travail elle-même. Plutôt que de rétablir la réalité, Madame El Khomri reprend à son compte l’injonction de la Cour des Comptes et menace de sanctions les agents qui se mobilisent pour défendre leur service public. La même ministre n’a pourtant pas pris le temps de dire un mot pour défendre notre collègue Laura Pfeiffer, victime de pressions de la part de l’entreprise Tefal qui a tenté de l’évincer, ou les agents de contrôle de l’Unité Départementale de l’Aveyron, dont l’un d’entre eux a été récemment agressé et menacé de mort par un employeur qui a explicitement fait référence aux assassinats de nos collègues à Saussignac en 2004.

Plus grave encore, la ministre relaie pour promouvoir sa future réforme le poncif patronal selon lequel le code du travail serait devenu « illisible », « obèse », « obsolète ». Ce faisant, elle fragilise l’action de ses propres services et expose les agents de contrôle aux obstacles, outrages et agressions au lieu de les en préserver. Mais surtout elle accrédite l’idée que l’État n’est pas légitime pour réglementer les relations de travail. Car derrière ce haro sur l’inspection du travail, c’est en réalité une offensive contre le fondement même du code du travail qui est menée, contre l’idée que l’exploitation des salariés soit limitée par d’autres règles que celle qu’impose la logique du profit. Pour notre part nous pensons résolument qu’à l’époque où le scandale des enrobés bitumineux succède à celui de l’amiante, où le burn-out se généralise, il faut encore plus de code du travail et d’inspection du travail !

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Communiqué de presse

Après la publication du rapport annuel de la Cour des comptes, qui y consacre un chapitre, c’est une nouvelle offensive qui se déclenche contre l’inspection du travail : Le Figaro titre sur ses effectifs prétendument pléthoriques, Les Echos fustige des pouvoirs qualifiés d’« exorbitants », le ministère du travail affirme sa « détermination » à poursuivre sa réorganisation.

Malgré ce qu’indique la Cour des comptes, les effectifs sont pourtant bien à la baisse : 2246 agents de contrôle en 2010, 2100 en 2013 pour contrôler 18 millions de salariés du privé. La réorganisation de 2014 a amplifié la tendance en transformant 10% des effectifs de contrôle en postes de managers. Au point que les postes sont désormais financés par des suppressions dans d’autres services du ministère…

Quant aux « pouvoirs exorbitants », ils sont prévus pour retirer des salariés de situations dangereuses (travaux en hauteur sans garde-corps par exemple), ou protéger les représentants du personnel élus par les salariés des risques d’être mis à la porte du jour au lendemain. Est-il choquant que l’Etat intervienne dans ces situations ?

Le ministère du travail contribue lui-même à cette offensive en délégitimant constamment les missions : il relaie le poncif selon lequel le code du travail serait obèse et obsolète ; ne dénonce pas publiquement les obstacles, agressions ou pressions subis par les agents (notamment celles exercées par Tefal qui a obtenu la condamnation de son inspectrice du travail) ;  ne s’exprime pas sur les accidents du travail graves ; ou intervient directement en soutien au patronat (par exemple en autorisant le licenciement de représentants du personnel, comme ceux de Goodyear il y a quelques années…).

Ce qui est en jeu c’est l’existence même d’un service public utile à la protection des salariés, qui peuvent le saisir pour défendre leurs droits : il faudrait au contraire encore plus de code du travail et d’inspection du travail !

Paris, le 15 février 2016