Tribune – Régularisation des sans-papiers du 57, boulevard de Strasbourg à Paris : un avertissement aux employeurs délinquants (L’Humanité du 12 décembre 2014)

Tribune signée par :Julien Boeldieu, inspecteur du travail, syndicat CGT travail-emploi Paris,

Yves Sinigaglia, secrétaire national du syndicat SUD travail affaires sociales-section SUD d’Île-de-France,

Lydia Saouli, syndicat Snutefe-FSU Île-de-France.

Syndicats de l’inspection du travail signataires, nous apportons notre soutien aux salariés du 57, boulevard de Strasbourg à Paris. Nous saluons le courage de ces salariés qui occupent depuis plusieurs mois leur salon de coiffure. Par la grève déclenchée le 22 mai, ils ont décidé de rendre publique leur situation. Leur lutte a révélé les pratiques patronales du secteur : travail dissimulé, abus de vulnérabilité, durée du travail excessive, licenciements abusifs. À ces conditions d’emploi s’ajoutent des conditions de travail et d’hygiène déplorables, et notamment une exposition à des produits chimiques dangereux. La situation « irrégulière » des travailleurs permet aux gérants de les exploiter sans risquer de représailles judiciaires.

Les gouvernements successifs, en restreignant les conditions d’entrée, de séjour et du droit d’asile, font de la loi une machine à créer des sans-papiers. Le recrutement de salariés en situation de vulnérabilité à des fins d’exploitation, dans des conditions de travail indignes, et la réalité d’un réseau organisé connu de tous sont autant d’éléments concourant à la définition de « traite des êtres humains ». Les salarié-e-s du 57, boulevard de Strasbourg en ont été victimes. Sur cette base, des moyens juridiques sont applicables pour délivrer des titres de séjour. À ce stade, malgré les procédures pénales en cours sur diverses infractions, dont celle de la traite des êtres humains, aucune réponse positive n’a été communiquée par la préfecture de police, qui s’entête à refuser de délivrer les titres de séjour. Or, les opérations « coups de filet », que continue de mener la préfecture de police, notamment dans le quartier, n’ont eu pour effet que de jeter encore plus dans la précarité les salariés sans papiers. Cette situation n’a bénéficié qu’au seul réseau qui met ces salariés en coupe réglée : quand des salariés sont arrêtés, il suffit de les remplacer. Quand l’entreprise et son responsable pénal sont sous le coup de procédures pénales ou administratives, le même fonds de commerce est rapidement remplacé par un autre salon de coiffure. Nos syndicats ont toujours appelé les agents de l’inspection du travail à refuser de participer à ces opérations. En ce sens, le Bureau international du travail (BIT) a pris position pour défendre l’indépendance et les missions des agents de l’inspection du travail reconnues par la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail. La commission d’experts a, en outre, demandé au gouvernement français de s’assurer que les travailleurs étrangers en situation irrégulière bénéficient de la même protection que les autres travailleurs.

La régularisation des salariés du 57, boulevard de Strasbourg est donc un préalable au règlement définitif de la situation. Elle serait un signal fort de la mise en place par l’État de la protection des victimes de ces abus, et un avertissement aux employeurs-délinquants. Les salariés sont sortis de l’ombre pour révéler les pratiques de leurs patrons et ont permis aux services de l’inspection du travail de mieux les connaître. Ces salariés doivent être protégés !

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